« J-H M : Des créateurs qui ne se présentent pas comme des artistes, tout simplement parce que cette notion n’existe pas dans leur culture, doivent-ils être pour autant écartés ?
R S : C’est très ironique qu’après tant de défis pour élargir la conception de l’art en Occident, depuis Dada et même avant, ce soient les opérateurs de cet art qui défendent son intégrité, sauf dans le cas où un anti-artiste fait de l’antiart. Ils acceptent l’élargissement du champ artistique tant que les questions sont posées à l’intérieur du système de l’art parce qu’elles sont censées en finir avec la définition de l’art classique. Mais dès qu’on change de culture, on recommence à insister sur ces différences. C’est fou ! On ne peut pas être à la fois ouvert et fermé. »
« Penser avec les sens, sentir avec la raison ». Conversation entre Jean-Hubert Martin et Robert Storr à propos de la biennale de Venise, Art Press n° 335, juin 2007
« The so-called "Morrinho project", created by the residents of a real Rio de Janeiro shantytown, was among one of the most talked-about installations at the Venice Biennale art festival.
Those behind the Brazilian project are still mildly uncomfortable about being called "artists". For them, it all started as a game, building their own version of doll-houses that simply recreated the life they saw around them.
"I never thought it was art. We were just playing around, like normal", said Maycon Souza de Oliveira, who started the project with his older brother almost a decade ago, when he was seven years old. »
The Epoch Times : Venice Biennale—Fake Presidential Candidates, a Brazilian Shantytown and Bogus Intelligence (Reuters, 13 juin 2007)
Via Netlex : Morrinho project brought a "model" slum from the favelas of Rio de Janeiro to the Venice biennale (13 juin 2007)
« C’est fou ! » : L’exclamation de Robert Storr exprime sa réprobation face à la mauvaise foi ou l’incohérence de ceux qui refusent de reconnaître de l’art dans les pratiques de cultures "autres" qui, bien que présentant à nos yeux un intérêt artistique incontestable, ne sont pas reconnues par leurs auteurs comme étant de l’art ; soit que cette notion n’existe pas dans la culture de ces auteurs, soit que leur idée de l’art est trop éloignée de la nôtre. Mais pour peu qu’il soit "de chez nous", nous n’hésitons pas à qualifier de fou celui qui agit de façon absurde en dehors de toute intention artistique, car celui-là est supposé partager notre conception de l’art. Dans les deux cas, la folie réside dans la méconnaissance de l’art.
En même temps, on ne peut pas nier qu’il y a une plus value de jouissance à découvrir la valeur artistique de ce qui n’est ni reconnu ni revendiqué comme art. A celui qui nous laisse la primeur de ce jugement, ce que Duchamp appelait le « choix mental », acte noble par excellence, nous devons une autre forme de reconnaissance : celle d’avoir l’art d’ignorer l’art.