Qui se souvient du fou du Pont de Nogent ?
Il y a une quinzaine d’années, il sévissait au carrefour qui précède le pont. A chaque fois que nous traversions la Marne pour aller dîner dans une des petites guinguettes nichées sur l’autre rive, nous retrouvions cet homme, dangereusement exposé sur le carrefour, à l’extrémité du pont, entrain de gesticuler.
A première vue, nous l’avions pris pour un de ces civils zélés qui s’emploient à régler la circulation quand les képis ont déserté l’imbroglio d’un embouteillage en période de grève générale. Nous l’observions depuis le feu rouge. Il se démenait avec la conviction qui sied au crépuscule des grands jours, quand la crise tétanise la cité jusqu’à la paralysie et que la population livrée à elle-même, repue des émanations de sa propre euphorie, accueille avec soulagement l’émergence du héros providentiel qui saura entrevoir une issue à l’anarchie. Il avait l’étoffe des meneurs de l’auto-gestion collective, la grandeur pathétique des constructeurs de la deuxième heure qui jouissent, de la part de leurs concitoyens, d’une gratitude d’autant plus servile que ces derniers pressentent déjà dans le responsable auto-proclamé, leur futur bouc-émissaire.
Mais, chose étrange, l’homme ne s’intéressait pas aux automobilistes. Ses gestes étaient singulièrement cryptés et il tournait le dos au carrefour. En réalité, il n’y avait même pas d’embouteillage.
Le changement d’orbite se produisit peu après le passage du feu vert, lorsque nous fumes engagés sur le carrefour. Un instant, notre regard put s’aligner dans l’axe de son regard, et c’est alors que nous comprimes le sens de son manège.
Depuis ce carrefour, la vue se dégageait des obstacles urbains pour couler au Sud, vers l’horizon de la grande banlieue. De là, notre homme voyait les avions qui se dirigeaient vers l’aéroport d’Orly. En contrebas, la Marne s’étendait devant lui, telle une piste d’atterrissage magnifiée à l’échelle du paysage. Ainsi, croyait-il guider les avions en synchronisant ses gestes sur leurs mouvements. Lourde responsabilité en effet. Mais quelle harmonie aussi !
Oui, c’était un fou, ce genre de mythomane qui se croit Atlas quand il ne fait que le poirier.
Maintenant, prenez ce fou, accordez lui un peu de reconnaissance et une bonne dose d’ironie, il ferait un très bon artiste ; de la trempe de Piero Manzoni qui a inventé le socle du monde [1], ou de Gianni Motti qui s’est taillé un joli succès en revendiquant la responsabilité de catastrophes naturelles [2].
Autre hypothèse : donnez lui un clavier et un espace de publication, il vous racontera peut-être l’histoire du fou du Pont de Nogent.
Alors qui est le plus aliéné ?
Le fou qui gesticule et croit diriger le monde.
L’artiste qui fait (comme) le fou et prétend créer le monde, moyennant un objet symbolique associé à sa signature.
La narratrice qui dérive dans l’orbite du fou et tente de comprendre ce qui lui arrive, en tirant la petite ficelle d’un récit.
Et la vache ? Vous y pensez à la vache qui rumine en regardant passer tout ce monde ? Qu’est-ce qu’elle dit la vache ?
[1] Socle du monde, 1962, Musée du Herning, par Piero Manzoni
[2] Gianni Motti sur le site de la galerie Attitudes (Genève)
Une autre façon de changer d’orbite : porter les lunettes de quelqu’un d’autre pour voir le monde par ses yeux.
Bono, le chanteur de U2 a fait porter ses lunettes de soleil au premier ministre japonais Shinzo Abe, une façon de l’inviter à partager son point de vue sur les ravages du Sida et la pauvreté dans le monde. Il s’agit de lunettes RED Armani dont un partie des bénéfices doit être consacrée à la campagne de levée de fonds contre le Sida nous apprend l’article du Washington Post.
J’ai toujours vu dans le Socle du monde de Manzoni un joli trait d’esprit, une folie des grandeurs plus ou moins feinte, servie par ce sens de l’astuce propre à ceux qui n’étant qu’à moitié fous savent camoufler l’erreur logique par l’effet de cohérence que confère un énoncé circulaire. Ici, c’est l’évidence aveuglante de ce qui s’auto-nomme : a-t-on jamais vu le mot socle écrit sur un socle ? L’affirmation auto-réflexive procure à l’esprit l’apaisement que l’on attend d’une démonstration accomplie, tandis que l’indulgence due à l’humour finit par emporter l’adhésion au point que la lacune, ostensible, confine au sublime.
Cependant, il ne m’était jamais venu à l’idée de voir dans ce retournement l’expression de la solitude, de ce genre d’incompréhension ou de désaccord si radical avec le monde qu’il donne envie de s’en extirper.
C’est cette image du film de Guido van der Werve qui me présente les choses sous ce jour un peu dramatique, car on y voit un homme qui s’oppose à d’autres hommes. C’est une scène à l’envers où un homme seul, à l’horizon, se tient en équilibre sur les mains tandis qu’au premier plan, en dessous de la ligne d’horizon, un groupe d’hommes se tient debout. Les pieds de l’homme flottent dans l’air, ils ne touchent pas le bord de l’image. L’équilibriste se présente comme un nageur qui aurait perdu pied, mais tente néanmoins de soutenir au dessus de sa tête la coque d’un vaisseau qui sans lui serait peut-être menacé de naufrage. A cette extrêmité, là où les pieds rencontrent le vide, la situation paraît aussi irrésolue qu’avec la surface vacante du Socle du monde de Manzoni qui lui, semble n’attendre qu’une chose, le démenti de ce qui viendrait se poser dessus pour le rappeler à la juste mesure, au bon sens ou à la grâce modeste du carré de gazon auquel il fait ombrage.
Je n’ai pas vu le film de Guido van der Werve, il sera présenté au mois de mars au Nederlands Instituute voor Mediakunst et il y a fort peu de chances pour que je puisse m’y rendre pour le voir. Sur le site de l’artiste, il y a une fiche technique, une page de présentation, et un article donnant une courte description du film avec quelques images.
Où se situe, dans le film, l’image à l’envers de l’artiste à l’envers ? L’article ne le dit pas. Ce que j’en apprends se résume pour l’essentiel à ceci : c’est un film 16mm de 11 minutes 42 secondes, structuré en trois parties. La musique y occupe une place importante (Nocturne de Chopin et Requiem de Mozart). Un avion passe en traînant derrière lui les mots « it was not enough », l’artiste joue du piano sur un radeau qui vogue sur un grand lac, puis un groupe de musiciens passe sur une barque. A la fin, l’artiste tombe du ciel.
La page de présentation du film montre un paysage qu’on aurait presque pu qualifier de romantique s’il avait été plus montagneux. C’est un grand lac entouré d’arbres qui se perdent au loin dans le brouillard. Presque romantique aussi, mais tempéré d’un soupçon de burlesque, l’artiste solitaire et son piano se tiennent sur un radeau étique flottant dans l’immensité brumeuse. Le titre et le sous-titre du film s’inscrivent en haut de l’image, là où le brouillard se confond avec le ciel gris :
« Nummer vier
I don’t want to get involved in this
I don’t want to be part of this
Talk me out of it »
Pour autant que le monde ait un envers et un endroit, il ne suffit pas de retourner son point de vue pour le redresser. Le film de Guido van der Werve n’a sans doute pas cette prétention, même ironique, sans quoi l’auteur n’insisterait pas sur la musique et l’ambiance qui selon lui constituent le véritable sujet du film. Ce que je peux comprendre des quelques indices recueillis à propos de ce film, c’est que la posture à l’envers et l’attitude solitaire n’ambitionnent pas le geste révolutionnaire. Ils expriment plutôt l’opposition au monde et le désir de s’en extraire.
Mais vouloir cette séparation, n’est-ce pas encore trop demander ? Le monde vous colle si bien au derrière qu’il est vain de lui tourner le dos. Voici justement, qu’en marge de la guerre des caricatures qui met actuellement le monde sens dessus dessous, je trouve un dessin de Rumen Dragostinov qui illustre fort bien la chose : un bébé rigolard fait la galipette, il a la tête entre les jambes, une mappemonde figure sur sa couche et on ne sait pas trop si c’est par dedans ou par dehors que cette mappemonde s’y est imprimée.[1]
Ce dessin me fait penser à Hidebehind et à l’histoire du bûcheron qui, à force de pirouttes et de gesticulations pour essayer d’attrapper ce démon de Hidebehind toujours caché derrière lui, a fini par se tuer lui même d’un coup de hache dans le dos.[2]
Le soi et l’autre, l’envers et l’endroit, le dedans et le dehors, sont si intimement complices, que la folie précisément, consisterait à vouloir les éloigner ou expurger l’un de l’autre. Cette séparation est la violence même.
La figure du « cul par dessus tête » ou « tête entre jambes » [3] qui se rencontre fréquemment dans l’iconographie du Moyen Âge opère au contraire un rapprochement. En cela, il n’est pas assimilable au renversement érectile du Socle du monde de Manzoni ou de l’équilibriste que l’on aperçoit dans l’image de van der Werve. Ces derniers se tiennent droit, dans une sorte de radicalité moderne et hiératique, tandis que les saltimbanques médiévaux rivalisent au contraire de souplesse pour former une boucle. Cette boucle invite à la rencontre paradoxale des antipodes, à la reconnaissance mutuelle des extrêmités qui ne sont extrêmes que lorsqu’elles s’ignorent.
Il n’empêche que j’aimerais bien avoir un jour l’occasion de voir le film de Guido van der Werve, car pour l’instant je n’ai fait que spéculer à partir de maigres éléments. J’imagine : le bruit de l’avion qui passe, la musique, les clapotis de l’eau, la durée, le paysage, la richesse des demi teintes, le mariage si rare du lyrisme et du burlesque,... tout ceci ne peut se réduire à de simples structures d’opposition. C’est bien parce que je devine dans ce film matière à habiter la distance entre les extrêmes que je regrette de ne l’avoir pas encore vu.
notes :
1- Rumen Dagostinov, dessinateur Bulgare, a gagné avec ce dessin le second prix du 4e Concours International Cemal Nadir de Caricatures en décembre 2005.
2- Hidebehind :
Hidebehind est décrit par Jorge Luis Borges dans Le livre des êtres imaginaires, chapitre sur la Faune des Etats Unis :
« Le Hidebehind est toujours derrière quelque chose. Quel que fût le nombre de tours sur lui-même que faisait un homme, il l’avait toujours derrière lui et à cause de cela personne ne l’a vu, bien qu’il ait tué et dévoré de nombreux bûcherons »
Jorge Luis Borges, avec la collaboration de Margarita Guerrero Le livre des êtres imaginaires,(1969), traduit de l’espagnol par F. Rosset, G. Estrada et Y. Péneau, Editions Gallimard 1987, p. 107
Hidebehind et le Bûcheron, bande dessinée de Max, scannée et mise en ligne par Cronopius :
Voir : page 1, page 2, page 3
Cronopius signale également une très belle version anglaise illustrée du livre des êtres imaginaires :Fantastic zoology, a graphical interpretation of J.L. Borges « Book of Imaginary Beings »
3- Cul par dessus tête ou tête entre jambes :
Dans une conversation récente, Antoine me rappelait très justement l’association de cette figure du « cul par dessus tête » avec la fête des fous et le carnaval.
A lire, le très joli texte de Jean-Marc Chotteau, Le cul par dessus tête, Edito 2002-2003 de La Virgule, Centre transfrontalier de création théatrale Tourcoing/Mouscron.
Vous pourrez voir quelques beaux spécimens de la figure médiévale du cul par dessus tête parmi les images de bas reliefs de la Cathédrale St Etienne de Cahors, 12e-13e siècles (mais vous en trouverez beaucoup d’autres en fouillant parmi les bas reliefs des églises romanes).
On en trouve également chez Hieronymus Bosch, au premier plan de ce dessin de la tentation de St Antoine (Staatliche Museen, Berlin), source : Web Gallery of Art.
Et sans doute parmi les grotesques qui ornent les enluminures...
Ces figures se distinguent par le fait qu’elles dessinent des boucles plus ou moins fermées, mais on notera qu’elle ont toutes en commun la tournure du corps qui se referme sur lui même par le devant. Le visage se redresse pour faire face au spectateur, parfois en lui tirant la langue comme s’il s’agissait de le mettre au défi d’entreprendre lui aussi cet examen de conscience qui commence par le fondement.
Je n’ai pas trouvé dans l’iconographie médiévale des boucles en extension, c’est à dire exécutées par derrière. Aujourd’hui, dans les petits cirques, on voit souvent des jeunes contorsionnistes qui savent très bien le faire. L’acrobate fait le pont à partir d’une position d’équilibre sur les mains ou sur les coudes, sa tête est redressée à l’endroit mais à ras du sol, et il achève la boucle en ramenant par derrière ses genoux de part et d’autres de son visage jusqu’à pouvoir à nouveau mettre pied à terre. Il se trouve alors comme coiffé de son propre sexe et la face la plus vulnérable de son corps est entièrement exposée.
Il y aurait donc trois façons de mettre cul par dessus tête : par devant, par derrière, ou en piquet.
Un peu de bibliographie sur le corps au Moyen Age, sur le site du Réseau des Médiévistes Belges de Langue Française.
Photo (I.V. Octobre 2004), figure en bois sur les toits du Manoir de la Salamandre à Etretat (demeure du 14e siècle, démontée à Lisieux, et remontée à Etretat en 1912).
Puisque nous parlions ici de monde à l’envers, il faut signaler la prochaine expo du Palais de Tokyo qui s’appelle M/Nouvelles du monde renversé (avec une barre horizontale au dessus du M, s’il vous plaît !).
Communiqué de presse :
"Les physiciens placent une courte barre horizontale au-dessus d’une lettre pour identifier les particules d’antimatière. S’inspirant librement de cette annotation, qui signale une forme d’inversion, le Palais de Tokyo propose M, cinq expositions personnelles et deux projets collectifs traversés par l’idée de renversement.
Après CINQ MILLIARDS D’ANNEES, qui interrogeait l’élasticité du temps et de l’espace, M rassemble des œuvres qui se comportent comme des oscillateurs, des ponts ou des points de basculement du réel entre des polarités différentes.
« Le rapport a/b est tout entier non pas dans un nombre c tel que a/b=c mais dans le signe ( / ) qui sépare a et b » disait Duchamp. L’art, entendu en ce sens, n’est plus un résultat ou un produit, mais la barre de fraction elle-même, le signe discret d’une transformation, l’opérateur de nombreux renversements."
Le choix des artistes et événements promet une interprétation assez "élastique" des opérations de renversement. Ce sera donc très riche, comme d’habitude.
Vernissage le 1er février.
Clôture le 3 mai, avec Jean-Claude Lebensztejn qui présentera son dernier livre : Le bordel de Ledoux, aux éditions Kargo/Amsterdam (voilà qui intéressera Aurélien).
Je viens de corriger les M du billet précédent. Ce matin, Yves-Qui-Sait-Tout m’a envoyé un petit courriel pour me dire comment faire. Il suffit de mettre ce code :
<span style="text-decoration:overline">M</span>
Hier, en faisant un copier-coller du communiqué de presse du Palais de Tokyo, j’ai vu que ce caractère était escamoté par la copie. Amusant, me suis-je dit, ils ont fait un caractère spécial qui illustre ce que peut être une particule d’anti-matière : à la copie, cette particule de texte disparaît, elle ne laisse même pas un espace vide pour signaler sa disparition, reste une syntaxe bancale vis à vis de quoi il faut la puissance de déduction du physicien pour désigner le petit trou d’épingle qui ouvre sur l’anti-monde.
J’en étais restée là, mi-agacée, mi-amusée par le comportement rétif de ce caractère spécial, et résignée à le remplacer par un "M".
En y regardant de plus près aujourd’hui, je vois que le site du Palais de Tokyo a mis une petite image gif pour le M, si vous essayez d’agrandir le texte, vous vous apercevrez que ce caractère n’a rien d’élastique. Dommage ! L’art élastique, de préférence aux arts plastiques, était pourtant le mot fétiche de la précédente exposition organisée par Marc Olivier Wahler, qui selon toute apparence, excelle dans l’art très Deleuzien de créer des concepts au design aguichant.
Mais suis-je bête voyons ! Il y a bien de l’élasticité dans ce signe qui se dérobe quand on veut s’en saisir. Ne dit-on pas "donner avec un élastique" pour ce qui est offert avec réticence ?
L’oubli du chemin parcouru est le meilleur de la serendipité. Tant qu’on se souvient du chemin, c’est qu’on n’a rien vu d’intéressant. Et pourquoi trouve-t-on quelque chose assez intéressant au point d’oublier le chemin parcouru ? Sans doute parce qu’il nous rappelle d’où l’on vient.
Je suis donc tombée sur cette photo de Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla qui date de la foire de Frieze 2005. Elle m’a rappelée celles du film de Guido van der Werve, toutes ces histoires de monde à l’envers et bien sûr, le fou du Pont de Nogent.
Sur l’image de Allora & Calzadilla on voit une table retournée, les quatre fers en l’air, transformée en bateau à moteur, avec une seule personne à bord. Autour, il n’y a que de l’eau. Solitude et assise renversée, l’image condense à sa façon la figure du fou : le monde lui appartient d’autant mieux qu’il s’en exclut, et c’est au prix de cette opposition solitaire qu’il prétend comprendre ce qui le comprend. Ici, la table, au format salle à manger familial, n’est plus un lieu de réunion et de sociabilité mais un instrument pour fuir à l’autre bout du monde. C’est comme s’il avait évacué son petit monde moyennant ce retournement. Allez hop ! tout le monde à l’eau, et que je ne vous voie plus.
Je ne sais pas ce que vaut cette manie de collectionner tout ce qui me tombe sous la main dès que cela entre dans la sphère d’un de mes sujets favoris. Peut-être une façon de comprendre ce qui me comprend ?
Oubli et hasard : tout à l’heure, pendant que je préparais le dîner, quelqu’un dans la maison a exhumé et laissé traîner sur la table du salon un vieux numéro (le 254) de Beaux Arts Magazine dont quelques pages sont consacrées à la Biennale de Venise 2005. Yves me fait remarquer en page 56 la même image avec un cadrage un peu plus serré. Parfait, nous avons donc droit à plus de précisions sur cette oeuvre de Allora & Calzadilla :
"Under Discussion", 2005, vidéo transféré sur DVD, 6’14"
Commentaire par Emmanuelle Lequeux :
« Etrange hors-bord. Une simple table transformée, grâce à un moteur, en humble bateau. De ce projet, on pourrait ne retenir que la poésie. Ce serait faire fausse route. Car cette île paradisiaque de Porto Rico autour de laquelle tourne le bateau a été autrefois un enfer : celui d’une base militaire américaine. Cassés par un mouvement de désobéissance civile, les Etats-Unis ont laissé à leur départ en 2003, ce territoire en piteux état. Substance toxiques, engins explosifs non déminés. La population s’est alors mobilisée pour réclamer la décontamination. Las ! Désormais responsable de cette terre, le ministère américain de l’Intérieur, de la Pêche et de la Vie sauvage a préféré la proclamer aussitôt "espace protégé". Dans cet "éco-tour situationniste", interrogation sur une utopique démocratie directe, Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla suivent un des pêcheurs locaux à l’origine du mouvement de contestation. Son bateau ? Feu la table de discussion. »
C’était donc une cause désespérée qui justifiait la position de cette table renversée, vaincue comme un animal mort, mais espérant peut-être un retournement de situation.
Encore un oubli ? J’apprends que cette vidéo était présentée l’été dernier à l’exposition du Palais de Tokyo Tropico-Végétal : Lost in Paradise que j’avais pourtant visitée en prenant bien mon temps. Si je me souviens bien du tapis de sol et des photos d’empreintes de chaussures de "Land Mark", je n’ai par contre aucun souvenir du film "Under Discussion".
Entre ceux qui se croient responsables des catastrophes naturelles et le natif du bélier qui se prétend diffamé par son horoscope, il y a forcément un rapport, qui est de tout rapporter à soi.
Libération du 29 mai : Jean-Pierre Dupuy, philosophe, analyse l’inquiétude liée aux vagues de chaleur :
“S’il est responsable d’un tsunami ou plus bêtement d’une canicule, il en est aussi coupable. Donc il doit réparer. Je pense que cette rousseauisation est une catastrophe. Des philosophes qui travaillent sur les nanotechnologies vont même jusqu’à supprimer la notion de mort naturelle. L’homme serait donc même coupable de sa mort. C’est l’orgueil métaphysique. Et comme il est coupable de ce qui arrive, il va surréagir. Car on doit mettre au point une solution. Entendez-moi, il ne s’agit pas de plaider la passivité devant le mal ou les catastrophes, mais il y a des seuils à ne pas dépasser ; par exemple celui de l’orgueil. Or, quand même, cette minicanicule de trois jours n’est pas la résultante d’une cause unique. Le climat est un système complexe, le réchauffement climatique n’est pas dû à la seule main de l’homme. C’est tout le système qui est en cause quand il « bugue ». Dire que c’est la faute de l’homme n’a pas de sens. C’est pour cela que je défends la notion de catastrophisme éclairé, pour faire face lucidement au mal ou aux catastrophes. D’autant qu’on le sait, à se croire responsable de tout, on ne prend plus au sérieux ce qui survient."
Le Monde du 28 mai : Un natif du bélier, s’estimant diffamé par son horoscope, devant la justice :
“Un habitant de Montbéliard qui poursuit en justice un journal ayant publié un horoscope jugé diffamatoire à son égard a affirmé mardi devant le tribunal d’instance que cette interprétation du langage des astres pouvait lui nuire au niveau personnel et professionnel.
Le lecteur, natif du bélier, n’avait pas apprécié que ce signe soit, dans les pages du journal, associé à la prédiction suivante : “certains retrouveront les émois de l’adolescence, surtout dans le domaine sentimental où l’envie de s’amuser prend le pas sur le besoin de construire du solide".
Devant le tribunal d’instance de Montbéliard, cet homme de 31 ans s’est présenté comme “un père de famille sérieux" et a estimé, “qu’en tant que bélier", il pouvait être considéré par un employeur, au regard de cette prévision, comme “un coureur de filles", peu fiable professionnellement.
Au cours de l’audience d’une demi-heure, la juge a notamment tenté de lui expliquer qu’en droit, la diffamation vise un individu nommément, ce qui n’était pas le cas de l’horoscope.
Le Montbéliardais - au chômage depuis deux ans - réclame 51 euros d’indemnités au journal qui a diffusé l’horoscope et un avertissement contre l’astrologue à laquelle il recommande “d’aller voir un médecin".
La décision a été mise en délibéré au 20 septembre prochain."
Ce que je ne comprend pas, c’est que la plainte du Monsieur soit reçue et mise en délibéré, au lieu d’être simplement rejetée.
Chère Isabelle,
J’ai lu ton article hier jeudi22 et les commentaires, et ce matin je lis dans "métro"
Une vache sur le toit de l’immeuble
En installant une vache entourée d’un grillage et de foin sur le toit d’un immeuble du centre de Santiago, le collectif Solo cherche à interroger les "limites de la création". L’animal est censé rester là une semaine avant d’être menée à l’abattoir. L’un des artistes explique que le fait de soustraire la vache à son milieu naturel offre de multiples interprétationsq. "Une vache est un symbôle de tranquillité et nous la plongeons dans un contexte réputé pour son stress, sa folie et son esprit de compétitivité."La vie du bovin est filmée, ainsi que les réactions des gens qui travaillent dans le quartier... ; ;
....
Bonjour Bibi !
Décidément, le forum du pont de Nogent semble voué à devenir un lieu de retrouvailles avec des amis que je n’ai pas vus depuis un petit bout de temps :))
Ah ! une vache sur le toit d’un immeuble dis-tu ?
Elle doit avoir une belle vue de là haut, et ça doit être assez décoratif.
Très sérieusement, aux Pays Bas, on met des moutons dans les bandes d’espace vert entre deux voies d’autoroute pour tondre le gazon à moindre frais, et l’année dernière, à la radio, j’avais entendu parler d’un projet municipal (je crois que c’était à Lyon) qui envisageait d’installer des ovins dans les espaces verts urbains pour le même usage.
Etant donnée la visée utilitaire de l’opération, personne ne semble se soucier du stress des animaux.
Sauf à tenir son rendement en litres de lait par jour comme mesure de stress, pourra-t-on jamais savoir ce qu’éprouve la vache là haut perchée ?
Il faut que la présence de l’animal paraisse assez incongrue (ou surréaliste) pour que l’on s’interroge. Et même dans ce cas, le sens de nos interrogations serait sans doute beaucoup plus égocentrique qu’on ne veut bien le croire.
Ce qui est ahurissant, c’est que l’on ait besoin de placer une vache en pleine ville pour être capables de nous apitoyer sur notre propre sort.
Lire l’article du Dr Charles Danten, La zoothérapie, Une relation malsaine pour les humains, est assez instructif à cet égard :
« La question à se poser n’est pas : Pourquoi les animaux nous font-ils du bien ? Mais plutôt : Pourquoi en avons-nous tant besoin ? Pourquoi 63 % des maîtres sont incapables de dire « je t’aime » à un être humain qui leur est cher ? Et pourquoi se réjouir de cette statistique ? Pourquoi préférons-nous la compagnie des bêtes à celle de nos semblables ? Pourquoi cette solitude et cette insuffisance de liens affectifs, cette désintégration du tissu social ? Pourquoi abandonner nos parents dans des hospices en leur donnant un vulgaire chihuahua pour toute consolation ? Pourquoi cette détresse psychologique, ce vide intérieur, cette consommation frénétique ? Pourquoi sommes-nous incapables de faire face à nos problèmes ? Que signifient cet anthropomorphisme, cet anthropocentrisme, cette cécité et cette hypocrisie généralisées ? Et à qui faisons-nous réellement plaisir en fêtant l’anniversaire de nos animaux, en les emmenant au restaurant ou en voyage, en leur désignant un tuteur en cas de décès, en leur prodiguant toutes sortes de soins ? Bien sûr, toutes ces simagrées nous confortent dans notre certitude de les aimer. Mais n’est-ce pas de l’anthropomorphisme de la pire espèce ? Et enfin, à qui profite ce malaise social sans précédent ? Pourquoi nos scientifiques et nos professionnels sont-ils devenus si malhonnêtes ? »
[-]
« En fait, nous avons projeté sur les animaux tous nos comportements les plus inavouables. La vie des animaux de compagnie est une métaphore de la nôtre et dans ce miroir nous pouvons nous voir tel que nous sommes sous un vernis de respectabilité plus ou moins épais. L’idéologie que je viens de décrire est celle des hommes, nous l’avons tout simplement transféré inconsciemment aux animaux, et à tout ce qui vient à notre contact, sans discernement. »
Essayer de comprendre un autre humain est déjà une chose que nous ne savons pas très bien faire, se placer dans l’orbite d’un fou encore moins, alors pour ce qui est de la vache, je crois que nous avons de quoi ruminer encore longtemps.
L’écriture se délie, elle s’agite et se cherche pour notre plus grand plaisir. A bientôt. Ghislaine
Bonjour Ghislaine, et merci pour ces encouragements. Oui, pour ce qui est de l’écriture, je suis une éternelle débutante qui se cherche.
Bon, je suis rassurée que personne ne vienne faire des Meuh en commentaire ;)
Cette petite histoire m’a amenée à me poser pas mal de questions, mais ce soir, je suis un peu fatiguée ; je vais me contenter d’en évoquer une seule :
Quelle est la différence entre celui qui croit maîtriser quelque chose et celui qui affiche les mêmes prétentions tout en montrant qu’il n’est pas dupe ?
Il y a par exemple cette blague de fou que j’adore :
C’était un fou qui prenait sa brosse à dents pour un chien. A l’asile, il le promenait en laisse et l’appelait Médor. Le directeur de l’asile, le convoquait toutes les semaines et lui expliquait patiemment que ceci est une brosse à dents et non un chien. Mais le fou ne voulait rien entendre. Arrive un jour, où convoqué chez le directeur, le fou s’assied sagement devant lui et attend. Le directeur est étonné de le voir sans sa brosse à dents. Il lui demande :-
Alors où est passé Médor ?-
Médor ?-
Oui, ton chien-
Je n’ai pas de chien-
As tu une brosse à dents ?-
Oui, bien sûr-
Que fais tu avec ta brosse à dents ?-
Eh bien je me brosse les dents avec-
A la bonne heure ! te voilà guéri, tu peux partir.Tout content, le fou s’en va. A peine arrivé sur le trottoir devant l’asile, il sort la brosse à dents de sa poche, il l’attache à une laisse et il se promène en rigolant : Ha ha ! t’as vu ça mon Médor ? on l’a bien eu le directeur hein !
bonjour Isabelle,
Bravo pour ce petit texte tendre avec de belles envolées, et toujours érudit. Je participe si peu aux discussions de ton site, que je lis pourtant bien souvent, et avec beaucoup d’intérêt... mais je ne peux m’empêcher ici de réinjecter une de ces petites blagues fondatrices, dans le même esprit, issue de l’éducation laborieuse de mon fou de père, qui prête aussi à réflexion. Je te rassure, a priori, il n’y en aura pas d’autres : mon éducation est basée sur si peu de choses, en fait !
Un fou se prend pour un grain de blé. Du coup il a une peur "folle" des poules et n’ose plus sortir de chez lui. Après 6 mois de thérapie intense, de retour chez son psy, ce dernier lui demande :
- alors, guéri ?
- oui docteur, je ne me prend plus pour un grain de blé.
- alors vous allez pouvoir sortir de chez vous ?
- ah non, docteur !
- ???
- Moi je sais que je ne suis pas un grain de blé, mais les poules, elles... est-ce qu’elles le savent ?
Là on a failli changer d’orbite, mais c’était sans compter sur les lois de l’attraction universelle ! Mais je m’arrête ici car je pourrais faire tourner le lait de la vache, et faire baisser le niveau du site !...
Bien amicalement,
Renaud
Bien vu ! Et bien amené aussi :))
Voilà qui place le problème de la folie dans sa dimension collective, que je ne confondrais toutefois pas avec l’universel. Heureusement, sinon il y aurait de quoi désespérer de la raison.
Tu es le bienvenu Renaud, surtout si c’est pour raconter des blagues avec un tel sens de l’à propos.
P.S. 1 : j’avoue avoir échangé une collection de petites sculptures contre des blagues. Qui me prendra encore au sérieux ?
P.S. 2 : et toi, tu collectionnes toujours les sites sous SPIP ?