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Poème moderne

Publié le samedi 17 juin 2006

« Lause pénétra sur le ring. Il écarta les pans de son manteau, rejeta la tête en arrière, ouvrit la bouche et poussa le rire homérique classique. Les chasseurs en restèrent bouche bée. Allons bon, qu’est-ce que c’était que ça ? Lause avait jusqu’alors été contre toute forme de comportement animal et voilà qu’il rugissait comme un taureau enragé. On se regarda, les sourcils levés, on haussa les épaules, mais personne ne rit.

Encore une fois, le rire des dieux tonna à travers la Vallée du Vent. Lause avança un pied et fixa le Lieutenant. Il était comme figé. Une de ses mains était cramponnée à sa poitrine et l’autre montait en biais vers les nuages noirs. Sa bouche était encore ouverte, mais plus un son n’en sortait. Il resta longtemps ainsi. Le regard, qui avait été ferme et sûr, commença a vaciller, les ailes de son nez vibrèrent comme s’il se concentrait violemment, et ses dents du haut s’enfoncèrent dans la lèvre inférieure qui se mit à saigner.

Les copains le regardaient avec étonnement. Où était le poème ? Bjorken commença à piétiner la neige, parce qu’il faisait un froid de canard.

"Ca doit être un poème moderne ça, chuchota-t-il à Museau, un poème sans mot"

Lause soupira profondément. Il se redressa et recommença. Mais cette fois-ci, le rire ne voulut pas résonner comme avant. Ca ne fut qu’un hennissement étranglé qui cependant provoqua un sourire sur les visages des auditeurs.

"Je crois que ça vient", chuchota Museau.

Mais rien ne vint. Lause avait oublié son poème. Il s’était complètement embrouillé, et ne se souvenait plus de la moindre ligne. Il se sentit comme glacé à l’intérieur et son cerveau n’était plus qu’un grand vide où seul tonnait le rire homérique. »

Jorn Riel, La passion secrète de Fjordur et autres racontars, 1976, traduit du danois par Susanne Juul et Bernard Saint Bonnet, Gaïa Editions, 1994, pp.99,100.



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