« Quand j’étais en troisième, notre professeur de français nous avait fait remarquer que le plus bel alexandrin de la langue française était inscrit sur les vitres des portes du métro. Il y a encore quelques années, en effet (car cette inscription, dans sa formulation originale, a aujourd’hui disparu), la RATP expliquait en ces termes le sens de ses interdits :
"Le train ne peut partir que les portes fermées."
La perfection racinienne de cet alexandrin, auquel son e muet imprimait une vibration prolongée, enchantait notre professeur… Dans le même temps il nous expliquait Pascal ("Nous sommes embarqués"), en sorte que l’image du métro parisien a toujours été pour moi associée au caractère inéluctable du parcours humain individuel ; c’était l’année de la tragédie classique et du jansénisme : j’avais encore devant moi le XVIIIe siècle, en seconde, et le XIXe, en première. Mais déjà le métro m’avait enseigné que l’on peut toujours changer de ligne et de quai, et que si on n’échappe pas au réseau, il permet pourtant quelques beaux détours. »

Marc Augé, Un ethnologue dans le métro, Paris, Hachette, 1986, pp.116-117.