« Non point que nous ayons une prévention a priori contre tout ce qui brille, mais à un éclat superficiel et glacé, nous avons toujours préféré les reflets profonds, un peu voilés ; soit, dans les pierres naturelles aussi bien que dans les matières artificielles, ce brillant légèrement altéré, qui évoque irrésistiblement les effets du temps. "Effets du temps", voilà certes qui sonne bien, mais à dire vrai, c’est le brillant que produit la crasse des mains. Les Chinois ont un mot pour cela, "le lustre de la main", les Japonais disent "l’usure" : le contact des mains au cours d’un long usage, leur frottement, toujours appliqué aux mêmes endroits, produit avec le temps une imprégnation grasse ; en d’autres termes ce lustre est donc bien la crasse des mains.
Ce qui explique qu’on ait, à l’aphorisme : « le raffinement est chose froide », pu ajouter : « ...et un peu sale ». Quoi qu’il en soit, il est indéniable que dans le bon goût dont nous nous targuons, il entre des éléments d’une propreté douteuse et d’une hygiène discutable. »
Tanizaki JUNICHIRO, Éloge de l’ombre (1933), traduit du japonais par René Sieffert, Publications Orientalistes de France, ALC 1977, pp. 37-38