Allez, un peu de sérieux, ce n’est pas parce que j’exorcise ma peur des blogs qu’il ne faut pas signaler les historiques et études de fond sur les blogs.
le 1er juillet, Netlex signalait Into the Blogosphere, une très bonne ressouce anglophone qui rassemble des articles de fond tout à fait passionnants sur les weblogs (histoire et origines, aspects sociaux et communautaires, informationnels, éducatifs, littéraires, éditoriaux...)
Le 2 juillet, Laurent Gloaguen a lancé sur embruns un chantier collaboratif pour retracer les étapes marquantes de l’histoire de la blogosphère francophone. C’est un projet courageux, car il lui faut vérifier et sélectionner les informations que lui envoient ses commentateurs et mettre régulièrement à jour une liste chronologique des évènements. En deux jours, la liste s’est déjà très bien étoffée, et on peut parier que d’ici peu de temps cela deviendra un document incontournable pour l’étude de la blogosphère francophone.
A rappeler également l’excellent article de Sebastien Paquet traduit en français par Dolores Tan (octobre 2002) : La cognitique personnelle en ligne et son utilisation en recherche, ainsi que l’importante page consacrée au Phénomène Blog sur CraoWiki par Benoît Desavoy (avec la collaboration de Christophe Ducamp).
"J’aime les blogs - Je déteste les blogs". C’est quoi ce fonctionnement bipolaire ? Il y a un moment où il faut se décider. ;-)
Ce n’est pas de l’indécision, mais de l’ambivalence. D’où la peur.
Quand je vois le lecteur du fil RSS clignoter au rythme des mises à jour, quand je lis des billets comme on mange des petits pains tout chauds sortis du four, quand je sais que chacune de mes connexions à un blog peut être comptabilisée, voire localisée par l’auteur du blog, j’ai, face au texte, le même sentiment que Thomas l’Obscur. Le sentiment d’être happé par quelque chose de vivant. Ce que seul un Blanchot pouvait éprouver vis à vis des mots, devient un sentiment commun avec les blogs.
"Thomas se glissa donc vers ces couloirs dont il s’approcha sans défense jusqu’à l’instant où il fut aperçu par l’intime du mot. Ce n’était pas encore effrayant, c’était au contraire un moment presque agréable qu’il aurait voulu prolonger. Le lecteur considérait joyeusement cette petite étincelle de vie qu’il ne doutait pas d’avoir éveillée. Il se voyait avec plaisir dans cet oeil qui le voyait ; son plaisir lui-même devint très grand, il devint si grand, si impitoyable qu’il le subit avec une sorte d’effroi et que s’étant dressé, moment insupportable, sans recevoir de son interlocuteur un signe complice, il perçut toute l’étrangeté qu’il y avait à être observé par un mot comme par un être vivant. Et non seulement par un mot, mais par tous ceux qui l’accompagnaient et qui à leur tour contenaient en eux-mêmes d’autres mots, comme une suite d’anges s’ouvrant à l’infini jusqu’à l’oeil de l’absolu."
Maurice Blanchot, Thomas l’Obscur (1941), Editions Gallimard 1992.
Je voulais savoir ce qu’est la blogosphère, je suis servie. Merci Laurent !
Nouvelle échauffourée entre deux ténors de la petite blogosphère francophone. Hier, Laurent Gloaguen (Embruns) s’en prenait encore à Jean-Luc Raymond (Mediatic) pour d’obscures raisons auxquelles je préfère ne pas m’intéresser. Dans la foulée, il me demandait « Isabelle, qu’est-ce que tu fous dans cette galère ? ».
Je crois avoir été assez claire dans mon texte. J’aime les blogs et les blogueurs en général, comme j’aime les gens. L’idée de bloguer me tentait mais je n’avais pas envie de m’encombrer d’un blog en plus de tout le reste. Mediatic est un bon observatoire : densité des liens, fréquence des mises à jour, trafic, richesse des repérages et côtoiement des autres co-blogueurs. Il y a sûrement d’autres blogs qui ont ces qualités, mais c’est là que j’ai été invitée, et je remercie Jean-Luc pour cette invitation.
C’était une bonne occasion pour entrer dans le vif de la mêlée, car nul ne peut prétendre connaître le fonctionnement social, cognitif et affectif de la blogosphère sans s’être laissé entraîner un tant soit peu dans sa frénésie et ses passions. Je n’aurais pas pu le faire aussi vite en créant un blog dans mon coin, et malgré quelques affinités, transactiv.exe ne se prête pas bien à l’immersion blogosphérique.
Laurent est mal à l’aise avec ceux qui ne choisissent pas clairement leur camp, surtout quand il s’agit de personnes qu’il semble apprécier et qu’il aimerait compter parmi ses amis.
Mais qui a dit que la blogosphère devait se diviser en bulles étanches ? Où serait la joyeuse mêlée s’il fallait se ranger frileusement dans un camp et pantoufler dans un apéro-club ?
Certes, les blogs reflètent la personnalité de leurs auteurs, et c’est un jeu passionnant de deviner quelqu’un à travers son blog. Je m’étonne d’ailleurs que cela puisse encore me captiver. Mais ce qui est intéressant dans le monde virtuel des blogs qui privilégie l’expression personnelle, c’est que les gens deviennent fractionnables. Pour commencer, le mystère de leur absence ne fait pas écran à l’expression de leur pensée. Bien au contraire, celle-ci gagne en acuité par la mise en forme de l’écrit, elle devient aussi un flux qui me traverse et non une chose encore attachée au corps de l’autre. Deuxièmement, les blogueurs ne livrent qu’une part d’eux même qu’on peut supposer être la meilleure ; je peux donc m’estimer heureuse de ne pas avoir à subir le reste. Et pour finir, si tout n’est pas bon, je peux encore chipoter, mettre les poivrons de côté pour ne manger que les patates. Le tri est d’ailleurs facilité par le caractère haché des écrits qui s’égrènent en petits billets.
Alors pourquoi exiger des positions entières quand tout l’intérêt de ce qui s’exprime sur les blogs est d’être fractionnable et recombinable à volonté ? Pourquoi idéaliser un blogueur au point de le vouloir parfait ?
Epilogue provisoire de ce sitcom : au moment où je rédigeais cet éclaircissement pour le poster en commentaire sur Embruns, Laurent a exprimé ses remords et effacé le billet incendiaire. J’en ai donc profité pour m’étendre un peu plus que prévu sur le sujet, et je fais comme les ménagères italiennes, je le hèle à l’autre bout de la blogosphère depuis ma petite fenêtre.
27 juillet, vers 2h du matin, Laurent s’ennuie, c’est l’été. Les blogs sommeillent, son fil rss ne palpite plus. Le sentiment que le monde est mort, son petit monde d’amis dans la blogosphère, un peu sa famille. Il ne veut pas se coucher, il s’entête, il veut secouer tout ce petit monde. Merde ! réagissez quoi, montrez moi que vous êtes bien vivants !
Il raconte son ennui, le vide total. A force de se sustenter de feed rss, il ne veut plus chercher de nourriture ailleurs. A force de vivre dans et à travers ce cercle de blogueurs il ne reconnaît plus de vie ailleurs. Tout ce qui reste, c’est l’attente devant le lecteur rss, l’envie de faire pipi, les draps sales, le brossage de dents, boire un verre, allumer la radio… Un retour difficile à la solitude et aux réalités les plus intimes du corps. Mais ce n’est pas un corps travaillé par la passion, c’est un corps végétatif, nu comme un ver, ramené à ses dimensions immédiates : la peau et les objets environnants avec lesquels on entretient des rapports tactiles.
Parler de cette vie végétative, c’est parler justement de tout ce qui est ignoré dans la vie en ligne. Pourtant, on parle beaucoup du corps et des sensations sur les blogs, mais sous une forme sublimée, comme si l’immatérialité du médium numérique allait de pair avec ce mouvement de sublimation qui exalte les sensations pour les convertir en récits comiques ou sentiments poétiques.
Dans la vraie vie, un vieux qui souffrirait d’arthrose, pourrait vous réciter de magnifiques poèmes tout en massant sa jambe douloureuse. L’expression du sublime et de la souffrance corporelle se superposent. Mais en ligne, on peut filtrer, faire abstraction des éléments parasites. On comprend qu’au bout d’un moment, ce qui n’est pas montré pose problème. On ressent comme une trahison le fait d’être apprécié pour ce qui, finalement, apparaît comme un malentendu, ou pire comme une imposture. L’avatar virtuel, aussi “sincère” soit-il, se croit tout permis. Libre d’entraves, il se laisse docilement façonner et manipuler par un ego aux exigences inextinguibles. L’autre part de la personne réclame aussi son droit à la reconnaissance, il réclame le droit de faire partie de la vie, enfin, de ce qu’est devenue la vie.
La désublimation, ici, c’est raconter platement, le plus platement possible, les faits et gestes de la vie, dans ce qu’elle a de plus déceptif, comme une gueule de bois après l’ivresse. C’est ce que fait Laurent avec ce billet écrit sur le mode d’un rapport de gendarmerie. Il nous rappelle l’existence du corps croupi derrière l’écran, comme une décoction, une lie que d’habitude, on se garde prudemment de faire remonter à la surface. C’est interroger ce dépôt orphelin de sens, incommunicable, sans valeur d’échange, qui reste bêtement à la maison comme une femme au foyer voit la maison se vider lorsque mari et enfants sont partis au travail ou à l’école. Elle aussi se sent toute bête à trimer pour pas un rond, aucune reconnaissance, et pour finir, rien d’intéressant à raconter à la fin de sa journée. On connait des femmes au foyer qui bloguent leur vie de femme au foyer avec talent. Quel humour et quelle légèreté pour faire ressortir les bons moments d’une fastidieuse routine ! Trahison de l’alchimie numérique qui transporte le produit du travail dans l’alambic du blog via la tuyauterie du réseau pour nous livrer ce que l’on croit être l’essence de la vie, la communication, le corps collectif.
C’est là un problème que je pointais à propos du générateur poïétique dans lequel je reconnais pas mal d’analogies avec le jeu de la blogosphère.
Paradoxalement, en remuant la vase, Laurent a réussi à réveiller son monde. Son “rapport de gendarmerie” a reçu plus de 200 commentaires en moins de deux jours [1]. Tous ses amis sont venus raconter des platitudes du même acabit et son champ de commentaires est devenu un chat-room. C’est dire combien le besoin de reconnaissance de cette part marginale de la vie est devenue impérieuse.
Dans mon précédent billet, je parlais de la fractionnabilité des personnes qui s’expriment sur les blogs. La médiation du réseau leur permet de ne livrer que le meilleur d’eux-mêmes. L’atomisation des propos permet au lecteur de faire encore un tri dans ce must. Je me faisais des illusions. Avec son “rapport de gendarmerie", Laurent me rappelle fort justement à la réalité. Je ne pourrai pas chipoter indéfiniment. Il me faudra manger ces fichus poivrons.
Après avoir lu et apprécié ses platitudes à leur juste mesure, je m’excuse tout aussi platement ; je reconnais que son ragoût est bon, même avec les poivrons, peut-être même à cause des poivrons. Décidément, ces blogueurs sont bien attachiants ;)
[1] Il est même question d’organiser des flashmobs de commentaires en squattant, pendant un jour ou deux, les champs de commentaires d’un blog.