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J’aime les blogs

Je déteste les blogs
Publié le jeudi 1er juillet 2004 à 15:22:31 par Isabelle Vodjdani

Résistances

Transactiv.exe a été mis en ligne il y a un an et demi, et cela fait presque autant de temps que j’ai commencé à fréquenter les blogs. Mais Transactiv.exe n’est pas un blog. Je me suis rendue une fois, en novembre dernier, à une rencontre de blogueurs. En me présentant, je répétais à qui voulait bien m’entendre que Transactiv.exe n’est pas un blog. Non, c’est un SPIP et pas un blog ! Bien sûr, je sais bien qu’on peut faire un blog avec du SPIP, mais celui-ci n’a pas été configuré pour être un blog. L’ai-je assez répété ? Donc, chers blogueurs, je viens vous voir, je vous serre la main, je vous lis, je vous trouve adorables malgré vos petits travers qui vous rendent encore plus adorables, mais non, je n’ai pas de blog comme vous. J’ai juste un SPIP et je ne suis inscrite à aucun club. Je résiste aux blogs.

J’essaye de résister.

Et pourtant : le forum-info de transactiv.exe ressemble de plus en plus à un blog. La salière de la page d’accueil que je veux atemporelle prend malgré tout les allures d’un blog au ralenti qui cacherait son jeu. Je mets de plus en plus de liens dans mes textes, je publie de plus en plus de notes fragmentaires ou complémentaires dans les forums, et si peu d’articles construits. Certains liens deviennent tellement récurrents que je me dis qu’il serait peut-être temps de faire une page de liens (ah non ! pas un blogroll, j’ai dit une page de liens ; il ne faut pas exagérer tout de même !). Serais-je à ce point contaminée ?

Web-écriture

Mais surtout, il y a cette façon d’écrire à la première personne. Oui, c’est cette façon d’écrire qui était et reste le pari majeur de transactiv.exe. J’en reconnais le goût dans les blogs, avec ses charmes et ses faiblesses. Les blogs sont un observatoire formidable pour me prévenir des dangers du nombrilisme, de ses dérives, mais c’est aussi une vitrine qui laisse entrevoir le potentiel de cette forme d’écriture.

Certes, il y a la littérature épistolaire, autobiographique. Mais le web n’est pas un livre, n’est pas une lettre, toutes choses qui font corps, que l’on peut décider de garder ou jeter. Le web, on ne peut ni le garder ni le jeter, ni l’enfermer dans une armoire. Il peut vous échapper, il peut vous revenir à la figure, et je ne suis jamais seule devant l’écran. Ou plutôt, c’est une solitude paradoxale. Il y a l’ubiquité du lecteur, virtuellement réalisée par les autres lecteurs. Ca ne travaille pas la conscience de la même façon, ça ne parle pas de la même façon, ce n’est pas la même adresse. On peut mettre en ligne des livres, des choses écrites pour le papier, mais ces choses restent toujours dans une sorte de retrait, comme protégées dans le repli du cahier.

Ecrire sur le web c’est tout autre chose. Bien sûr, le lecteur est toujours fantasmé, il reste ce surmoi composite et changeant que l’on refaçonne en évoluant. Sur le web cela conduit à de petites différences ; sorti du cercle des connaissances, on écrit pour les moteurs de recherche en choisissant soigneusement ses mots clés pour cibler une catégorie de lecteurs, ou pour être mieux classé dans l’affichage des résultats de recherche. Mais un robot n’est pas plus impersonnel qu’un surmoi. Alors qu’est-ce qui fait que l’écriture sur le web est si différente ?

C’est, me semble-t-il, le fait de savoir que le texte ne pourra pas être enfermé dans une armoire, qu’il ne fera pas corps. Il rejoint le flux commun, en devient un fragment, une effilochure. C’est une solitude jetée dans la mêlée, pour devenir une incomplétude.

Sur le web, je ne sais pas très bien à la formation de quel corpus je contribue. Par contre, je sais d’avance que quoi que j’écrive, même en y apportant le plus grand soin, ce ne sera jamais qu’une petite contribution noyée dans le grand flot. Je le sais avec l’acuité de ce qui est déjà en oeuvre au présent. Non comme une probabilité historique livrée à la postérité. Cette écriture se consume plus qu’elle ne se thésaurise. Elle se rapproche de l’oralité. Mais ce serait faux de dire que c’est un retour à la culture orale. Non, je sais ce qu’est une culture orale, j’en viens. Les cultures orales sont aussi auditives, elles se transmettent de bouche à oreille, presque de corps à corps (en persan, nous disons de poitrine à poitrine). Elles sont portées par les corps.

Or le web est singulièrement éloigné des corps, et les internautes stigmatisent bien cette séparation lorsqu’ils adoptent des alias qui brouillent leur filiation biologique. Ils le font avec une incroyable facilité qui est sans commune mesure avec la décision longuement réfléchie par un écrivain d’adopter un nom de plume.

Qu’ils en aient conscience ou non, au fond, les blogueurs savent tout cela mieux que quiconque, et leur écriture s’en ressent quand elle s’offre sur le mode de la conversation et quand le dernier énoncé chasse le précédent dans l’improbable mémoire des archives.

Mais comment ces paroles font-elles retour sur les corps ? Car il faut bien qu’à un moment ou l’autre, la parole s’incarne. De quels nouveaux maux serai-je affligée en jouant à ce petit jeu ? Ai-je seulement le choix ? Je sais pertinemment que les effets de cette grande conversation numérique se font ressentir bien au delà du monde virtuel.

Au secours, j’ai peur !

Les blogs me fascinent et me font peur. Est-ce si ridicule ?
Jean-Luc Raymond m’a tendu la main, mais ce n’était pas pour m’extirper du bain. Il a plutôt contribué à m’y plonger. Pour commencer, il a ajouté Transactiv.exe dans le blogroll de Mediatic. Il faut croire qu’il y reconnaissait déjà quelque chose de « bloguesque ». Puis, en février dernier, il m’a proposée de co-bloguer pendant une semaine sur Mediatic pour fêter son premier anniversaire. Je me suis dit allons y, bloguons pour de vrai, histoire de boire la coupe jusqu’à la lie. Voyons voir quel goût ça a tout au fond. Et puis de prolongement en prolongement, je me retrouve encore en train de co-bloguer sur Mediatic. Pas tous les jours bien sûr ! je ne blogue qu’en pointillé. Il faut bien que je résiste un peu (si, si ! j’arrive même à passer une semaine entière sans bloguer !).

Dans la blogosphère, tout le monde connaît Mediatic, le blog francophone qui parle des blogs. De proche en proche, cela fait beaucoup d’informations : innovations technologiques, questions politiques, juridiques, économiques, sociologiques, éthiques, artistiques... Parce que les blogs parlent de tout et servent à tout, un blog sur les blogs, s’intéressera nécessairement à tout. Donc c’est un blog touche à tout, surtout depuis que nous sommes plusieurs à y insérer nos digressions.

Mediatic, ce sont des repérages introduits de façon suffisamment explicite et concise pour qu’on ait envie d’aller voir ce que disent les liens. Ce sont aussi des touches de poésie glanées sur les blogs et nombre de petits trésors dénichés chaque jour sur la grande toile. C’est un fouillis prodigieux de ressources qui, contre toute attente, n’est jamais devenu robotique.

Ce qui rend Mediatic si humain est un secret qui appartient sans doute à son auteur, Jean-Luc Raymond. Un dosage magique de détachement et d’implication personnelle, d’attention et de respect, de curiosité tout azimuth et de mesure. En moins d’un an, Jean-Luc a su fédérer la blogosphère francophone, susciter des passions et bien sûr des fâcheries aussi, donc des divisions. C’est ça la passion !

Une fois que vous avez passé le seuil de Mediatic, votre immersion dans le monde des blogs est assurée. J’y suis arrivée la première fois en mai 2003, alors que je faisais des recherches sur H. Rheingold. Mediatic n’existait que depuis 4 mois, mais paraissait déjà comme une institution. Avant, je ne connaissais que quelques blogs de façon très isolée, et je me disais, tiens, c’est drôle ces sites qui n’ont qu’une page et qui s’écrivent comme on parle. Ils m’apparaissaient comme un archaïsme, parce qu’au lieu d’utiliser la structure compliquée de l’hypertexte, ils se présentent comme les vieux parchemins qu’on déroule en fil continu. Sauf que là, tout s’affiche dans la chronologie inversée d’un curriculum vitae. Le présent prime sur le passé, le chasse d’une pichenette vers les archives. C’est la vie.

Le blog comme métonymie

Cette simplicité apparente a quelque chose de rassurant. Un site, une page, et quand c’est trop long, hop ! on coupe et on range les rouleaux en archive. Pourquoi s’embêter à créer des chapitres et des rubriques, des salons et des chambres, des systèmes et des galaxies ? Les catégories font très bien l’affaire. Le site n’a plus la prétention d’être un monde à lui tout seul, infatué de sa prope complétude. Il n’en est qu’une infime portion. C’est ce qui favorise le ton personnel, parfois familier. Le blog est un minuscule bivouac accroché à un coin de toile, une toute petite tache à flanc de rocher. Mais de là haut, quelle vue sur le paysage !

N’en déplaise aux vrais francophones qui voudraient parler de carnet web ou de joueb, je préfère le mot blog pour sa petitesse. Un petit mot qui éclate presque sans bruit, comme une bulle de savon, pour dire sa vanité. Miroir global et éphémère, totalité et vacuité. Plus on est petit, plus on est dépendant. Parce qu’il se sait petit, le blog a tendance à s’étendre en dehors de lui-même par des liens externes. Il devient liant, et c’est ce qui le rend sympathique.

Des liens pour indexer ou annexer le contenu d’un autre site, pour s’économiser la remise en forme des informations, des liens pour mémoire, pour collection ou pour amuser les amis, des liens pour restituer le contexte, référencer un propos, étayer une opinion, réagir et rebondir. Et même, des liens purement phatiques, pour dire oui, je t’écoute, tu existes, et moi, est-ce que tu me vois ?

Parfois, les blogueurs m’amusent. Ils ont beau avoir des champs de commentaire, ils préférent s’exprimer chacun chez soi, en s’interpellant d’un link que l’interlocuteur ne manquera pas de remarquer dans ses referers. Ils ressemblent aux ménagères de village qui se mettent à leur fenêtre pour se parler de part et d’autre de la rue. Comme ça au moins, tout le quartier les entend. S’inviter chez l’autre pour nourrir le champ des commentaires, c’est un signe de familiarité ou un grand honneur. Sinon, il s’agit d’une agression. En tout état de cause, c’est un énoncé secondaire subordonné à l’énoncé principal. Les blogueurs y sont réticents, à moins que la relation de subordination ne soit réciproque. Un blog a beau n’être qu’un grain de sable dans le grand sablier du web, il tient néanmoins à le représenter tout entier par métonymie.

A s’en tenir à ces codes de conduite, les blogs semblent surtout correspondre à l’apparition d’une forme de conscience, celle de l’individualisme de masse. Chacun mesure sa petitesse dans le contexte global du web, chacun cherche à embrasser ce monde trop vaste, et en même temps à s’y singulariser. Tension entre deux mouvements contraires, qui se résoud dans le fait de savoir parler de ce qui intéresse déjà tout le monde, mais d’une façon originale, et si possible pertinente et impertinente. Exactement le jeu de l’art.

A corps perdu, accord retrouvé ?

Les blogs permettent-ils de coopérer, participent-ils à l’émergence d’une nouvelle forme de citoyenneté ? Le co-blogging qui se pratique de plus en plus laisse-t-il encore de la place à l’expression subjective ? Bloguer est-il un acte social ou au contraire asocial ? Voilà des questions que la plupart des blogueurs ressassent, et auxquels il est impossible d’apporter une réponse générale en se fondant sur des statistiques. J’y vois plutôt des défis.

Des défis adressés aux personnes, et non aux blogs.

Depuis quelque temps, Jean-Luc nous annonce la fin de Mediatic. C’est imminent, c’était pour aujourd’hui ou pour hier, ce sera peut-être pour demain. Mais finalement non, il a décidé de continuer. Ce qui est évident, c’est qu’il arrive à un tournant.

Drôle d’aventure que celle de Mediatic. En s’intéressant aux enjeux économiques des petites entreprises qui s’arrachent le marché des solutions de blog, Jean-Luc s’expose très inconfortablement sur leur champ de bataille. Cela ne l’empêche pas d’informer régulièrement sur les logiciels libres qui permettent de monter un blog en quelques clics. En testant les intrusions publicitaires, il souille peut-être son blog, mais se met en bonne position pour juger de la viabilité d’un blog semi-commercial. En un an et demi, il a accompagné l’évolution des blogs jusqu’à leur instrumentalisation en politique et marketing, et cette évolution n’a plus beaucoup de rapport avec ce qu’il a cru promouvoir. Mais en même temps, il a contribué à cette évolution en faisant la promotion des blogs.

Faut-il se compromettre pour connaître ? C’est encore la question que je me pose à propos de mon expérience du blogging.

La poursuite du blogging collaboratif peut-il aider Mediatic à passer ce cap ? Peut-être, mais à condition de savoir vers quoi il souhaite s’orienter.

En attendant, grâce à Jean-Luc, j’ai appris une foule de petites choses, et j’ai découvert nombre de blogs qui m’ont intéressée et parfois passionnée de façon durable. Ce sont des liens que je garde au chaud dans mes signets. Malgré les alias sans corps, certaines rencontres se sont avérées d’une richesse inattendue et encore pleine de promesses. Jean-Luc a également réussi à me convertir au fil RSS et à l’adoption d’un blog, parce que je m’aperçois que la meilleure façon de ranger mes signets, citations, petites idées, c’est encore le fil chronologique. Ma mémoire est d’abord visuelle, ensuite chronologique. Le rangement spatial ne me réussit pas, et les classements thématiques sont une véritable torture pour mes méninges. Alors voilà, Jean-Luc a gagné, j’ouvre un blog, mais vous ne le verrez pas, car il est en local.

Bémol en forme de bilan corporel

Après 4 mois de spipouillage et de blogging combiné : entorse, ophtalmie, otite, hypo-tension, distraction au volant se soldant par 7 points de retrait sur le permis de conduire...

J’ai avalé trop de web. Je lève le pied et vous dis à bientôt, ici ou sur Mediatic.


 
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