Pour le 6ème Parismob du Samedi 15 mai, la moitié des participants avaient pour consigne de s’habiller en blanc, l’autre moitié en noir. Chaque groupe ayant un point de rendez vous différent, ils ont ensuite convergé vers le grand bassin du jardin du Luxembourg qui servait opportunément de miroir à ce face à face du collectif, rencontre de la foule avec elle même. Confrontés ainsi, les noirs et les blancs pouvaient s’évaluer mutuellement, apprécier le nombre et la cohésion de ceux d’en face, comme deux armées qui s’observent avant l’affrontement sur un champ de bataille. Les participants étaient ensuite invités à courir autour du bassin pour tenter d’attrapper un des membres du groupe opposé. Une fois les couples Yin/Yang constitués dans la reconnaissance mutuelle de l’ombre et du fantôme, ils devaient se disperser.
Pour la représentation de l’opéra de Bizet renommé pour l’occasion "Olé Carmen" au Stade de France le 20 septembre 2003, les spectateurs avaient eu également pour consigne de venir vêtus de blanc, si bien qu’en remplissant les gradins sur 360°, ils servaient d’écran panoramique pour une projection (conçue par Jacques Rouveyrollis) représentant des paysages et l’ombre d’un taureau tournant tout autour du stade. [1]
L’association pour la Protection des animaux ainsi que le CVA et la FLFDA dénonçaient le fait que de façon latente, ce spectacle faisait la promotion de la corrida.
Que la figure du taureau s’incarne dans le corps collectif des spectateurs pourrait-il être assimilé à un acte de cruauté sur animaux ? Verrons nous un jour se constituer des associations pour dénoncer l’instrumentalisation des spectateurs qui prêtent corps à ces jeux d’ombre et de lumière ?
Plaisanterie mise à part, force est de constater que les participants des flash mobs comme les figurants des photographies de Spencer Tunick ou les spectateurs du stade de France se prêtent volontiers au jeu, et sont même ravis de participer à l’émergence d’un NOUS dans lequel ils se fondent pour tenter de fonder une nouvelle identité. La nécessité de rechercher une identité collective, un sentiment de communauté, l’emporterait sur le sentiment d’aliénation ou de manipulation de ceux qui se laissent ainsi instrumentaliser. La récurrence actuelle des dispositifs événementiels qui permettent d’objectiver l’image d’une communauté et de lui restituer cette image sous forme de spectacle ou d’oeuvre photographique en est la manifestation. Chaque occurrence confirme un peu plus cette quête de cohésion dans un nouveau corps constitué par la multitude.
Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi cette quête deviendrait-elle aujourd’hui si impérieuse que l’on consente à lui sacrifier une liberté individuelle qui jusqu’à présent était au coeur des valeurs de la modernité occidentale ?
Peut-être pourrions nous en rechercher la raison dans le paradoxe que soulignait Jean-Luc Nancy :
"La mondialisation est une occidentalisation (cf. le titre de Latouche, L’Occidentalisation du monde) dans laquelle l’Occident, comme de juste, se désidentifie en s’universalisant (technique, marché, et représentation de soi juridico-démocratique) et perd en lui-même son organisation interne (le rapport de ses États) - il n’est donc pas étonnant que la mondialisation soit à la fois pour l’Occident une domination sans appel (bien plus profonde que le mode colonisateur) et une désidentification angoissante. Or la phase extrême de ce processus est à peine engagée"
Entretien, Jean-Luc Nancy, AVRIL 2000 par Stany Grelet, Mathieu Potte-Bonneville, Vacarme.
Dès lors, rien d’étonnant à ce que certains flash-mobs aient pu mettre en scène les signes d’une recherche de l’Orient. Bien qu’involontaires, ces signes n’en sont pas moins symptomatiques. Cet Orient épuisé et acculturé, vidé de sa substance, n’offre plus l’altérité qui permettrait de fonder l’identité occidentale. Ou bien, présenté comme barbare et terroriste, il ne produit en contrepoint qu’une caricature tout aussi inconsistante de démocratie en guise d’identité pour l’Occident.
Mais dans les flash-mobs, l’évocation de l’Orient n’apparaît pas seulement sous forme de signes fortuits ou de lapsus. On peut en reconnaître également la trace dans la structure même de ces dispositifs évènementiels qui tendent un miroir unificateur à la multitude. Je vous avais promis un jour de vous raconter l’histoire du Simorgh selon la version de Farid Uddîn-é Attâr. C’est une version mystique datant du début du 13ème siècle [2]. L’histoire est connue en Occident, puisque le Mantegh-al-Teyr a été traduit par Garcin de Tassy en 1863 sous le titre du Colloque des oiseaux, et qu’en 1979 Peter Brook en a réalisé une mise en scène pour le théâtre sous le titre de La conférence des oiseaux.
Pour aller au plus court, je me contenterai de la résumer ainsi : une troupe d’oiseaux part à la recherche du Simorgh. Ils traversent sept vallées merveilleuses ; beaucoup d’oiseaux ont rebroussé chemin découragés par les difficultés, un grand nombre encore s’égare dans la contemplation des merveilles rencontrées en route. Au terme du voyage ils ne sont plus que trente. Ils traversent encore des sas de lumière avant d’atteindre Le Simorgh : celui ci est leur image collective. Le mot Si-morgh veut dire littéralement trente-oiseau.
[1] théothea.com pour les images, et visualtv : "Au centre, dans un premier cercle de 20 mètres de diamètre, se tiennent le Choeur et l’Orchestre phillarmonique de Radio France dirigés par Marco Giudarini. Tout autour étaient installés 9 rectangles noirs de 300m2 en légère pente : ce sont des écrans diodes qui ont permis au public de suivre l’action. Un public qui s’est inscrit dans le dispositif, des paysages ont été projétés sur les gradins avec un public tout vêtu de blanc !"
[2] Cette version de Attâr est bien différente de la version antérieure rapportée par Ferdowsi, au début du 11ème siècle, à partir de sources antiques. Mais la fonction du Simorgh de Ferdowsi n’est pas sans rapport avec la figure du Simorgh de Attâr. Par ailleurs, on trouve dans la culture populaire nombre de contes fantastiques qui accordent au Simorgh la vertu de tout inverser comme dans un miroir.
A signaler, d’autres images du 6ème Parismob, prises par Pierre Bernard qui est décidément de tous les flash mobs parisiens.
Je remarquais à propos du 4ème Parismob, que les récits et réactions des mobeurs devenaient de plus en plus rares sur les blogs et les sites personnels, et cette tendance se confirme. Une semaine après ce 6ème Parismob, la page du Craowiki qui a été créé pour héberger les liens vers les compte rendus est presque vide. Ce qui peut paraître paradoxal eu égard au nombre très important de personnes qui ont participé au 6ème Parismob.
Comme le remarquait à ce moment là Jean Luc Raymond sur Mediatic, le public des flashmob a changé, et les flash mobs se sont "démocratisés" :
"C’est que les flashmobeurs d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. Le premier flashmob parisien était principalement constitué par un public de technophiles (population internaute avertie).
Avec le relais des médias, le flashmob s’est "démocratisé". Il touche le grand public internaute, se confond en un jeu collectif où l’individu n’a peut-être plus sa part d’existant : c’est la "hola" ou l’ensemble des petites lumières qui comptent sur les Champs-Elysées, aujourd’hui ce sont les "couples" qui se forment...
La question est : peut-on encore parler de flashmob ? Le festif gagne sur l’incrédulité, la surprise..."
Nous assistons donc à une massification qui n’a plus rien à voir avec l’architecture réticulaire qui soustendait le phénomène à ses débuts ? En septembre de l’année dernière, je suis revenue à plusieurs reprises, ici et là sur la rivalité entre cette vision ou organisation réticulaire et une vision ou organisation plus centralisée et dominatrice sur les flash mobs. De son côté, Bernard Guelton, dans son article consacré aux foules éclair sur le site Archée mène son analyse vers l’hypothèse que le flash mobs "...est un corps-miroir du réseau", en soulignant le caractère délocalisé du réseau qui est partout et nulle part à la fois :
"Si le réseau est pour l’essentiel une interconnexion de noeuds (virtuellement toujours extensible en surface, en couche et en densité), celui-ci est à la fois partout, (au moins virtuellement partout), ce qui revient à dire qu’il ne réside dans aucun lieu. D’où la nécessité justement de lui donner une forme, de le rendre visible et lisible à travers une situation qui ne pourra être forcément que fragmentaire et éphémère. Il me semble que la motivation de rencontre interindividuelle qui préside au rassemblement d’une foule-éclair se partage de façon relativement égale avec l’autre aspect qui est de donner une visibilité au réseau."
Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est une centralisation grandissante des lieux d’expression relatés aux flash mobs, à tel point que le site organisateur est aussi le lieu où se consignent les retours d’expérience. La complexité des interconnexions et renvois de liens se réduit désormais à un pointeur unique, le site de Parismob qui recueille directement les compte-rendus des mobeurs, et qui met à leur disposition un forum pour échanger leurs commentaires ou poster leurs photos.
C’est vrai, plus personne ne commente les flashmobs dans son blog
http://humantarget.blogspot.com/
http://littlesa.free.fr/blog/mai04.html
http://www.jacheet.com/albums/parismob0405/
http://gvgvsse.free.fr/index.php?m=200405#489
http://hl.aux3bourriques.com/divers/video_flashmob_black_white/
pas mal d’autres....
et sans compter http://www.transactiv-exe.org/archiveforum.php3?id_forum=330, mais bon personne ne la lit, à part elle et moi...
Méthode simple. On ne met rien dans le craowiki et apres on s’étonne : oooh c’est bizarre, il n’y a rien dans le craowiki...
Vous annonciez la fin des flashmobs quelques jours avant celle des champs elysées qui a rassemblé 1300 personnes...
pourquoi tant de haine... et pourquoi un tel besoin de désinformer...
Eh bien merci d’être le seul à me lire alors, c’est bien aimable à vous !
Merci aussi pour les liens. Sur les 5 il y en a un que j’avais déjà signalé (facile, il était pointé directement par Parismob) et un autre qui est sur le site d’un restaurant qui fait sa pub en relayant une vidéo du flash-mob (Suivez mon regard).
Restent les trois autres que vous me faites généreusement découvrir. Pour ceux qui ont des liens permanents, je m’empresse de les inscrire ici avant qu’ils ne se noient dans les archives bloguesques (des fois que ce soit un moment historique inoubliable, on ne sait jamais) :
Human target : Noirs blancs bleus et poussiérieux
gvgvsse : black & white
C’est sûr, ils auraient dû signaler leurs billets sur CraoWiki. Je ne sais pas qui est ce "On" dont vous parlez, CraoWiki est un espace collectif où chacun peut éditer et compléter des pages. Vous pouvez le faire aussi, la communauté des craowikistes vous en sera certainement reconnaissant. Après le bain de poussière du jardin du Luxembourg, vous pouvez essayer le Bac à sable de CraoWiki. Mais oui, vous verrez que vous pouvez même y créer votre propre page pour raconter votre merveilleuse expérience des flash mobs. Et surtout, sourtout, ne manquez pas d’exprimer votre enthousiasme !