Il est 12h30. Voici le message que je viens d’envoyer à Jef :
Salut Jef,
Voilà le message que je viens de recevoir de Parismob :
"Le troisième Parismob aura lieu ce soir.
Synchronisez dès maintenant votre montre sur l’horloge
http://www.horloge-parlante.com/fr ou sur votre téléphone au 3699 ;
Rendez vous ce soir à 17h51 sur le banc se trouvant sur la petite place devant le 1 Quai de Montebello (Metro Saint Michel).
Une personne vous remettra la fiche d’instructions de ce Parismob.
Vous serez libéré au plus tard à 18h20
Dans la mesure du possible, apportez votre appareil photo.
Nous vous souhaitons un excellent Flashmob."
J’attends donc ton appel dès 17h 45 ou 17h50 au plus tard.
Je suis fin prête, j’ai installé le téléphone muni d’un haut parleur près du PC. Je rédige l’intro de notre interview.
Si Waleter vient avec toi, dis lui de prendre l’appareil photo pour que tu ne sois pas trop encombré.
Par la suite, on pourra intégrer ses photos dans l’article
A tout à l’heure,
Isa
En attendant l’appel de Jean-François, j’ai tout le temps de soigner mon introduction. Profitez en, cela ne va pas durer. Bientôt, les choses vont se précipiter, et il me faudra battre des records de vitesse au clavier pour suivre son débit de parole. Je peux vous dire d’ores et déjà, que ça ne sera pas facile, car Jean-François, Jef pour les intimes, est encore plus bavard que moi. J’ai beau avoir des années d’entraîement dactylo dans les doigts
(eh oui, il a bien fallu vivre de quelque chose pendant les années d’étude !) je ne pourrai pas tout retranscrire, c’est couru d’avance. D’ailleurs, Jef lui-même, parle tellement vite, que la moitié de ses phrases sont généralement ravalées dans quelque recoin inaudible de ses joues ou de son larynx.
Notre occupation favorite à Jef et moi, c’est de bavarder sans fin pour échafauder des tas de projets enthousiasmants que nous ne réaliserons jamais, parce qu’au fond, le monde est déjà tellement encombré, les esprits tellement saturés, la vie si courte, et le canapé du salon si confortable. Règulièrement, nos conversations sont ponctuées par des "à quoi bon" ou pour le dire plus savamment, par des "Vanitas vanitatum, et omnia vanitas", après quoi nous rions un bon coup et allumons d’autres mortelles cigarettes pour rebondir encore sur de nouveaux délires. Bref, nous meublons le temps avec un bouillonnement de projets plus ou moins confus, presque toujours abandonnés avant même d’être esquissés, et quand nos imaginations sont à sec, nous relançons notre sempiternelle promesse de fonder le club des "Inconséquents" qui, comme de juste, se caractérisent par une procrastination aussi jubilatoire que désabusée.
Mais figurez vous qu’aujourd’hui, J’ai réussi à décider Jef à sortir de son appart. Je lui ai demandé d’aller au 3ème flashmob de Parismob de ma part, pendant que je l’interviewerai au téléphone, tout en saisissant notre conversation en direct sur Transactiv.exe.
Ouais, c’est super ! A dit Jef, Il fait beau, et de toutes façons, j’ai un forfait téléphonique gratuit. Je suis curieux d’essayer, pour voir à quoi ça ressemble.
Entre nous dit, je devine que c’est surtout la perspective de bavarder encore au téléphone qui le motive ;)
Après tout il y a sûrement mille et une façons de participer à une foule-éclair. Depuis que je m’intéresse de près ou de loin au phénomène, mon intérêt sur les différents aspects de ce petit jeu se déplace. La 1ère fois j’étais intriguée, quand à la fin du mois de juin dernier, au détour de nos discussions sur H.Rheingold, ma collègue, Karen, me signalait le second
flashmob New-yorkais sur le site de Cheesbikini. Fin août au
retour des vacances, j’étais frustrée de manquer le premier flashmob
parisien, et intéressée par les différents points de vues photographiques qui en avaient résulté. Début septembre j’étais déçue par l’étrange solitude que j’avais ressenti en participant au second Parismob, et très sceptique face aux connotations symboliques et religieuses qu’il véhiculait. Cependant, autant le rassemblement sur terre était décevant, autant les récits et les débats qui se poursuivent en ligne, ici comme sur d’autres sites, me paraissent intéressants dans la façon dont ils s’amorcent, se développent, et se croisent. J’ai donc décidé de participer à ce troisième Parismob en restant dans l’antre du réseau.
Dans ce jeu où la rencontre sur terre est surtout un alibi pour les commentaires en ligne, la vitesse de tir, comme le débit, valent leur pesant d’or (virtuel, éphémère et parfaitement vain, il va de soi). Je parie que notre Spip prolongé d’un simple téléphone domestique et d’un petit portable peut tirer plus vite que le laborieux thumb-writing des moblogueurs.
Bien sûr, je ne cours pas dans la catégorie des audio ou vidéo-streamers, ni dans celle des photo-mobbers (je ne vais tout de même pas me fendre de 400 euros pour un jeu aussi puéril !), mais pour ce qui est du récit, je crois qu’avec Jef, nous aurons de quoi assurer.
Il est 17h40, j’ai eu le temps de déjeuner, de faire le ravitaillement de la semaine, de bavarder avec Olivier au supermarché, de prendre le thé sur la terrasse,et j’attends l’appel de jef. Ah oui, j’ai aussi écrit à Thibaud, notre hébergeur chez PHPnet, pour lui demander de ne pas faire de travaux sur le serveur aujourd’hui. Ce n’est pas le moment d’avoir une panne.
J’avoue : j’ai un peu le trac. C’est sûr, mes doigts vont fourcher, il y aura plein de coquilles, je vais avoir très très honte !
Ca y est ça sonne
jef, dis moi où tu en es
jef : je suis sorti du métro, je suis avec Laurence, et j’ai rencontré un autre copain, du côté de la rue de la bûcherie, on voit des gens qui attendent. Rue de la bûcherie, il y avait une cinquantaine de personnes, et là nous arrivons au quai Montebello. Voilà nous sommes arrivés, il y a beaucoup de monde
isa : combien ?
jef : entre 30 ET 40, il y a des caméras. ca se passe sur le parvis de Notre Dame, on l’avait subodoré. On nous a donné le papier
isa : Qui t’a donné de papier ?
jef : une jeune femme blonde. Il y a une grosse caméra professionnelle avec un micro en mousse...
isa : j’entends pas !
jef : nous attendons que d’autres amis arrivent
isa : tu pieux me dire ce qui est écrit sur le papier ?
jef : alors voilà : "rendez vous dès maintenant sur le parvis de Notre Damen, promenez vous tranquillement sur le parvis comme un touriste, sans former de groupe jusqu’à 18H10. Restez dans la zone la plus vaste du parvis, en excluant la partie la plus proche de la cathédrale. à 18H10 choisissez vous une dalle et décorez la à votre choix.
isa : avec quoi ?
jef : on a eu une craie dès le départ avec les instructions
isa : tu sais qu’à Montréal , le dernier flashmob était comme ça, avec des flèches à mettre . alors la suite du texte ?
jef : à 18H12, prenez votre dalle en photo
isa : tu as un appareil ?
jef : oui . la suite : les participant les plus au centre du parvis forment un cercle en se tenant par la main. Chaque participant rejoint petit à petit à la ronde qui s’agrandit jusqu’à englober tout le parvis et le vider de ses occupants.
isa : ensuite ?
jef : à 18H14, vous formez un grand rectangle tout autour du parvis.
isa : oh la la !!
jef : attendez la sonnerie des cloches de Notre Dame, à 18H15, les cloches de ND sonnent, (ah là là...) , quittez les lieux en vous bouchant les oreilles avec les mains, comme si le son des cloches était assourdissant.
isa : eh ben dis donc, on dirait que le message, c’est d’être sourd à la voix de l’église
jef : oui, je sais pas, ça n’a aucun sens.
isa : j’entends pas
jef : ça a un côté centre aéré qui me laisse perplexe ;
isa : est-ce que tu as parlé à la dame blonde ?
jef : non il y a trop de monde, et de toutes façons maintenant on est sur le parvis.
isa : tu peux me décrire quelques personnes autour de toi ?
jef : dans l’ensemble, jeune, sympathique, beaucoup de couples
isa : est-ce qu’il y a beaucoup de gens seuls ? est-ce qu’ils se parlent ?
jef : les gens sont en groupe et ils parlent avec les gens avec lesques ils sont venus.
isa : décris moi les gens
jef : ben je sais pas, qui est sympathique. Il ya un couple qui me regarde bizarrement, parce que fais une interview en direct. tu veux que j’interview des gens ?
isa : tu as plan pour ton dessin ?
jef : ben non je sais pas encore, faudrait que je prévoie quelque chose, c’est comme un examen.
isa : qu’est-ce que tu pourrais bien dessiner sur le parvis de notre dame ?
jef : ben une télévision. Non trois télévisions. Une trinité télévisuelle. Voilà.
isa : tu as des craies de couleur
jef : j’ai une jaune. Laurence en a une bleue. une amie en a une rouge. mais je ne veux pas utiliser la rouge
isa : pourquoi pas la rouge.
jef : comme ça, parce que le père le fils et le saint esprit et que le saint esprit sera vert, le mélange du jaune et du bleu. et vert couleur d’espoir, et tralala...
jef : j’ai une amie récalcitrante, c’est ma nounou, je peux pas sortir sans elle. Ah il y a un chinois qui prie, les mains jointes face à la cathédrale. Je le photographie. Il n’est pas là pour le flashmob.
isa : qu’est-ce que tu en sais
jef : eh ben ça yest il est parti
isa : est-ce que Laurence veut me dire quelque chose ?
Lurence : non (je l’entends rire)
isa : est-ce qu’il y a de plus en plus de monde ?
jef : le parvis est quand même rempli. On est pas au coude à coude quand-même.
isa : est-ce qu’il y a la presse et la télé. beaucoup de journalistes ?
jef : attends je vais me balader un peu pour voir. A mon avis il y a une seule personne avec une grosse caméra. On est en train de s’installer près d’une dalle. Tu veux que je me mette en vue d’une caméra ?
isa : tu fais comme tu veux
jef : ah ça y est, ça commence,
isa : tu dessines là ? Appliques toi, jef
jef : on me dit qu’on a droit à une seule dalle
isa : qui t’as dit ça ? Il y a une police ?
jef : non non, c’est les gens, les autres participants
isa : qu’est-ce que tu dis là ?
jef : il y a plein de gens qui photographient. avec l’autre craie ça marche pas bien, j’ai du mal à faire du vert.
isa : il est beau ton dessin ?
jef : bof, remarque c’est mignon. Ah, c’est fini on nous fait faire la farandole, ça va vite finalement. On se fait écraser. Ah il y a la caméra qui filme .
isa : tu donnes la main à quelqu’un ?
jef : c’est fini maintenant, on fait le tour
isa : c’était quoi ce chahut ?
jef : rien, on attend les cloches. Il y a des gens qui passent au travers du cercle. On est filmé .
isa : c’est les cloches ça ?
jef : ouais ouais, les gens courent,
(j’entends un sacré bruitage)
jef : les gens on leur a dit de se boucher les oreilles mais ils ont ajouté le fait de crier.
(j’entends les cloches, et du chahut)
isa : c’est fini ? vous vous dispersez ?
jef : oui
isa : est-ce que les gens partent, ou est-ce qu’ils ont envie de rester ?
jef : oui, ils regardent les dessins au sol
isa : tu fais quoi ?
jef : je parle avec une fille, et je lui donnes l’adresse de transactiv.exe pour qu’elle aille voir le compte rendu
(j’entends jef qui interroge quelqu’un, ça vous a plu ? vous allez en faire d’autres ? mais je n’entends pas les réponses de la jeune fille. J’entends toujours les cloches.)
jef : la personne s’appelle Apoline, elle a vu le flash mob dans le journal, elle a même pas 20 ans, elle est avec des copines, les cheveux longs,...)
isa : bon jef, je mets en ligne l’interview. Tu viendras ajouter des commentaires sur le forum.
jef : ok, à plus
Certes, ce n’est pas du Streetmob et cela ne mobilise pas (encore) les foules, mais d’après Mélanie Bulan qui y consacre un petit article dans le Monde du 29 juillet, le streetbooming serait le dernier avatar des flashmobs. Les vidéos montrent des scénarios un peu plus narratifs que pour les flashmobs. Les participants, beaucoup moins nombreux, se sont vraisemblablement concertés auparavant pour coordonner leurs actions. Cela s’apparente plus au théâtre de rue. D’ailleurs, toujours selon Mélanie Bulan, un streetbooming est prévu dans le cadre du Festival international de théâtre de rue à Aurillac qui se déroulera du 20 au 23 août. Alors quel rapport y a-t-il encore avec les flashmobs ? C’est le mode de recrutement des participants qui se portent volontaires via un blog.
J’aime bien celui qui a été organisé en mai à Ivry : l’action est décomposée à la façon des chronophotographies de Marey et chaque instant est joué par un acteur différent.
Salut,
c’est vrai, le streetbooming est totalement différent des flashmob et autres mouvements, beaucoup trop mou et panurgien à mon gout, ici chaque boomer est libre de ses faits et gestes, et personne ne lui hurle dans les oreilles avec un mégaphone pour lui indiquer où poser son pied droit et que faire de son gauche. Contrairement à ce que tu peux sous entendre chère isabelle, les participants sont totalement free et aborde la ville avec un regard totalement acéré afin d’en jouer. Rien de prépaé dans tout çà.Si nous avons été invité dans plusieurs festival cet été, c’est qu’une rencontre avec un programmateur nous a tracé le chemins des arts de la rue. Devions nous y aller, la question fait débat au sein des participants, personnellement aprés quelques réticences, j’ai beaucoup apprécié cette expèrience puisque faire des fig dans les rues avec plusieurs centaines de personnes comme à chalon ou villeurbanne, pour nous c’était inespéré. De plus si les programmateurs se tournent vers nous, c’est qu’effectivement il y a un problème au niveau de l’offre artistique et que ces festivals ont besoin de gens qui se réapproprient la rue et se mêlent ensemble afin de s’amuser, se rencontrer, et de CREER dans une totale complicité et une certaine osmose sans distinction de race, de niveau social...Tout le monde est acteur et c’est tant mieux.
pour plus d’infos streetbooming.org
Cinq ans, n’est-ce pas trop tôt pour commémorer les flashmobs ?
Et si ce n’est une commémoration, alors c’est une rechute.
Depuis quelques jours, les médias font grand état d’un nouveau scénario qui recycle l’idée des flashmobs sous le nom de frozen mob. Le concept a été lancé à New York par Charlie Todd (Improv Everywhere), et se répand à toute vitesse. En quelques semaines, il y en a eu à Londres, Montréal, Shangaï. A Paris, cela s’est déroulé le 8 mars place du Trocadéo.
On croyait les flash-mobs passés de mode, on en voyait la fin dans le coming-out de Bill Wazik, leur premier inventeur, qui avait préféré rester anonyme afin que le public puisse se les approprier plus facilement. A tort, on a interprété le découvrement de l’auteur comme un recouvrement (de santé), semblable en cela, au convalescent qui se décide enfin à sortir de dessous la couette.
Mais si Bill Wazik est guéri, le virus lui, continue de circuler dans la foule et surtout dans l’esprit d’autres organisateurs de divertissements qui, à la différence de Bill Wazik, ne tiennent pas à rester anonymes. C’est là, semble-t-il, une des particularités de la nouvelle souche de flashmob. Ce sont des flashmobs d’auteur. Une fois la pratique adoptée par le public, l’anonymat de l’organisateur ne semble plus être une qualité requise pour que l’événement fasse recette.
Flashmob d’auteur :
Le Freeze Paris a été organisé par Charles Nouÿrit qui se présente comme un « Consultant en stratégie et en développement d’activité numérique ». On peut supposer que ce flashmob version Web 0.2 est une sorte de laboratoire de travaux pratiques en rapport avec sa spécialité. Charles Nouÿrit est si bien convaincu d’être l’auteur de Freeze Paris, qu’il en revendique les droits de représentation. Aujourd’hui, il tempête contre certains médias qui n’on pas relayé l’événement tel qu’il le désirait : « Je ne suis pas prêt de leur redonner une autorisation pour filmer quoi que j’organise dans le futur ! »
D’ailleurs, les participants étaient prévenus :
« Si vous voulez filmer ou prendre des photos et que vous ne vous êtes pas encore fait connaitre, merci d’être là à 14h précise et de venir me voir.
Merci de prendre le TAG OFFICIEL pour tagger vos vidéos et vos photos : freezeparis
DROIT A L’IMAGE :
Bien évidemment en participant à cet évènement vous acceptez une cession totale de vos droits à l’image. Il ne sera fait ABSOLUMENT AUCUNE UTILISATION COMMERCIALE DE CET ÉVÈNEMENT !! »
On croit rêver ! L’absence d’utilisation commerciale est devenue un sésame qui donne tous les droits. La gratuité devient synonyme d’inconséquence.
Le réseautage s’organise sur Facebook ainsi qu’à partir du blog de l’auteur. Une fois sur place, les instructions sont dictées par mégaphone, et l’événement a réuni, dit-on, plus de 3000 personnes, c’est à dire 10 fois plus que les premiers flashmobs parisiens.
Tout cela n’a plus beaucoup de rapport avec le caractère furtif des premiers flashmobs. Et les polémiques sur l’opportunité ou non d’inviter les caméras professionnelles paraissent bien loin.
Mutation en aval et en amont :
C’est peut-être encore trop tôt pour l’avancer, mais un autre aspect intéressant dans l’évolution récente des flashmobs, pourrait être vu dans le fait que leur mutation se traduit par un nouvel enracinement, exactement comme un arbre qui fait une nouvelle racine en contrepoint à une nouvelle branche.
Si nous regardons l’archive des « missions » organisées par Charlie Todd depuis 2001, nous voyons que les flashmobs sont en train de s’inventer une autre histoire, et que c’est fort de cette tradition qu’ils reprennent aujourd’hui une certaine vigueur. Et bien que Charlie Todd récuse l’appellation de flashmob à ses missions, c’est bien sous cette étiquette que le scénario du frozen grand central a été adopé dans les autres villes. Certes, on a souvent parlé de happening à propos des flashmobs, mais d’une façon très générale. En outre, les confidences de Bill Wazik n’ont pas fait ressortir une préoccupation particulière liée aux happenings, même s’il est évident qu’il n’aurait jamais imaginé les flashmobs sans la vulgate du happening. Tout au contraire, la pratique de Charlie Todd et de ses amis jusqu’en 2003, relève plutôt du théâtre de rue et du happening. Parfois, elle est assimilable à l’art des saltimbanques (The amazing mime 2001) ou même à celle des camelots qui placent des complices dans le public (The amazing hypnotist 2002). Internet n’est pas présenté comme un élément déterminant de leurs actions. Ces actions sont l’œuvre d’une bande d’amis qui veulent amuser et étonner la rue et qui réussissent parfois à faire participer le public. Les noms ou surnoms des « agents » sont presque toujours listés au début de chaque compte-rendu de mission comme pour une affiche de théâtre ou un générique de film ; ils sont identifiés. Le nombre de participants augmente petit à petit avec les années. Quand, en 2003, ils reprennent dans une de leurs missions le principe des Free Hugs de Juan Mann, les passants abordés sont automatiquement intégrés à l’action. Et lorsqu’en 2004, il interviennent dans un théâtre pour The Mp3experiment, c’est tout le public qui est associé à l’expérience.
Un tournant intéressant est pris en avril 2006, avec la mission Best Buy dont le scénario leur a été suggéré par une personne étrangère au groupe. Pour Best Buy, le groupe s’est intégré à l’équipe des vendeurs d’un grand magasin en s’habillant exactement comme eux. La logique de ce scénario est tout l’inverse de celui des hypster visé par Bill Wazik. Le public auquel s’adresse Wazik est supposé vouloir rester un groupe fermé d’insiders, et le flashmob perd son intérêt dès qu’il commence à concerner trop de monde. A contrario, le groupe qui s’habille comme les vendeurs cherche à se mêler à un autre groupe et nullement à s’en distinguer. L’aperçu général des missions de Improv Everywhere montre souvent une tension entre le désir de se singulariser par des actions extravagantes et le désir d’intégrer les autres dans la même action.
Faire corps / se répandre :
Ce qui fait l’originalité et le succès des frozen mobs, c’est l’éparpillement des participants dans la foule ordinaire. Leur logique est à l’évidence virale et expansionniste. Sauf quelques cas où des petits groupes intervenaient dans des grand magasins, les premiers flashmobs nous avaient plutôt habitués à des scénarios où les participants se resserrent pour former des figures continues, farandoles, amas, chaîne, échiquier... On y percevait la volonté de faire corps et de s’exposer de façon séparée, de former une communauté. Cela restait assez proche des mises en scène de Spencer Tunik. Mais avec les frozen mobs, les participants se répandent comme des envahisseurs. Les deux mondes, celui qui est dans le réseau et celui qui est en dehors du réseau, se superposent et se mélangent. Nous n’avons plus l’image d’une communauté mais celle d’un peuple mêlé à un autre peuple. Pour les badauds qui étaient hors du coup, il est facile de s’intégrer aux autres : il suffit de se figer sur place.
L’idée d’une possible contamination devient alors très accessible, un peu comme dans ce film de la série Training ground qu’Arenout Mik avait présenté l’été dernier à la biennale de Venise ; on y voyait une mystérieuse maladie se répandre petit à petit parmi des personnes retenues au bord d’une route par des policiers ou douaniers. Au début du film, la différence entre les policiers-douaniers et les voyageurs est bien marquée, les premiers parquent les seconds, les immobilisent au sol, les fouillent. Puis un voyageur se met à perdre l’équilibre et à baver. D’autres voyageurs montrent bientôt les mêmes symptômes, et à leur tour, les policiers-douanier sont affectés du même mal. A la fin, ils sont tous pareils, bavant et se traînant par terre.
Les études simorghiennes, c’est sans doute bien pour comprendre comment se construit une image collective, mais je devrais peut-être me dépêcher d’en finir avec les histoires de Simorgh pour m’intéresser aussi à l’épidémiologie et à la mémétique.
"Not only was the flash mob a vacuous fad ; it was, in its very form (pointless aggregation and then dispersal), intended as a metaphor for the hollow hipster [i.e., those hundreds of thousands of educated young urbanites with strikingly similar tastes] culture that spawned it.
(...)
The basic hypothesis behind the Mob Project was as follows : seeing how all culture in New York was demonstrably commingled with scenesterism, the appeal of concerts and plays and readings and gallery shows deriving less from the work itself than from the social opportunities the work might engender, it should theoretically be possible to create an art project consisting of pure scene—meaning the scene would be the entire point of the work, and indeed would itself constitute the work."
Bill Wasik, My Crowd, Harpers Magazine, mars 2006
L’inventeur des flashmobs avait souvent accordé des entretiens aux médias de façon semi-anonyme en utilisant son seul prénom, mais cette fois, il prétend se découvrir : il s’appelle Bill Wasik, il a 31 ans, il est marié, habite dans le Maryland, et se présente comme "senior editor" de Harpers Magazine où il vient de publier My Crowd, un essai en 5 parties sur les flashmobs.
Mais, chose bizarre, hormis cet essai, sur Harpers Magazine, Bill n’a rien publié d’autre qu’un édito hebdomadaire datant du mois d’août 2003...
Le titre de l’essai, My Crowd (Ma Foule), dénote clairement une manoeuvre de réappropriation du concept des flashmobs au moment où des compagnies telles que Ford ou Sony tentent de l’utiliser pour leurs campagnes publicitaires.
Pour faire la promotion de cet essai, Bill a fait preuve du même talent que celui qu’il avait su déployer pour lancer les flashmobs. Il n’a pas lésiné sur les interviews, et la nouvelle s’est vite répandue sur le net. On peut lire et écouter un de ces entretiens sur le site On The Media, ou encore cet entretien plus fourni accordé à Vulture Dropping.
L’essai de Bill Wasik est à la fois sérieux et ironique. En tout état de cause, il est fouillé et tout à fait intéressant. Très immergé dans son sujet et le réseau humain dont il joue, Bill développe une pensée vivante qui avance au flair et à l’instinct tout en prenant appui sur des connaissances et un sens très fin de l’observation. Avec le recul et la capacité d’analyse dont il fait preuve dans cet essai, Bill Wasik s’affirme comme un spécialiste de l’utilisation des réseaux sociaux.
Dans le premier épisode, il explique pourquoi il sort maintenant de son anonymat :
"Over those who would sell to the hipsters, then, hangs the promise of instant adoption but also the specter of wholesale and irrevocable desertion (...) the corporation will be content merely to hitch itself to a succession of their whims.
Perhaps this is the explanation for Fusion Flash Concerts, an otherwise inexplicable marketing program this past summer in which Ford, attempting to sell a new sedan to the underthirty- five market, partnered with Sony to appropriate what may be the most forgettable hipster fad of the past five years. That fad is the “flash mob,” which, according to a definition hastily added in 2004 to the Oxford English Dictionary, is “a public gathering of complete strangers, organized via the Internet or mobile phone, who perform a pointless act and then disperse again.” In fact the flash mob, which dates back only to June 2003, had almost entirely died out by that same winter, despite its having spread during those few months to all the world’s continents save Antarctica. Not only was the flash mob a vacuous fad ; it was, in its very form (pointless aggregation and then dispersal), intended as a metaphor for the hollow hipster culture that spawned it.
I know this because I happen to have been the flash mob’s inventor. My association with the fad has heretofore remained semi-anonymous, on a first-name- only basis to all but friends and acquaintances. For more than two years, I concealed my identity for scientific purposes, but now that my experiment is essentially complete, corporate America having fulfilled (albeit a year later than expected) its final phase, I finally feel compelled to offer a report : on the flash mob, its life and times, and its consummation this summer in the clutches of the Ford Motor Company."
La seconde partie analyse les mécanismes de l’obédience et des comportements mimétiques. Bill se réfère largement aux théories de Stanley Milgram.
Dans la troisième partie, il observe l’expérience des Fusion Flash Concerts de Ford pour comprendre pourquoi leur façon de récupérer le flashmob ne pouvait pas marcher, puis il revient sur les flashmobs organisés par lui-même et la dynamique imprévisible des hipsters, leur versatilité, mais aussi l’équilibre très subtil de connivence et de lucidité, une sorte de naïveté assumée, qui fait qu’un engouement va pouvoir durer.
La quatrième partie traite des mécanismes de propagation des flashmobs via les mails et la blogosphère. Dans les comparaisons qu’il établit entre les flashmobs, les Fusion Flash Concerts et la campagne blogosphérique de Howard Dean, il met en évidence la limite des flashmobs lorsqu’on veut en faire un outil de diffusion pour un message politique ou commercial. L’attrait du flashmob est dans sa fermeture, dans le sentiment que les participants sont des "insiders". La notion d’espace clos horizontal, qui est essentiel au flashmob et à la dynamique des hipsters, est en contradiction avec la centralité irradiante d’une diffusion de masse. La force de contamination (ou de séduction) qui lie les mobbers s’affaiblit à mesure que s’élargit l’amplitude de l’espace social que l’on veut couvrir.
En conclusion, Bill Wasik discute la portée éthique des flashmobs. Son point de vue revient à présenter l’expérience des flashmobs comme une sorte de vaccin pour se prémunir contre des contaminations plus sérieuses. Il cite Milgram :
"The obedience experiment is not a study in which the subject is treated as a passive object, acted upon without any possibility of controlling his own experience. Indeed the entire experimental situation has been created to allow the subject to exercise a human choice, and thus express his nature as a person."
Après ça, si vous rêvez de devenir grand manipulateur des foules virtuelles, Gflu vous indique sur Aeiou de quoi faire mumuse avec un générateur de foule ordonnée.
Masse, une exposition de Jocelyn Cottencin, Latifa Laâbissi et Loïc Touzé, à la Galerie du Dourven (Côtes d’Armor), du 17 septembre au 6 novembre.
« Masse est un protocole d’actions qui se réalise entre deux groupes de personnes. Faire retour sur cette expérience nous donnera l’occasion d’en préciser le contenu, les enjeux, et les potentiels de traduction qu’elle génère.
Masse est la rencontre entre des danseurs et une communauté d’individus unis dans leur travail ou dans leur hobby par une pratique spécifique du corps. Par définition, une masse est un ensemble de personnes assemblées et concentrées de manière temporaire. Masse est une représentation de ce mouvement. Masse ne s’offre pas au regard dans le cadre d’une présentation publique. Des films, des photographies témoignent de l’expérimentation. Masse est pensée dès sa conception en terme d’exposition.
Le protocole de la rencontre est toujours le même, le changement de contexte modifie l’expérience... »
C’est assez concis comme description, et le site, tout en javascript, est tellement mal fichu qu’avec mon butineur je ne peux même pas scroller en bas du texte pour en savoir plus. Mais vu le titre et les photos de l’invitation, cela ressemble fort à des petits flashmobs. La distinction, comme pour les oeuvres de Spencer Tunick, s’établit sur le fait que l’action est conçue d’emblée pour produire une représentation.
On pourrait dire que c’est également le cas pour les flashmobs, vu le soin apporté par les organisateurs à créer des formes avec les mouvements de foule, mais cette forme n’est pas revendiquée comme une fin première. C’est d’abord le fait de participer à une expérience qui est mis en valeur dans les discours qui accompagnent les flashmobs.
Images de l’invitation :
Via Netlex, notre moteur de recherche favori ;)
Dans une nouvelle interview réalisée par Jonah Peretti, Bill, l’initiateur des flash mobs, revient en détail sur le mode d’organisation de l’évènement, les raisons de son premier échec en mai 2003 [1], et les raisons aussi du succès de l’opération pendant les mois qui ont suivi cette première tentative.
Dans la deuxième partie de cette interview, il analyse rétrospectivement la question de son semi-anonymat qui aurait été une des clés de ce succès. Un mélange d’intuition et de circonstances fortuites l’ont amené à ne divulguer que son prénom. Ceci l’identifiait comme un individu banal, ni personnalité singulière, ni force organisationnelle occulte. Le mystère de ce semi-anonymat serait donc assez familier pour ne pas pousser les participants à la défiance, assez excitant aussi, pour les motiver à la participation. Par ailleurs, cette identité serait assez neutre pour que chacun puisse s’approprier l’aventure collective du flash mob. Voilà qui résoud le problème de signature que je soulignais il y a quelques mois dans le forum-info de ce site.
« I felt that if the "Mob Project," rather than being this anonymous Internet thing, became known as "So-and-so’s Mob" — where there’s a controlling presence who’s out in the open — then people would pay too much attention to the man behind the curtain. »
« On the other hand, I think if I had been completely anonymous and hadn’t given any interviews at all, I might have had the problem where people thought, "This is a corporation, right ?" People would have thought it was some sort of immersive marketing thing where eventually, at the end, we would have all shown up to christen a new Applebee’s somewhere. »
« Instead, the mob was made by people who decided to take the project on as their own — people who got an e-mail and said to themselves, "You know what ? Not only might I want to go to this, but I’m going to forward this to ten of my friends, because this Mob thing is something that I want to help grow." In doing that, they were taking the project on as their own project. »
Ce savant dosage d’anonymat et d’identité singulière, résultat de l’évolution de l’individu dans un monde hybride, à la fois virtuel et actuel, interconnecté et localisé, donne donc naissance à un nouvel être, une sorte de mythe de l’homme ordinaire.
C’est ce que relève Jonah Peretti par : « that was fun to do partly because Bill was like a mythic figure. I mean, it wasn’t you... »
Ce mythe de l’homme ordinaire dans lequel peuvent se reconnaître les mobbeurs, serait-il l’élément fédérateur qui donnerait corps à un nouveau sujet collectif ?
Et pour porter quel projet ?
« just for the bare political statement that the people have a right to peaceably assemble when and where they choose, that we shouldn’t be afraid of disrupting the space that we live in, and that we shouldn’t be afraid of disrupting our routines and the routines of others. We shouldn’t be afraid to express ourselves in public, and to express ourselves collectively. These are very simple political principles and they were the inherent politics of flash mobs. And, these principles could be brought to bear on more projects. »
[1] "Bill has become more secretive about Mob Project plans since the first mob event was held in May.
That event drew six police officers and one paddy wagon, after one of the e-mail recipients (now officially known to the mob as "Squealy") alerted authorities to the impending arrival of the mob." (Wired.com, 19 juin 2003)
Tiens ! les flashmobs intéressent encore ?
Chryde (qui illustre son article avec une photo de Spencer Tunick) a repéréun nouvel entretien de « Bill », l’inventeur des flashmobs, paru dans le dernier numéro (24) de Stay Free magazine.
Bill donne encore des détails sur la façon dont il a organisé le premier flashmob en utilisant une adresse e-mail anonyme pour produire un effet de rumeur, et sur le caractère cyniquement consumériste de la chose :
« There was something purposely cynical even about the five-to-ten minute constraint, in that I wanted the thing to be readily consumable. "Oh, I can do that, it’s only ten minutes, it’s right after work, and it’s near a major subway line . . . . " »
Bien que les flashmobs aient connu un succès important dans toutes les grandes villes du monde, Bill tient à souligner le caractère spécifiquement NewYorkais du phénomène :
« but there’s such a big creative group in New York that you can make a living just making fun of the group around you—whether you’re a writer or comedian or artist. In the art world, for example, there are all of these art projects that make fun of the art world. In New York, you can sort of do that. »
L’aspect le plus intéressant de cet entretien réside dans l’analyse de l’évolution du sens que les différents publics ont voulu attribuer aux flashmobs à mesure que le phénomène se répandait. Avec le recul, Bill tente de distinguer les intentions qui étaient les siennes au moment où il organisait les premiers flashmobs et la façon dont il peut assumer les usages et interprétations politiques qui en ont été faites :
« The New York mob was, in a certain way, about anti-expression. It was kind of like, we’re all just going to show up and we’re going to chant and be a big physical presence for no reason other than we think that it’s funny. Whereas in other places it took on almost a "happening" kind of vibe, to express a certain kind of commonality, and to express, say, a certain opposition to corporate space. It was taken up almost entirely in a politically tinged way, even though it was never explicitly political. When it spread to other cities, there always seemed to be a sense of ,"This is a movement." Like, we know this is absurd, but by taking part we’re making a statement about the right of the people to peaceably assemble wherever they want.
As it started to spread and as I saw how people were responding to it, it became clear that it meant something different to them. I might have been the only cynical guy from the beginning ! I sort of became persuaded about the political relevance of the idea. »
« The net made flesh »
« People have been spending a lot of time in virtual communities since the internet took off, and I think people liked the flash mobs because they had an internet component, yet allowed you to see this virtual community made literal and physical. »
« The movement was a creation of the media. »
« The media spread the mob. The media said, "This is the next big thing," and then the New York Times ran the first mob backlash story less than two months after the first mob, which I thought was awesome. I knew that there was going to be a backlash story, but I couldn’t have dreamed it would happen that fast. »
Meme
« I was prepared to purchase suits for the children. But, yeah, the whole meme-making thing is weird. I have friends who basically make memes for a living—for art projects that involve spreading ideas through the internet. But things spread for reasons that are unknown to all of us. »
Bizarrement, comme la plus part des gens qui pratiquent le Web en dilettante (entre surf pseudo égotiste, achat en ligne et lecture de la presse en ligne), j’ai découvert cela en spectateur, dans les journaux Internet et dans les émissions télé consacrées aux web. Les flash mob frappent à Tokyo, à New York, à Toulouse, et à Paris… Après les webcams et autre phénomène comme le chat, c’est la grande affaire du moment : le quotidien Le Monde consacre un article, Beaux-arts Magazine également. Et la tentation est grande de faire des comparaissons avec les happenings à grande échelle. Les flash mob seraient alors une sorte "land art" de la performance réalisée (jusqu’ici) exclusivement en milieu urbain, une sorte de "city mass art (ou quelque chose dans le style…)…
Mais si les flash mob sont un phénomène de société, il paraît cependant difficile de leur conférer une vertu artistique. En effet, ils ne semblent s’inscrire dans aucune filiation artistique, de même qu’aucune réelle proposition ne s’en dégage jusqu’ici. C’est un phénomène esthétique qui fonctionne selon la logique de l’évènement : jouant sur l’effet d’annonce, de la surprise et de la dissipation.
Comment penser ce phénomène ? Comment l’interpréter ? On avance l’hypothèse de « cérémonie » [cf commentaire de Bernard Guelton], de « transformation du lien en lieu [cf commentaire d’Isabelle Vodjdani], pour ma part, si je souscris à ces pistes de réflexion, je suis également étonné que ces attroupement faussement spontanés et typiquement éphémères ne suscitent aucune inquiétude. Comme si Internet venait rendre bon enfant ces créations de foule, cette manipulation collective, ce fait de pouvoir rassembler aussi facilement des individus jusqu’ici isolés, mais, comme le souligne Isabelle Vodjdani appartenant à un milieu social identique. Je ne cherche pas ici à diaboliser les flash mob comme les rave party l’ont été, ni même à adopter une position réactionnaire, je m’interroge simplement sur qu’un flash mob dessine un programme purement formel à exécuter, trace une feuille de route au contenu clairement défini : se rassembler, neutraliser un espace public (physiquement ou/et en créant du spectacle) puis à se disperser.
Qui se cache derrière ? Quelle est sa motivation ? Quel est son but ?
Nicolas Thély
Merci de m’avoir indirectement fait remarquer que ma « description » de la cérémonie flash mob est encore bien grossière. Que les organisateurs d’une « foule-éclair », « maîtres de cérémonie » restent anonymes est en effet une caractéristique qui est loin d’être négligeable. Elle se distingue de ce qui me semble être l’usage habituel dans une cérémonie, c’est-à-dire que celle-ci est non seulement dirigée, mais que ceux qui la dirigent sont habituellement mis sur le devant de la scène, normalement comme intercesseurs entre les participants et « l’objet » qui est à célébrer. Cet anonymat a comme première raison d’être, dit-on l’interdiction publique d’un rassemblement de personne sans autorisation préalable. Soit, mais des rassemblements publiques sans autorisation, revendiqués et non anonymes se produisent de temps à autre et sont loin d’être impossibles. Un groupe se soude d’autant mieux dans une cérémonie qu’en confirmant un ordre qui est en opposition à un autre. Il s’agit donc sans doute de plusieurs choses à la fois : identification, sécurité, facilité, fluidité, marge, et enfin secret et spectacle comme deux faces d’une même pièce. Mais surtout, il s’agit là d’une célébration qui est propre au réseau dans lequel l’anonymat est un ressort fondamental. Le titre et le propos de Patrice Loubier dans Parachute (109) en témoignent à leur façon : « De l’anonymat contemporain entre banalité et forme réticulaire ». Enfin, puisqu’il s’agit d’une rencontre des corps absentés et anonymes dans le réseau, aucun corps ici n’est susceptible d’intercéder pour les autres.
Deuxième point, « Qu’il s’agisse d’un programme purement formel à exécuter », par contre, va, me semble-t-il, directement dans mon sens. Qu’est-ce qu’une cérémonie en effet, si ce n’est justement un programme purement formel à exécuter ? Reste l’inquiétude. Que des rencontres physiques aient lieu (mais il est vrai, de quelle rencontre s’agit-il ?) à partir de l’anonymat du réseau pour y retourner est un symptôme qui reste toujours à déchiffrer. Mais l’inquiétude, je la garderai pour des phénomènes plus « triviaux » et beaucoup moins à la pointe de la mode : un quart de degré de réchauffement planétaire tous les dix ans, 14802 morts en 15 jours dans un petit pays tempéré, 1100 à 1200 tonnes de combustible irradié par an (dans ce même charmant petit pays) dont pour l’essentiel on ne sait que faire et qu’on accumule en attendant de voir, voilà des phénomènes un peu plus inquiétants mais il est vrai hors sujet, banaux et barbants.
Bernard Guelton
Merci Bernard et Nicolas pour vos contributions de qualité.
Je suis d’accord avec Nicolas. L’anonymat des organisateurs des flash mobs est un problème que j’ai souligné à plusieurs reprises. Pour l’essentiel, cet anonymat est critiqué parcequ’il laisse le champ libre aux manipulations marketing "The cheesebikini site noted that the Toys ’’R’’ Us gathering coincided with another planned ’’mob’’ in Toronto that targeted ’’the same giant multinational toy-store chain. That’s an ugly coincidence. . . . Participants : remember that a corporation could easily create fake flash mobs designed to spur more business to its
retail outlets. Don’t be a sheep !’’ [1].
Pourtant, cette forme de manipulation me paraît être un simple épiphénomène, une faille utilisable par des petits malins qui par ailleurs, se débrouillent très bien pour vendre leur soupe à visage découvert. Ce qui me paraît beaucoup plus grave (probablement aussi grave que les problèmes écologiques que tu signales, Bernard), c’est que cet anonymat est
aussi un point d’aveuglement qui a pour contrepartie la croyance facile, dans les capacités d’auto-organisation de la foule. Car c’est à ignorer ceux qui les gouvernent que les foules peuvent se complaire dans l’illusion de leur liberté.
D’ailleurs, ce que mettent en scène les flash mobs c’est bien la représentation d’un mouvement de foule spontané et parfaitement coordonné . Nous avons bien à faire ici à un effet magique, comparable à ceux que les mages de l’antiquité mazdéiste savaient si bien créer pour berner les foules lorsqu’ils allumaient un brasier avec une petite loupe inconnue du commun des mortels. Comme d’habitude, la transparence et la méconnaissance de l’artefact est la condition de l’illusion.
Quoi de plus exaltant que cette apparente spontanéité que l’on confond si vite avec la liberté[2] ? Quoi de plus gratifiant pour le narcissisme collectif que de pouvoir croire que ces beaux mouvements de foule sont l’oeuvre d’une multitude d’individus auto-organisés ? Pour le croire, il faut à tout prix faire abstraction des organisateurs. Il n’est pas jusqu’à Howard Rheingold qui ne se fourvoie en voyant dans les flash mobs des divertissements auto-organisés, où les gens créent leur propre spectacle. Mais même s’il se trompe à propos des flash mobs, le discours de H. Rheingold a le mérite de reconnaitre cette aspiration à l’auto-détermination (peu importe si elle se manifeste pour des causes futiles). En donnant à entrevoir comment les communications mobiles de personne à personne peuvent constituer un environnement technologique propice à la construction de situation collectives non-centralisées et non-massifiées, il encourage les actions coordonnées à petite échelle.
Mais pour le moment, les flash mobs ne sont qu’un simulacre de coopération. Oui, je pense que c’est juste de parler de cérémonie, dans la mesure où les flash mobs visent effectivement à produire du spectacle, et qu’ils répondent à un besoin de croyance. Cependant, Bernard, parmi tous les items que tu as listés au début de ton billet, il me semble qu’il ne faut pas oublier ce qui constitue in-fine l’aspiration hâtivement symptomatisée par les flashmobs, c’est à dire les désirs d’empathie et de coopération constructive qui dessineraient peut-être l’horizon utopique de la post-modernité[3].
Faisons un pas en avant, substituons l’espoir à l’illusion :)
[1] Cité par Howard Rheingold à partir d’un article du New York Times magasine
[2] "Ce qui s’inscrit en creux dans la pluralité des voix, c’est le refus du sens et la gratuité de l’action qui traduiraient, avec peut-être quelque contradiction, au travers d’une manifestation collective, un « je-suis-libre », et même de ne pas l’être. Avoir, dans une expression collective, le sentiment d’exister. Et surtout, vivre des sensations brutes et fortes. Il n’y a, à vrai dire, pas d’autre motivation que celle de se sentir vivre et de partager un émoi collectif, par le biais d’une bonne blague" - navire.net.
[3] "Voilà bien la différence que l’on peut établir entre la modernité individualiste, abstractive, rationnelle et la post-modernité "emphatique". Celle-là repose sur le principe d’individuation, de séparation, celle-ci au contraire, est dominée par l’indifférenciation, la "perte" dans un sujet collectif."- Michel Maffesoli,du tribalisme
L’engouement pour la pratique des flashmobs semble bel et bien s’épuiser[1]. Mais effacez un symptôme, il en apparaîtra d’autres. Il n’est donc pas inutile de poursuivre une réflexion sur le phénomène, et de profiter de la trève hivernale pour le faire à tête reposée.
Merci à Jean Luc Raymond qui signale sur mediatic la poursuite de nos réflexions sur les foules-éclair, et qui souligne pour sa part qu’ "Il y a effectivement une notion de pouvoir très marquée dans les flash mobs : ne rien savoir sur l’organisateur, le devoir d’obéissance... C’est un peu aussi une sorte d’adoubement des temps modernes ;-)"
Une autre analyse pointée par Jean Luc Raymond mérite également réflexion. Dans les Charentaises dynamiques, Joachim D. estime que l’enjeu des foules-éclair est plus relaté à un processus de programmation qu’à un travail d’organisation : "En soi, l’idée d’organisation est étrangère au flashmob. Un flashmob ne peut pas et ne doit pas être organisé ; il se programme. Il est même très proche d’une tâche informatique : chargement d’une série d’instruction, et exécution du programme. On ne se préoccupe pas de savoir si les processus ou les individus vont interférer, on sait qu’il va y avoir interférence ; l’intérêt du flashmob est de mettre en scène cette interférence pour faire naître un évènement programmatique."
Le flash mob comme routine ? Un rituel où les participants donnent corps et font corps avec le coeur du système, se soumettent au kernel ? Voilà une hypothèse intéressante, inquiétante, qui s’éloigne résolument de l’angélisme festif des premiers témoignages, et qui apporte un contrepoint assez sinistre aux désirs de coopération, de liberté et d’empathie qui motivent pourtant les mobeurs.
"Aussi, seule, cette formulation nous satisfera-t-elle : le processus de civilisation répondrait à cette modification du processus vital subie sous l’influence d’une tâche imposée par l’Eros et rendue urgente par Ananké, la nécessité réelle, à savoir l’union d’êtres humains isolés en une communauté cimentée par leurs relations libidinales réciproques" [2].
[1]"Q : So why are you ending the Mobs ?
Bill : It’s the end of summer. A political feeling of community and meaningfulness is notbaly absent in this activity (glowlab)
[2] S. Freud, Malaise dans la civilisation, 1929 (eh oui, je vous avais promis une relecture de cet ouvrage, et ce n’est pas fini...)
Nouvelle tentative d’instrumentaliser le flash mob, voici un "attroupement-éclair" décliné en trois séances. Un flyer dans ma boîte à lettres m’invite à participer à un "attroupement-éclair" pour manifester "visuellement et médiatiquement" notre attachement au cinéma Rodin (XIIIe arrondissement). Trois attroupements sont programmés : le mercredi 19 novembre à 15h30 et à 19h30, le samedi 22 novembre à 15h30.
Contente de te lire ici Karen !
Ne connaissant pas le détail des problèmes du cinéma Rodin, je me garderai de discuter le bien fondé d’une revendication qui cherche à lutter contre la disparition d’un cinéma de quartier.
C’est étonnant de donner l’appellation de flash mob à une simple mobilisation de quartier organisée par une distribution de tracts en porte à porte. Cela n’a plus grand chose à voir avec les moyens (TIC mobiles) qui définissent un rassemblement éclair. Que le terme de flash mob devienne un label branché et glamour permettant de relooker les vieux poncifs de la lutte sociale (manif et pétition) pour les rendre plus attrayants, pourquoi pas ? Mais cela soulève quand même quelques questions.
Car ce que tu nous apprends est un exemple de plus ; comme le flash mob de Fred Forest, les initiatives de flash mob protestataire ou d’utilité publique, ou encore le fait de vouloir présenter comme un flash
mob (ce que faisait navire.net) l’opération
anti-pub qui a récemment soulevé tant de controverses.
Cela montre la persistance d’une position critique contre la gratuité (jugée superficielle, irresponsable, voire dangereuse) du flash mob, une position qui tente de replacer cette pratique dans la perspective des espérances de Rheingold qui voit dans les "smart mobs" (foule devenue miraculeusement intelligente grâce aux TIC mobiles ?) des moyens d’organisation intéressantes pour des actions politiques et citoyennes. Le glissement des "smart mobs" en "flash mobs" serait le signe d’une récupération consumériste et distractive des énergies qui auraient pu s’employer à de meilleures causes. Se réapproprier le terme de flash mob pour présenter des actions utiles comme une alternative aux flash mob à visée purement ludique part d’une intention louable. Quoique cette position paraisse fort défendable, elle ne doit cependant pas masquer la revendication du "bon plaisir" innocent, inoffensif et non productif. Ne pas entendre cette revendication c’est mourir d’asphyxie ! Reste que les rassemblements éclair ne sont sans doute pas le moyen le plus propice pour affirmer ce droit au "bon plaisir". Ils sont trop facilement surdéterminés par des significations incontrôlées, ou à l’inverse, par des manipulations trop contrôlées.
De l’autre côté, on peut s’interroger sur ce besoin de relookage linguistique pour désigner des formes d’actions extrêmement variées allant des formes les plus classiques de la contestation sociale (manif et pétition) jusqu’aux formes les plus inventives qui dans leur logique virale, ne sont pourtant pas sans évoquer l’antique dynamique de la dispersion des apôtres après la pentecôte.
Sous l’appellation flatteuse de flash mob, les dispositifs de lutte sociale, les vieux comme les jeunes, trouvent un "concept vendeur". ils se définissent ainsi comme des produits faciles à consommer et à utiliser. Vite fait, mal fait, j’achète ma bonne conscience et mon droit de râler en participant à un flash mob d’utilité publique, tout comme demain, je ferai mes emplettes en profitant de l’opération vente flash d’un grand magasin. Le flash mob engagé serait à l’action sociale et citoyenne ce que le fast food est à la confection d’une soupe maison : épluchez et émincez les oignons, faites rissoler dans un fond de beurre, ajoutez les pousses d’orties préalablement cueillies pendant votre promenade en forêt, couvrez d’un litre d’eau, mettez y deux pommes de terre épluchées et coupées en quartier, salez, poivrez, et laissez mijoter une demi-heure. Mixez, et servez avec un peu de crème fraîche. Ce n’est pourtant pas compliqué non ?
de la cérémonie
du rite
« les invariants de la techno-utopie du réseau »
activation, hybridation, singularité
réseau-miroir, réseau-corps
techno-mobile
vitesse
commerce
« La cérémonie : flash mob »
Qui pourrait encore croire au déclin des cérémonies et des rites dans nos sociétés contemporaines ? Si leur reconduction ou leur permanence peuvent poser problème, leur invention ou plus précisément leur émergence semblent assurées. Certes, il y a un paradoxe à parler de rite si celui-ci n’est pas reconduit ou insuffisamment reconduit et la question même de son émergence ne se pose pas. La question se reporte alors sur la fréquence et la permanence du rite. Y-a-t-il un seuil de répétition minimum en-deçà duquel un rite ne saurait exister ? Y-a-il une fugacité rituelle propre à la société occidentale contemporaine ? La puissance rituelle est-elle directement corrélée à sa fréquence, aux nombres de personnes concernées et à son ancienneté ?
Cérémonie
Après ces remarques, en voici encore une : pourquoi intituler ces quelques lignes « cérémonie » et dévier aussitôt sur la question du rite ? C’est qu’il s’agit ici avant tout d’une cérémonie particulière intitulée « Flash mob », qui bien que l’historique et la description en aient aussitôt été faites, n’est pas encore clairement rattachée à une fonction sociale primitive. (Par ailleurs, qui oserait parler ici de « fonction sociale primitive » alors qu’il semblerait que nous ayions affaire à une classe d’individus « high-tech » à la fois évoluée et « branchée » ? Une classe à la fois doublement relayée et mobile, forcément fugace et rapide ?) Bref, la cérémonie se pratique et/ou se décrit, le rite s’analyse. Il faut donc me concentrer d’abord sur la cérémonie. Celle-ci est « presque » parfaite et cette quasi perfection est à la fois sa motivation et sa raison d’être. L’internet est ici, à travers une liste ouverte/fermée (je peux m’abonner à cette liste mais en m’adressant ailleurs que chez mon épicier) à la fois le premier et le dernier lieu de rendez-vous, c’est-à-dire d’abord le lieu de la communication du rendez-vous physique et enfin le lieu du commentaire de l’action réalisée.
Tout le monde l’a tout de suite compris, le réseau - la communication dans le réseau - est l’origine et la fin de la cérémonie et très probablement l’objet même de la célébration. Entre le début, la fin et l’objet lui-même il y a la rencontre des corps et toujours en des proportions variables, ce relais incontournable du corps en déplacement : le mobile avec ou sans photos et désormais avec ou sans vidéos. Dans ce cas précis, le relais sur internet est devenu grâce à l’expérience dactylographique d’Isabelle et à l’abonnement téléphonique gratuit de Jef, quasi-instantané, une sorte de miroir subjectif redoublé auquel manquaient bien sûr les images. On ne s’étonnera donc pas que cette cérémonie-de-la-communication-dans-le-réseau conjugue la rencontre physique des corps - que celui-ci absente normalement - et réfléchisse la rencontre en temps réel. A quelques détails près, la cérémonie s’est répétée en différents lieux et puisqu’il s’agit de la terre interconnectée, la première cérémonie, forcément, a débuté à New-York. La cérémonie a joué avec quelques unes de ses données intrinsèques toutes reliées entre elles : sa vitesse, son autoreprésenation et sa célébration.
Rite
Beaucoup, semble-t-il, se sont étonnés de constater le côté adolescent de l’entreprise, sa gratuité (confondant donc rassemblement adolescent et rassemblement « gratuit », ce qui est bien sûr une énormité), s’interrogeant inévitablement sur le côté artistique de la manifestation. Cet aspect, dénié par les organisateurs, engagerait donc une liberté (enfin) retrouvée (à moins que le déni artistique soit la meilleure façon de le garantir). En ce qui me concerne, contribuant à ma façon à la célébration, j’y retrouve la définition courante du rite selon Jean Cazeneuve (EU2000) : « Dans le langage courant, ce terme désigne toute espèce de comportement stéréotypé qui ne semble pas être imposé par quelque nécessité ou par la réalisation d’une finalité selon des moyens traditionnels ». Après un rapide aperçu des avantages et des inconvénients des fonctions du rite selon Malinowski, Bergson, Freud ou Durkheim, Cazeneuve aboutit au propos suivant : « En définitive, il semble préférable de chercher la fonction du rite non pas dans des finalités qui lui sont extérieures, mais dans ses caractéristiques propres, à savoir celles qui le font apparaître comme un moyen de régler les rapports entre ce qui est donné dans l’existence humaine et ce qui paraît la dépasser, puisqu’on a affaire précisément ici à des conduites qui ne trouvent pas leur explication dans la condition matérielle de l’homme mais qui pourtant lui sont étroitement liées ». Une conduite sans explication matérielle mais qui pourtant lui est étroitement
associée, voilà me semble-t-il une généralité qui correspond assez bien au rite de la rencontre-éclair. Difficile désormais d’imaginer une condition matérielle de l’homme en dehors des réseaux et de leurs instrumentations techniques. Comment actualiser ceux-ci à travers leurs représentations optimum que sont internet et le mobile et comment les mettre en scène ? Si ces deux instruments éludent les corps tout en démultipliant les rencontres, il s’agit précisément de célébrer « gratuitement » ce qui a été éludé : circonscrire la rencontre des corps et les représenter (« apportez votre appareil photo » indique le message de Parismob). Pour quel objet, pour quelle pratique ? Aucune importance, pour autant que cet objet ou cette pratique soit gratuit(e). Mieux, si la gratuité est mesurable, plus celle-ci sera forte, plus le rite sera efficace.
Régler les rapports entre ce qui est donné dans l’existence humaine et ce qui paraît le dépasser, voilà une deuxième généralité qui rend bien compte de la pratique et de l’immersion dans le réseau, car ne l’oublions pas, « la machine se suffit à elle-même, à défaut elle se suffit du branchement avec d’autres machines » (Gauthier, 2002). Mais comme Cazeneuve l’a également bien repéré à propos du rite et du « numineux » : « [l’homme] Son action, son existence même lui semblent comporter une marge d’indétermination, par là même d’insécurité. [...] Quand (il) a le sentiment du numineux, de ce qui lui échappe, il est tenté à la fois de s’en écarter et de s’en servir, ou bien, tout à la fois, de se préserver de ses dangers et de se mettre sous sa protection ». N’est-ce pas là une version bien dramatique de ce qui se veut avant tout ludique, festif et gratuit ? Eh d’abord tu l’as fait, toi, la flash mob avant d’en parler ?
Développant les réflexions entamées sur ce forum, dans le billet qui précède, Bernard Guelton vient de publier une intéressante analyse des Cérémonies éclairs sur le site d’ Agglo.
Le même article, cette fois illustré, et avec une navigation plus aisée, vient d’être publié dans la très bonne revue en ligne canadienne archée.
L’analyse de Bernard Guelton, fort argumentée, met en avant la fonction d’auto-représentation du réseau dans la cérémonie des foules éclair. Un point de vue pertinent, avec lequel il faudra compter pour qui veut pousser plus avant une réflexion sur le phénomène des flash mobs.
Merci à Bernard Guelton pour ses nombreuses références à Transactiv.exe. On peut seulement regretter l’absence de références à des ressources quasi exhaustives telles que mediatic qui pointe au jour le jour toutes les nouvelles concernant les flash mobs en France (et parfois à l’étranger), ou encore CraoWiki et les nombreuses pages qui recensent sur ce site les témoignages et compte-rendus des différents flash mobs parisiens.
Merci Jean-François, grâce à ton concours, j’ai pu vivre une expérience tout à fait étrange : éblouie, les yeux rivés sur mon écran, les mots s’accumulaient à toute vitesse, et je "voyais" l’esplanade de Notre Dame, je "voyais" la foule, je m’y promenais, guidée par toi comme une aveugle, trébuchant après toi avec mes doigts, je m’orientais tant bien que mal en me raccrochant aux sons intelligibles qui émergeaient du brouhaha.
Souvenir d’enfance : les pupilles dilatées par l’Atropine, qu’il fallait administrer plusieurs fois par jour pendant une semaine, mon frère me tenait par la main et m’emmenait faire le tour du quartier. Ce fut un été très ensoleillé :))
Je me demande si cela a encore quelque rapport avec le flashmob...
Jef m’avait promis de poster dans ce forum sa version de la foule-éclair du parvis de Notre Dame, mais il ne l’a toujours pas fait. Quel flemmard ! Pourtant, Lundi, quand il est passé à la maison, il en avait des choses à raconter ! Pour commencer, il m’a dit et redit que s’il y est allé, c’était bien pour me faire plaisir, et qu’on ne l’y reprendrait plus à s’embringuer dans des jeux aussi crétins. Alors, merci encore Jef pour ton dévouement ;)
Mais quand je lui ai montré les photos de Serge ou celles qui sont sur le site de Parismob, qui montrent la foule accroupie devant la cathédrale, il était consterné. Il ne s’en était pas rendu compte sur le coup, puisqu’il était lui même accroupi pour fignoler son petit dessin. Pour lui, cela ressemblait à une foule de musulmans en prière devant la mosquée, il voyait aussi une analogie entre les dalles que chacun s’attribuait individuellement, et les petits tapis de prière personnels. Tu es trop sensible Jef, mais je veux bien apporter de l’eau à ton moulin : nous pourrions aussi assimiler les petites craies aux petites pierrres de Mecque [1] que les musulmans posent sur le haut de leur tapis pendant la prière . Bien sûr, Jef et moi, nous cherchons midi à quatorze heures, ou plutôt, l’Orient en Occident. Mais dites moi, n’est-ce pas autour d’un tapis pakistanais que s’étaient réunis les premiers flash-mobbers newyorkais ?
1-Petites pierrres de Mecque : Leur nom exact est "pierre de prière". Leur forme est variable : allant du simple rectangle à la forme d’un petit cercueil, elles ont la taille d’une toute petite savonette et sont parfois un peu décorées. ces pierres sont, dit-on, formées avec de la terre provenant de la Mecque, une terre beige, couleur de peau. Etant formées par un moulage compressé de terre, les pierres de prière sont cassantes comme de la craie.
En attendant le compte-rendu très hypothétique de Jef, vous pouvez en consulter d’autres, via mediatic qui recense tous les échos du flashmob dans ce billet régulièrement mis à jour, ainsi qu’à partir de cette page du CraoWiki.