Une question, le statut d’oeuvre dérivée est-il réellement adapté appliqué à des oeuvres, est-ce que ce n’est pas réducteur de devoir affilier forcément comme ça un travail, une généalogie presque, qui fait les emprunts dans le contexte où elle existe en ferait d’autres dans un autre contexte, et je me demande si ça ne résume pas trop vite de façon univoque des jeux de références ? remarque non. et le modèle qu’on entend comme repris du développement du logiciel par exemple, on parle de : développement, et puis il y a une générosité qui n’est pas comparable, ni la même réception. Et voilà et puis aussi on induit certaines formes d’interprétation, de dérivation, alors que, c’est bien une nouvelle oeuvre, ce serait ça qu’il faudrait faire valoir, que ça c’est complètement libre. et aussi je me demande si une oeuvre en critique une autre qu’elle reprend par exemple, sous licence libre comme oeuvre dérivée ? voilà et mais en disant ça je ne parle pas du tout, je ne remet pas en cause du tout au contraire l’idée qu’il faut se dépêcher de faire quelque chose contre la privatisation tous azimuts. je vais relire et réfléchir à tout ça. je me demande à quel point les informaticiens signent les programmes dans la façon de programmer. merci pour cet essai comparatif.
La distinction entre oeuvre dérivée et nouvelle oeuvre s’inspirant d’une oeuvre précédente existe dans le droit d’auteur traditionnel, et elle n’est pas abolie par la clause "No derivative work" des licences CC.
Parodie
Mais cette distinction n’est pas toujours claire : il y a quelques années, en Italie, le roman Va dove ti porta il cuore (va où te mène ton coeur) de Susanna Tamaro a eu un succès boeuf. Daniele Luttazzi en a fait une "parodie" en remplaçant partout le mot "cuore" par "clito" (clitoris). D’oÙ procès intenté par Mme Tamaro. Qu’elle a perdu.
Elle le perdrait encore même si elle utilisait la clause "no derivative work" de la licence CC, la parodie étant considérée comme oeuvre originale et non comme oeuvre dérivée, et le texte de Lutttazzi ayant été reconnu comme "parodie" par les experts appelés à témoigner.
Mais avec ou sans clause "no derivative work", la distinction entre oeuvre dérivée et nouvelle oeuvre dépend souvent d’un jugement subjectif - même dans le cas des "experts" mentionnés ci-dessus.
Critique
A nouveau, le droit de citation dans une critique est inscrit dans les lois sur le Droit d’auteur, et n’est donc pas limité par la clause "no derivative work"
A nouveau, toutefois, la longueur légitime d’une citation dans une critique n’est pas clairement définie, et peut susciter des litiges, avec ou sans clause "no derivative work"
En réponse à Claude Almansi :
Ce que vous évoquez avec le lien vers la page de Brad Templeton concerne le "fair use" dans le droit d’auteur américain. L’article de Brad Templeton est très bien fait et fort clair. Il souligne d’ailleurs bien les limites du "fair use" : le droit de citation et de parodie peut s’exercer tant qu’il ne porte pas atteinte aux intérêts économiques de l’ayant droit.
En france, l’équivalent du "fair use" américain est défini par l’article 122-5 du CPI que j’ai reproduit dans son intégralité en note de bas de page (5) de l’article qui ouvre ce forum.
Ces droits de libre utilisation sont définis dans le cadre des articles 9, 10 et 11 de la Convention de Berne.
Comme je l’ai également signalé dans mon article, aucun contrat ou licence ne peut restreindre ces droits. Donc vous avez raison de souligner que la clause "non derivativ" de CC n’entame pas ces droits.
Cependant il faut reconnaître que ce sont là des tolérances ridiculement étriquées et sujettes à interprétation par la jurisprudence. En tout état de cause, ces tolérances sont très loin d’octroyer les mêmes libertés qu’une licence libre.
On oublie que le droit de citation ne concerne que les textes. Pour la musique, les images et les oeuvres d’art en général, le droit ne reconnaît pas la notion de citation. Soit vous avez reproduit l’intégralité d’une oeuvre et vous êtes coupable de contrefaçon, soit vous n’en avez reproduit qu’un morceau, et dans ce cas vous avez porté atteinte à l’intégralité de l’oeuvre.
Vous trouverez ces précisions dans la FAQ de Murielle-Isabelle Cahen sur Avocat-online :
"Le droit de citation s’applique ordinairement aux textes littéraires. La jurisprudence ne reconnaît pas son application à une oeuvre d’art. En effet, copiée en entier, on a affaire à une reproduction condamnable ; copiée partiellement, il y a atteinte à l’intégralité de l’oeuvre d’art, qui ne peut être divisible." - Murielle Cahen.
Pour la musique :
"Il n’existe pas a proprement parler d’exception de courte citation en matière d’oeuvre musicale. D’où en principe le fait que les extraits musicaux quelle que soit leur durée sont soumis a autorisation des ayant-droit (auteur, interprète, producteur, éditeur). De surcroît, la mauvaise qualité des extraits peut être considérée (et a déjà été considérée par les tribunaux) comme une atteinte au droit moral de l’auteur." - Mureille Cahen.
Pour les oeuvres mixées et modifiées, voir l’article de Philippe Yvonnet, droit d’auteur et site web, sur webmaster HUB :
"Si vous êtes un as de la palette graphique, et que vous avez tellement transformé les images d’origine, que l’on ne les reconnait plus, vous en devenez le seul et unique auteur. Si, au contraire, on reconnait les images d’origine, sans autorisation des auteurs vous violez leurs droits patrimoniaux et moraux. On est dans un cas similaire aux problèmes que posent le "sampling" et les "remix" dans l’édition musicale."
Se contenter de ces petites tolérances dans les conditions actuelles de la circulation des informations sur le réseau (et même hors du réseau), revient à rejeter dans l’illégalité une majorité des pratiques d’échange et d’appropriation, pourtant courantes.
L’usage des licences libres simplifie la vie des auteurs-utilisateurs, et permet d’assainir la situation en les autorisant à copier, diffuser ou modifier des oeuvres en toute légalité et dans le respect et la reconnaissance du droit moral des auteurs.
Merci pour ce commentaire foisonnant de questions intéressantes.
Quel est l’intérêt d’utiliser des Licences Libres pour des oeuvres d’art ou de recherche ?
Une lecture que je recommanderai à ce propos, c’est l’article de Hervé Le Crosnier publié sur Vecam.org en Novembre 2003 dans le cadre de la préparation du SMSI : le modèle du logiciel Libre peut-il s’étendre aux activités intellectuelles ?
Dire qu’une oeuvre dérivée est une oeuvre autre, qui vit sa vie indépendamment de l’oeuvre dont elle s’est incorporée une copie, c’est évident. C’est vrai aussi pour les logiciels. Une oeuvre dérivée n’est pas une partie de quelque chose, mais un tout, même si son auteur n’a pas tout conçu de A à Z puique une partie du chemin était déjà parcourue par d’autres. La notion d’oeuvre commune (dans la LAL) est ce qui permet de formaliser le lien qui existe entre un réseau d’oeuvres dérivatives, sans compromettre l’autonomie de chacune.
Les licences libres impliquent l’inscription des oeuvres dérivées dans une généalogie qui risque de devenir une grille de lecture réductrice.
Oui, je comprend bien cette réticence. C’est important de se rappeler que l’alchimie créatrice est autrement plus complexe que la simple utilisation "dérivative". La mention légale qui cite la ou les oeuvres "souches" utilisées pour construire une oeuvre dérivée peut apparaître à ce titre très réductrice quand on sait la richesse et la subtilité des rapports que les oeuvres entretiennent entre elles (l’ouvrage de Michael BAXANDALL Formes de l’intention, sur l’explication historique des tableaux, Editions J. Chambon 1991, en décrit toutes les déclinaisons). C’est la raison pour laquelle la Licence Art Libre utilise le terme d’oeuvre "conséquente" (au lieu d’oeuvre dérivative), ce qui laisse une meilleure marge d’interprétation des rapports (y compris critique). Mais bien sûr, cela ne résout pas tout.
Je prolongerai ces réflexions par quelques remarques ou questions désordonnées.
1- Rien n’interdit à l’auteur d’enrichir ses références en mentionnant des auteurs ou des oeuvres dont il s’est inspiré de près ou de loin, même si légalement, il n’y est pas du tout obligé. C’est une pratique courante (et tout à fait recommandée chez les universitaires) en dehors de l’usage des licences libres.
2- Tout dépend de la façon dont les mentions légales apparaissent avec l’oeuvre. En général, les licences laissent une certaine marge de manoeuvre à l’auteur d’une oeuvre dérivative pour l’inscription des mentions légales. Il peut les faire apparaître de façon plus ou moins discrète. Par exemple, quand je vais au cinéma, je ne suis pas forcée de lire tout le générique, mais un cinéphile averti le fera.
3- Peut-on empêcher les connaissances du récepteur d’interférer avec sa perception d’une oeuvre ? Même en escamotant toute référence à des sources ? Inversement, ne pas mentionner ses sources, n’est-ce pas un apauvrissement ?
4- Et surtout, l’immédiateté de perception d’une oeuvre, l’efficacité de son impact sensible ou poétique dépend-elle de son absence d’inscription dans une généalogie ? N’est-ce pas plutôt un effet de la cohérence interne de l’oeuvre ? Même sans générique explicite, une architecture éclectique de la fin du 19ème siècle sera à mes yeux un patchwork de morceaux rapportés. L’absence de référencement ne lui donnera pas plus de fraîcheur et ne contribuera pas à rendre mon regard plus innocent.
Pour ma part, je suis assez partagée, car si je comprends bien que l’historicisme puisse devenir à la longue un boulet plus encombrant que stimulant, je suis par ailleurs de plus en plus souvent confrontée à des oeuvres ou des informations absolument inutilisables car je ne peux ni les attribuer, ni les dater ou les situer. Quel sens et quel crédit puis-je leur accorder ? J’ai bien peur qu’un énoncé sans ancrage d’aucune sorte ne soit en définitive rien d’autre qu’une imposture. Quelque chose qui cherche à s’imposer comme un fait de nature. Alors que l’acte de culture passe par le geste du don et de la transmission. Or il n’y a pas de don et de transmission sans adresse et sans attribution.
Oui, il y a potentiellement un côté vaguement darwinien de la licence dérivée, qui effectivement ne restitue pas la complexité des relations des références qui peuvent s’inscrire dans une oeuvre. Mais tu dit qu’une possibilité serait d’enrichir les références qui sont données dans la mention légale. Dans ce cas, on peut dire que la mention légale remplirait de nouvelles fonctions, qui ne concernent pas le droit.
Mentionner des sources à des fins légales, et enrichir le document de citation des sources pour qu’il ne soit pas réduit à une inscription dans une généalogie linéaire, sont deux choses complètement différentes.
J’ai lu quelque par que la version informatique des licences creative commons, permet de référencer les oeuvres selon leur régime de droit de distribution (non commerciale, par exemple), et qui permet de les différencier facilement dans une base de données.
En quelque sorte, cela tient lieu de mémoire, d’un genre particulier, égale aux informations nécessaires au traçage, définies dans les catégories du droit.
La licence remplit-elle alors un peu le rôle des puces rfid sur les produits de consommation, qui permettent à la fois de localiser ces objets dans l’espace et aussi de conserver les informations qui concernent leur production ?
pardon pour le côté confus de cette remarque, qui est une interrogation sur les outils d’archivage électronique.
A mon tour, pardon de n’avoir pas été assez claire.
Bien sûr, en disant que l’auteur peut enrichir ses références, je ne voulais pas dire que ces enrichissements devaient apparaître dans la mention légale. Elles peuvent accompagner le travail bien autrement.
Par exemple, en écrivant cet article de comparatif de licences je cite nombre de sources qui m’ont été utiles, mais l’article n’apparaît pas pour autant comme un travail dérivatif de telle étude particulière, même si je dois beaucoup à ces sources comme à nombre de discussions menées avec des tas de gens.
Autre exemple, l’album photo Salons des refusés qui est sur ce site a été placé sous Licence Art Libre. Avant la mention légale, je cite quelques auteurs auxquels je me sens redevable car je reconnais des affinités entre ce travail photographique et une partie de leurs travaux. Mais cela n’a pas un caractère officiel, car je n’ai pas utilisé directement leurs oeuvres. J’aurais pu ne pas les citer. J’aurais pu aussi en citer beaucoup d’autres. Mais j’ai choisi ceux-là parce que je les aime. Pour comparaison, le référencement de cet album photo dans la base de artlibre.org qui reprend strictement la mention légale, ne cite pas ces artistes. D’ailleurs, d’un point de vue légal il est fort probable que je ne sois pas autorisée à "intégrer" une oeuvre de Schwitters ou de Puni dans un travail sous LAL car il y a de fortes chances que leurs oeuvres ne soient pas encore dans le domaine public.
Par contre, Rebus, le travail que Robert Cottet a réalisé en croisant quelques unes de ces photos avec un travail de bobig, intègre directement une image de bobig et 4 images extraites du "Salon des refusés". Le référencement de "Rebus" fait donc clairement mention de ces travaux.
Je ne crois pas que l’on puisse confondre ce qui est inscrit dans la mention légale avec la manière dont s’écrit l’histoire d’une oeuvre. L’auteur peut, dans une certaine mesure contribuer à écrire cette histoire. Mais cette histoire est également écrite et sans cesse réécrite par d’autres, avant lui et après lui. C’est quelque chose qui dépasse le contrôle de l’auteur. C’est aussi en ce sens que Duchamp pouvait dire que « c’est le regardeur qui fait le tableau ». La meilleure chose qui puisse arriver à une oeuvre c’est d’être ravie par l’histoire, en être sans cesse réinterprétée. En regard de ce processus, une mention légale sera toujours peu de chose.
Il me semble qu’il ne faut pas surévaluer l’importance d’une licence et ne pas mélanger ce qui ressort des autorisations accordées par celle-ci avec l’impact réél qu’une oeuvre pourrait avoir dans la culture. Une licence n’est jamais qu’un outil juridique. Pour autant qu’elle fasse sens, c’est surtout comme un indicateur déontologique.
Le marquage des oeuvres par des tags, des codes attachés au fichier, ou des RFID c’est encore une autre affaire, qui est de l’ordre du contrôle et de la surveillance. Là on entre dans des considérations techniques et coercitives qui relèvent de la morale. Ces expédients sont du ressort de l’exécutif, ils tordent le cou à l’éthique.
Je préférerais m’en tenir à une position éthique, c’est à dire à un pacte que je consens de mon plein gré, et la volonté positive de respecter ce que l’autre me consent.