Les sirènes du premier mercredi du mois ont mugi ce midi.
Quelques chiens se sont mis à geindre et aboyer dans la foulée.
Avec l’avion qui passait et les travaux chez le voisin, ce fut pendant quelques secondes une petite cacophonie.
Un chien continuait à pleurer une fois la sirène tue. Je me suis alors aperçue qu’il pleurait sur le même ton que la sirène.
Enfin, pas tout à fait, car la sirène monte progressivement de quelques tons avant de redescendre. Il y a eu un moment où les deux chants étaient à l’unisson avant de se disjoindre. C’était comme une tresse dont un seul fil dépasse à la traîne. Ce fil là devient une tonale.
Rétrospectivement, je garde le sentiment que la sirène était un accompagnement pour magnifier les gémissements du chien qui pleure.
Le mois dernier, j’étais en pleine action à l’heure de la sirène du Mercredi. Je ne sais plus ce que je faisais, mais c’était un peu bruyant. J’ai juste noté le son lointain à travers la bulle de sons proches que je produisais moi-même.
Aujourd’hui, quand la sirène a mugi, elle était assourdie par la couverture nuageuse et la légère brume qui stagnait encore à midi. J’ai failli ne pas l’entendre, les chiens du quartier ne se sont pas manifestés non plus.
Quand j’ai remarqué le son de la sirène, elle déclinait déjà. J’ai alors pensé que sans le billet de septembre qui avait éveillé mon attention, je n’aurais peut-être pas du tout entendu la sirène d’aujourd’hui. Je veux dire que je n’aurais pas eu conscience de l’entendre.
Je ne sais pas si je vais continuer à faire des observations à chaque sirène du Mercredi. Quand on commence à prêter l’oreille à ce genre de choses, c’est fichu, il n’y a plus moyen de s’arrêter.
En tout cas, je m’aperçois que ce n’est jamais pareil. Sinon qu’à chaque fois je me dis la même chose : Ah mais bien sûr, c’est Mercredi aujourd’hui !
En voyant la date du post précédent (8 novembre) j’ai eu un gros doute : le premier mercredi du mois c’était il y a une semaine ! Aujourd’hui, c’est le second Mercredi du mois. Or la sirène rententit en principe tous les premiers mercredis du mois.
Est-ce que j’ai rêvé ? Est-ce que j’ai des illusions auditives ? Pire, des troubles de mémoire qui effacent la durée d’une semaine comme si ce temps vécu n’avait jamais existé ? Mais dans quel monde étais-je ?
Le doute sur la réalité de mes perceptions devient d’un seul coup un doute sur mon existence même au monde.
Je jette un coup d’oeil sur mon agenda : le premier Mercredi du mois de novembre était un jour férié, donc le test de la sirène a dû être reporté au Mercredi suivant, c’est à dire aujourd’hui.
Ouf ! Je renais.
Bien sûr que je l’ai entendue la sirène aujourd’hui ! Je la guettais même, avec un peu d’appréhension : crainte de la manquer ou de me laisser surprendre. Comme si ça avait de l’importance !
J’ai regardé ma montre à midi moins dix. J’ai attendu. Mais ça n’a pas empêché la surprise. J’ai retenu ma respiration pour bien écouter parce qu’avec le rhume que je tiens, mon oreille est comme retournée vers l’intérieur, enfermée dans une chambre de résonnance où circule un souffle pénible entrecoupé de snif-snifs et de toussotements. J’ai compté cinq montées et descentes successives de la sirène. Mais je n’étais pas sûre de moi, c’était difficile de ne pas confondre les réminiscences qui se répétaient juste après, avec de nouveaux signaux extérieurs. Huit minutes plus tard environ, la sirène a de nouveau retenti, longuement, une seule fois.
Les bruits des avions et des voitures au loin n’ont pas manqué au rendez vous, mais cette fois-ci encore, pas de chiens.
En cherchant sur internet, j’ai trouvé un article bien détaillé de Wikipedia sur la sirène du premier mercredi du mois : Alerte aux populations. Je ne m’étais donc pas trompée, il y a bien cinq montées et descentes, et le dernier signal long indique la fin d’alerte.
Si un jour vous entendez cette succession 3 fois de suite avec des coupures de 5 secondes, c’est qu’il y a danger. Le ministère de l’intérieur vous explique ce qu’il faut faire en cas d’alerte.
Il paraît que dans certains départements, le réseau national d’alerte (RNA) est utilisé quasi quotidiennement pour toutes sortes de raisons. C’est ce que signalait un commentateur sur le site de secourisme.net en déplorant la perte de repères qui pourrait résulter d’un usage trop fréquent ou futile des sirènes. J’imagine qu’on utilise dans ces cas, des successions de sons différents pour que le signal reste distinct d’une alerte. Une sorte de code morse rudimentaire.
Dans un des récits rassemblés dans le recueil La douleur, qui se rapporte à l’époque de la libération, au retour des prisonniers et à la déroute des allemands, Marguerite Duras souligne l’ambiguïté d’une sirène qui mugit à midi. C’est une scène qui se passe dans un bidonville en banlieue, à l’heure du déjeuner. Un ouvrier observe un étranger, visiblement en fuite, peut-être un allemand ou un "collabo". Ils sont tous les deux assis, chacun sur une dalle de pierre. L’ouvrier mange, l’inconnu est perdu :
« Des baraques sortent toujours des cris, des pleurs d’enfants, des cliquetis de vaisselle, pas de paroles.
Au loin une sirène retentit, très triste, pareille à celle des alertes de la guerre.
L’homme pose son morceau de pain sur la pierre et tire sa montre de la poche de son gilet. Toujours lentement, il la met à l’heure. Il dit : « Midi passé d’une minute. » Il se tourne vers l’étranger : « ça fait toujours peur, un sale bruit ».
L’étranger n’a pas répondu. On pourrait le croire sourd. L’homme se remet à manger ses haricots. » [1]
Ceux qui ont connu la guerre n’aiment pas le son de la sirène, ils le trouvent lugubre. Pour moi qui n’ai heureusement pas connu la guerre, les sirènes sont du même ordre que les cloches ou les orgues, des instruments qui laissent des trainées d’harmoniques se promener en l’air comme des volutes. Ces instruments émettent des sons qui ont une faculté de persistance et de métamorphose fascinante, ils se mélangent aux autres sons envrionants, les enrobent puis résonnent encore longtemps dans la mémoire pour se recomposer au gré des associations et de l’attention auditive. Le fantasme et la réalité de la perception deviennent indistincts. Ce n’est pas lugubre, non, c’est captivant et parfois beau, mais c’est inquiétant quand-même lorsqu’on se met à douter de la réalité de ses perceptions.
Ulysse devait s’attacher au mât de son bateau pour résister au chant des sirènes, et moi je me raccroche à ce que je peux (tantôt un agenda, tantôt un article de Wikipedia), pour ne pas sombrer dans cette zone de turbulence où l’on ne distingue plus le son de ses échos intérieurs.
[1] Marguerite Duras, "L’Ortie brisée", in La douleur, P.O.L. 1985, Folio Essais p.199
Pendant la période des étrennes, quand les facteurs, les pompiers et les éboueurs font leur ronde, nous achetons toujours deux calendriers de pompiers car notre village dépend de deux casernes. Collectionner les calendriers ne m’a jamais passionnée, mais aujourd’hui, j’ai réalisé que j’en avais pour mon argent car ce sont probablement ces deux casernes de pompiers du voisinage qui nous offrent la chance d’entendre simultanément deux sirènes.
Ce midi, dès que la sirène a commencé à se faire entendre, je suis sortie dans le jardin, avec l’intention de faire Awww ! Awwwww ! pour réveiller les chiens du quartier. J’aurais bien aimé qu’ils nous fassent encore un concert d’aboiements et de gémissements sur fond de sirènes. Pour une fois que j’apprécie leur présence, ils pourraient se manifester ces petits corniauds ! Mais vous devrez attendre d’autres occasions pour vous moquer de moi, parce que je n’ai finalement pas eu besoin de me ridiculiser en imitant leurs plaintes. Une fois dehors, j’ai été saisie par un double son. J’ai cru distinguer deux sirènes qui mugissaient avec un très léger décallage temporel, de l’ordre d’une demi-seconde. J’ai donc renonçé à faire du bruit pour mieux prêter l’oreille : il y en a bien deux. L’une sembre venir du Sud, l’autre de l’Ouest ou Nord Ouest. Le petit contretemps enrichit le son et crée un effet d’écho qui grandit le paysage acoustique. Pour un peu, je me serais crue au pied des montagnes qui manquent tant à ce coin pourtant charmant de la Francilie où nous avons élu domicile. Voilà ce que j’ai récolté aujourd’hui en m’abstenant de geindre.
Entre écouter et faire du bruit, il faut parfois choisir. Ceux qui font de la musique en groupe savent que l’oreille interne et externe ne s’accordent pas si facilement, l’écoute proche et lointaine encore moins. Pour le tympan, c’est toute une gymnastique que de se rendre à demi sourd à certains sons afin d’aligner au même niveau d’attention les différentes sources. Il faut connaître ses partenaires et sa partition par coeur, avoir intégré beaucoup d’automatismes pour pouvoir jouer un peu à l’aveuglette ; les zones de dialogue et d’improvisation où l’on s’entend vraiment, surnagent en pointillé sur un fond convenu de rythmes, accords et leitmotivs. C’est cette sorte de confiance aveugle entrecoupée de bribes d’écoute qu’on appelle la bonne entente.
J’ai donc choisi l’écoute. Dans ce petit parcours à l’écoute des sirènes, chaque rencontre ou incident me rappelle le texte de Roland Barthes et Roland Havas sur l’écoute.
Pourquoi écouter les sirènes ? Je n’en ai aucune idée, c’est arrivé à cause du chien qui pleurait, et puis je n’ai pas pu m’empêcher de continuer d’y prêter attention, d’abord en espérant que d’autres musiques fortuites surviendraient, ensuite en prétextant que c’était intéressant à observer. Cela prend des proportions imprévues. J’essaye pourtant de ne pas y accorder d’importance. Je n’ai aucun but non plus, aucun projet. Surtout pas ! “Le but ne précède pas, ou bien ne précède pas de façon complète, le début du mouvement” écrit Miguel Benasayag, c’est en ce sens que je parle d’absence de but.
J’évite de forcer les événements ou l’analyse, je crains de m’enliser dans la phénoménologie de la perception. Je redoute le travers narcissique que l’on rencontre parfois dans ce genre d’investigations quand l’observation des sensations et de la formation du sens cède la place aux descriptions lyriques de la délectation onaniste. J’ai encore moins l’intention de m’atteler au train de l’économie de l’attention. Je sais bien que ce que je dis là est de l’ordre de la dénégation, c’est un frein pour ralentir, laisser à la chose le temps de venir par elle même.
Je cultive une sorte de passivité vigilante, juste pour le plaisir.
C’est en tout cas ce que je crois aujourd’hui. Il est possible qu’il n’y ait aucune “chose” à attendre de ce parcours, rien d’autre que ce que je grapille en chemin, c’est à dire des digressions orientées par tout ce qui s’associe de près ou de loin aux sirènes.
Entre deux sirènes du mercredi, je pense à autre chose. Peut-être que les sirènes me permettent seulement de me détourner de pensées plus pénibles. Elles donnent un relief particulier à des petits événements ou bribes de lecture croisés au hasard. J’en prends note, petit à petit cela devient un cabinet de curiosités qui s’étoffe. Il faudra que j’y mette un peu d’ordre un de ces jours.
La neige à demi-fondue a probablement de bonnes capacités de réverbération sonore. Les météoro-acousticiens en savent peut-être quelque chose, car ce n’est pas la direction du vent qui peut expliquer ce phénomène : aujourd’hui, je n’ai pas seulement entendu les deux sirènes qui se superposent avec une demi-seconde de décalage, mais encore une troisième sirène, très loin au Sud-Ouest, qui avait une bonne dizaine de secondes de retard sur les deux autres. Or, le vent soufflait aujourd’hui du Nord-Est, alors que les sirènes venaient toutes plus ou moins de l’Ouest, comme d’habitude.
D’autres facteurs ont sans doute contribué à cette éclaircie auditive. Le plus important, c’est que contrairement aux autres fois, aucun avion ne s’est fait entendre pendant que les sirènes mugissaient, et les voitures qui circulent dans l’avenue parallèle à notre rue restaient assez discrètes. Des facteurs plus complexes liés à des effets d’échos sur le relief local ou sur la couche nuageuse pourraient également entrer en ligne de compte, mais tout cela dépasse mes capacités d’analyse.
Un des chiens du père Michel s’est réveillé après la bataille en se mettant à aboyer bêtement alors que le son de la troisième sirène était déjà dissipée.
Peu audible, la troisième sirène se situait dans cette zone de perception inquiétante qui brouille la frontière entre l’intérieur et l’extérieur. Etait-ce de l’auto-allumage sensitif ou un nouvel objet sonore ? Peut-on distinguer mémoire et événement ? Il m’a fallu attendre la sirène de fin d’alerte pour acquérir la conviction qu’il y avait bien une troisième sirène. Mais qui peut dire s’il ne s’agissait pas encore d’une illusion ? Suffit-il de réitérer une erreur pour qu’elle tienne lieu de réalité objective ? Serais-je en train d’inventer une troisième sirène pour suivre l’évolution de la mythologie qui évoque d’abord deux Sirènes chez Homère, puis 3 ou 4 dans les traditions postérieures ?
Il faudrait des témoins qui corroborent les mêmes observations, des enregistrements, une enquête sur l’implantation du réseau RNA dans la région... C’est ça : un attirail de béquilles et de jambes de bois pour marcher sur la terre ferme quand on a perdu pied à force de nager en eau trouble.
« Il y a en Ulysse, cette opiniâtreté réfléchie qui conduit à l’empire universel : sa ruse est de paraître limiter son pouvoir, de rechercher froidement et avec calcul ce qu’il peut encore, face à l’autre puissance. Il sera tout, s’il maintient une limite et cet intervalle entre le réel et l’imaginaire que précisément le Chant des Sirènes l’invite à parcourir. Le résultat est une sorte de victoire pour lui, de sombre désastre pour Achab. L’on ne peut nier qu’Ulysse ait un peu entendu ce qu’Achab a vu, mais il a tenu bon au sein de cette entente, tandis qu’Achab s’est perdu dans l’image. Cela veut dire que l’un s’est refusé à la métamorphose dans laquelle l’autre a pénétré et disparu. »
Maurice Blanchot, « Le Chant des Sirènes », Le livre à venir.
Entendre les sirènes du mercredi est un moment salvateur comparé à l’attente entre deux premiers mercredis du mois. Pendant ce temps, les notes de lecture, les observations et les signets s’accumulent, de plus en plus digressifs ou métaphoriques. D’une sirène, l’autre, celle de la mythologie, de la littérature ou de la culture populaire prend le dessus et nourrit toutes sortes de fantaisies. La pensée dérive loin de sa source ; c’est l’ami absent dont on érode l’image à trop l’évoquer en souvenir. Entendre les sirènes du RNA devient alors un retour aux sens, un acte de fidélité.
« Un soir, à moitié endormi sur une banquette de bar, j’essayais par jeu de dénombrer tous les langages qui entraient dans mon écoute : musiques, conversations, bruits de chaises, de verres, toute une stéréophonie dont une place de Tanger (décrite par Severo Sarduy) est le lieu exemplaire. En moi aussi cela parlait (c’est bien connu), et cette parole dite "intérieure" ressemblait beaucoup au bruit de la place, à cet échelonnement de petites voix qui me venaient de l’extérieur : j’étais moi-même un lieu public, un souk ; en moi passaient les mots, les menus syntagmes, les bouts de formules, et aucune phrase ne se formait, comme si c’eût été la loi de ce langage là. »
Roland Barthes, Le plaisir du texte, Editions du Seuil, Paris, 1973, p.79.
Le charme est rompu ; je ne suis plus d’humeur à pratiquer cette qualité d’écoute qui scrute tous les recoins du paysage sonore, explore son relief, effeuille ses strates les moins audibles jusqu’aux rémanences intérieures pour découvrir le paysage submergé qui prolonge le premier. Cette Odyssée est un étrange parcours le long d’une côte qui suit une courbe en ruban de Möbius : on passe sans discontinuer du dehors au dedans et vice versa.
Un coup de ciseaux, et le ruban retrouve la monotonie d’une autoroute, le monde s’aplatit comme une crêpe.
Chacun connaît ce basculement de l’état amoureux ; l’oiseau en plein vol s’aperçoit soudain qu’il est déplumé et voué à la marmite. Après l’ivresse du départ et les épisodes de mal de mer, le bercement de la houle était devenu si familier qu’on s’y est lové ; le clapotis de l’eau substantifiait le silence et le mouvement perpétuel avait acquis la permanence d’une forme. Avoir la houle pour pays natal ou habiter la distance procède de la même illusion qui finit par négliger le mouvement. Il faut mettre pied à terre pour pouvoir à nouveau voyager et retrouver le sens du mouvement. Voilà comment on se réveille un beau jour sur le plancher des vaches, à compter les pâquerettes.
Ce midi, je me suis mise à la fenêtre du bureau pour écouter les sirènes. Pendant qu’elles batifolaient au loin, je regardais le jardin depuis mon perchoir. Oui, il y a déjà des pâquerettes, des jacinthes et des primevères. Les primevères poussent à l’emplacement des massifs de marguerite. Sans les primevères, les rhizomes de marguerite auraient sans doute envahi tout le jardin. Il y a un thuya malade et le cerisier aurait besoin de soins aussi, mais c’est trop tard maintenant, il faudra y penser l’hiver prochain si l’arbre est encore en vie. Les tuiles de l’abri du fond sont couvertes de mousse et le lierre du voisin déborde dessus. C’est toute la toiture qu’il faudrait refaire. J’en ai assez des géraniums. Cette année, j’ai envie d’autre chose pour les bacs en bordure de l’abri de jardin : peut-être des capucines si les pucerons veulent bien s’éclipser, sinon des pétunias. Et puis c’est le moment semer des lentilles pour l’herbe du Haft-Sin de Nowrouz. Le printemps n’attend pas. Je retrouverai les sirènes plus tard.
Surprise, j’ai suspendu mes mains au dessus du clavier quand la sirène a démarré.
Non ! J’ai dit que je n’y pensais plus. Je ne veux plus y penser. Tapote, tapote, je n’entends plus rien, rien d’autre que le son aigrelet des mots qui ratiocinent à propos d’une broutille professionnelle. Relecture du message ergoteur avant envoi ; je fais encore des fautes de genre. La langue française est sexy, ça se respecte, et je suis vexée de n’avoir toujours pas réussi à intégrer cette particularité.
C’est là que je me suis fait avoir. La sirène de fin d’alarme m’a rattrapée dans le silence de la relecture, un moment de flottement, de doute sur un accord. Je l’ai entendue par inadvertance.
Il n’y a pas à tortiller, ce son, c’est autre chose que les tapotis du clavier ou autres bruits domestiques. C’est toute une histoire quand il s’annonce dans le lointain, avance avec une régulière assurance, gagne en hauteur et en puissance, atteint cette plénitude qui conquiert tout l’espace. Ce son est majestueux. Et quand il s’efface, c’est encore avec élégance, en laissant planer comme un parfum, un souvenir concédé à l’oreille désormais condamnée à une sempiternelle réinvention magnifiée de son apparition.
Je suis certes rassurée d’apprendre, en lisant Jean-Luc Nancy*, que le sujet de l’écoute n’est pas un sujet phénoménologique ou philosophique ;-)
« Le sujet de l’écoute ou le sujet à l’écoute (mais aussi celui qui est "sujet à l’écoute" au sens où l’on peut être "sujet" à un trouble, à une affection et à une crise) n’est pas un sujet phénoménologique, c’est-à-dire qu’il n’est pas un sujet philosophique et, qu’en définitive, il n’est peut-être aucun sujet sauf à être le lieu de la résonance, de sa tension et de son rebond infinis, l’ampleur du déploiement sonore et la minceur de son reploiement simultané - par quoi se module une voix dans laquelle vibre en s’y retirant le singulier d’un cri d’un appel ou d’un chant... »(p. 45)
Par contre, je ne suis pas sûre de bien saisir la différence qu’il veut établir entre l’écoute et l’entente. Il me semble que ce qu’il appelle l’écoute est cette chose entendue par inadvertance puis savourée dans une sorte de ressassement ému dont l’issue pourrait éventuellement se trouver dans la poésie ou le mythe :
« Si l’écoute se distingue de l’entendre à la fois comme son ouverture (son attaque) et comme son extrémité intensifiée, c’est-à-dire réouverte au-delà de la compréhension (du sens) et au-delà de l’accord ou de l’harmonie (de l’entente ou de la résolution au sens musical), cela signifie forcément que l’écoute est à l’écoute d’autre chose que du sens en son sens signifiant. »(p. 61-62).
* Jean-Luc Nancy, A l’écoute, Galilée, Paris, 2002
Le pays retenait son souffle dans l’attente du grand débat télévisé entre les deux candidats à l’élection présidentielle. Toute la journée les médias ont grapillé des petites infos qu’ils nous ont servies en amuse gueule, ils nous ont fait la rétrospective des moments forts d’autres duels historiques entre candidats, ils se sont pourlèchés, frustrés de la confrontation de 2002 qui n’avait pas eu lieu, bien décidés à mettre le paquet pour se rattrapper. Ils ont pris leur élan pour l’orgie de commentaires qui ne manquera pas de s’étaler demain à toutes les unes.
Je n’imaginais pas que d’autres sons puissent se faire entendre dans ce tintamarre médiatique. Et pourtant, ce mercredi midi (hier déjà !) les sirènes ont retenti haut et clair, les chiens ont aboyé, et les candidats sont passés.
Il y avait trop de remue ménage dans la maison, je n’ai rien vu venir. On m’a appelé depuis l’étage : « Isabelle ! Les sirènes ! ». Trop tard.
Conclusion du mois : entendre les sirènes du Mercredi est un bon indicateur du degré de tranquillité de la vie.
Cela fait plusieurs mois que je n’entends pas les sirènes. Pourtant, elles se rappellent toujours à moi. Comme par hasard, peu de temps après les avoir manquées, je tombe nez à nez avec une image de Sirène.
Hier, c’était cette pauvrette qui rêve de porter un jean comme les garçons.
Le mois dernier, Jeudi 2 août pour être précise, c’était en passant devant la vitrine d’un magasin à Murano. Qu’est-ce que je vois ? Cette coupe marine avec papa Poséidon, maman Sirène et leurs deux enfants. Drôle ! Le papa et le fiston n’ont pas de queue vu qu’ils en ont déjà.
Oooh ! cette affaire prend une bien curieuse tournure. Plus jamais, je n’oserai parler de sirènes ;-)
Trois mois sans entendre les sirènes ; je commençais à trouver le temps long.
Aujourd’hui, je les guettais.
11h50 : je peste contre le bruit des ouvriers sur le chantier voisin. Pourvu qu’ils ne fassent pas le ramadan, pourvu qu’ils s’accordent une pause pour le déjeuner.
11h56 : ils arrêtent leurs machines. Ouf !
11h59 : j’ouvre grand les fenêtres pour ne rien rater du concert.
12h01 : rien
12h05 : toujours rien. Je tends l’oreille au loin, je n’entends que de vagues simulations du son déclinant de la sirène, mais je connais bien ce bruit, il se répète à intervalles trop irréguliers, ce n’est pas la sirène, ce sont juste les voitures qui décélèrent sur l’avenue principale, au loin. Je sais également que les motos de gros cubage qui passent sur la même avenue produisent, en accélérant et décélérant, une imitation très convaincante du son de la sirène. Ce sont des mirages de sirène que j’ai appris à reconnaître depuis longtemps. Je ne m’y laisse pas prendre.
12h07 : à défaut, je guette le signal de fin d’alarme.
12h15 : toujours rien
Sauf les douleurs en avion, mes oreilles vont très bien. Je les ai fait réviser chez l’ORL cet été : aucun problème d’audition.
Alors quoi ? Que sont devenues les sirènes ? Le mois dernier j’étais un peu étonnée de ne pas les avoir entendues et j’avais mis cela sur le compte de la distraction. Mais aujourd’hui, je dois me rendre à l’évidence, les sirènes sont en panne. Pas seulement la sirène proche, mais également les deux autres qui d’habitude, s’entendent au loin.
Les règlements du RNA auraient-ils changé ? Sur le site du ministère de l’intérieur je ne trouve rien qui aille dans ce sens. Au contraire, l’arrêté du 23 mars 2007 relatif aux caractéristiques techniques du signal national d’alerte précise à nouveau les normes du signal et confirme que les tests ont bien lieu le premier mercredi de chaque mois à midi.
Les autres coins de la France connaissent-ils la même panne ? Il semble que non : je viens de jeter un coup d’oeil sur les referers de transactiv.exe, comme tous les premiers mercredis du mois il y a une recrudescence de visites arrivant par les moteurs de recherche avec des requêtes du type "sirènes du mercredi". J’en conclus que pour songer à s’interroger sur les sirènes du premier mercredi du mois, ces visiteurs ont dû les entendre. A moins qu’eux aussi ne s’interrogent sur leur absence !
A l’occasion, il faudra que je me renseigne auprès de la mairie, de la gendarmerie, des pompiers ou de la supérette du quartier Sud dont le toit est pourvu d’un de ces dispositifs d’alarme. Je crains le pire ! Je crains que la région n’ait entrepris des travaux de modernisation pour remplacer les sirènes électro-mécaniques au son si riche, par des sirènes électroniques au son raplaplat. Ce serait bien triste, n’est-ce pas ?
Pour se consoler, voici une petite histoire amusante à propos de troubles d’audition, que j’ai récemment lue sur le blog de Mehdi, Kamtar az dah daghigheh :
Un homme soupçonne sa femme d’être dure d’oreille, mais il ne sait comment aborder le sujet avec elle. Il expose le problème à son médecin qui lui propose un test qu’il peut effectuer lui-même à la maison pour établir un premier diagnostic avant d’inviter son épouse à consulter un spécialiste. "Voici ce que vous allez faire, dit le médecin. Pour savoir quel est le degré d’audition de votre épouse, vous allez lui parler d’une voix normale à une distance de 4 mètres, si elle n’entend pas, vous répéterez la même chose à une distance de 3 mètres, et si besoin à 2 mètres et 1 mètre, puis vous me direz le résultat et nous aviserons."
L’homme rentre donc à la maison, et comme d’habitude s’installe dans le salon devant la télé pendant que sa femme s’affaire dans la cuisine. Évaluant qu’il est alors à environ 4 mètres de sa femme, il lui demande : "chérie, qu’est-ce qu’on mange ce soir ?". Pas de réponse. Alors il se lève, et depuis le centre du salon redemande : "chérie, qu’est-ce qu’on mange ce soir ?". Encore pas de réponse. Il s’approche jusqu’à la porte de la cuisine et répète encore sa question ; toujours pas de réponse. A 1 mètre, il ne reçoit pas plus de réponse et sa femme continue à remuer la vaisselle dans l’évier. Il s’approche enfin tout près d’elle, et redemande : "chérie, qu’est-ce qu’on mange ce soir ?". Alors son épouse se retourne d’un air un peu excédée et lui dit : "mais enfin tu es sourd ? Cela fait cinq fois que je te le répète : du ragoût de poulet !" »
Après un an, voici que la sirène du premier mercredi du mois se fait à nouveau entendre. Quelle surprise !
Entre temps, je m’ennuyais tellement des sirènes que j’avais été signaler leur disparition à la mairie, et puis j’avais concocté le projet d’aller les chercher en mer et de bricoler des appeaux à sirènes pour les réveiller.
Deuxième surprise : j’apprends cet après midi que mon projet d’Odyssée pour aller à la recherche des sirènes va sans doute pouvoir se réaliser. Super !
Je vous en dirai plus quand cela deviendra certain et que j’aurai d’autres détails...
Ouiiiii !!! Wow Wow WooOwwww !!!
Est-ce un chant de sirène ?
Mais non, c’est juste moi qui sautille en poussant des petits cris de joie.
Ça y est, c’est confirmé, j’irai faire cette Odyssée pour de vrai. Et comment donc ? Pour le contexte et les objectifs d’ensemble de l’expédition, voyez ce post : Expédition MOMAR 08 - LEG 2 ; « L’artiste en agent de transactivation entre art et sciences ».
Parmi diverses occupations à bord, je bricolerai des appeaux à sirènes, des trucs qui marchent avec le vent ou la houle. Nul ne sait ce qu’on pourra bien tirer de tels instruments, ni à quoi devrait ressembler un chant de sirène, tout ce que je sais, c’est que ce seront des instruments non-humains, au sens où ils ne sont pas conçus pour être joués par des humains. En cela, je ne peux que m’accorder sur les conclusions de Loredana Mancini : « la sirène est un daimon ornithomorphe spécialisé dans les manifestations psychiques irrationnelles liées aux sons qui surgissent spontanément de la Nature. » (voir le compte-rendu de lecture de Montserrat JUFRESA : Loredana MANCINI, Il rovinoso incanto. Storie di Sirene antiche, Bologna, Il Mulino, 2005, 296 p. », Clio, numéro 25/2007.)
Sur ce, je cours à mes bricolages : Wow Wow WooOwww !
Moi, je n’ai rien entendu, mais il semble que pas mal de gens aient paniqué en entendant les sirènes du RNA ce matin.
En effet, Transactiv.exe enregistrait dès ce midi, un pic de fréquentation inhabituel, avec une foule de requêtes autour des termes "sirène d’alarme" ou "sirènes du mercredi", etc.
C’est très curieux d’entendre ainsi les sirènes par procuration. Les referers du site fonctionnent comme un système d’écoute à distance ou un sismographe. Cela donne une façon d’entendre sans entendre ; quelque chose bruit au loin, je ne sais pas où ni pourquoi, mais je sais que c’est en rapport avec les sirènes. Parfois le même phénomène se produit au sujet des flashmobs, et je peux deviner que quelque chose se prépare.
Qu’est-ce qui a bien pu se produire ? Y-aurait-il une fuite chimique ou nucléaire quelque part ? Me voilà bien tranquille chez moi, scrutant quelque chose dans le vide, une possible catastrophe. Il n’y a rien dans la presse, rien à la radio. Je trouve juste cette dépêche de l’ AFP dans le Figaro :
« Vraies sirènes mais fausse alerte à ParisLes sirènes du réseau national d’alerte (RNA) ont retenti sans raison à deux reprises jeudi à 9h32 sur Paris et les trois départements de la petite couronne, déclenchant un afflux d’appels chez les sapeurs-pompiers qui demandent instamment de ne plus appeler au 18-112.
Le porte-parole de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), le capitaine Michel Cros a expliqué que cette alerte sans objet dont l’origine n’a pas été déterminée, a provoqué un très grand nombre d’appels au standard de la BSPP qui couvre les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis.
Les sirènes du RNA, un système mis en place en France après la seconde guerre mondiale qui permet d’alerter la population en cas de catastrophe majeure, sont testées le 1er mercredi de chaque mois à midi lors d’un signal d’essai. Elles retentissent alors à trois reprises séparées de cinq secondes.
Source : AFP
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