Le Vendredi 30 juin, le projet de loi DADVSI sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information a été voté par le Sénat et l’Assemblée Nationale après une dernière reécriture par la Commission mixte paritaire.
L’hémicycle était quasiment désert : une trentaine de députés s’ébattaient dans les premières travées. Sur les bancs de l’opposition, Mme Billard, MM. Bloche, Dutoit, Mathus et Paul, qui avaient suivi le dossier depuis le début de son examen parlementaire, étaient présents pour tenter une dernière fois de convaincre. Mais leur espoir de voir une partie de la majorité voter contre le projet de loi était déjà ruiné par l’absence de la douzaine de députés UMP signataires d’une lettre ouverte à Bernard Accoyer, et dont certains avaient pourtant annoncé qu’ils voteraient contre le projet de loi. Les 4 membres de l’UDF présents se sont répartis entre l’abstension et le contre. Avec les 5 de l’opposition ils ne faisaient pas le poids. L’opposition a déjà saisi le Conseil Constitutionnel. Si ce dernier n’émet pas d’objections, la loi sera appliquée… pour autant qu’elle soit applicable, ce sur quoi beaucoup ont des doutes.
J’avais commencé à consigner des liens sur le vote final du projet de loi DADVSI, j’ai imprimé le texte, je l’ai parcouru en diagonale, et puis je me suis dit que j’allais être encore plus sage : je vais arrêter les frais.
Comme le rappelait la députée Martine Billard dans les débats du 30 juin à l’Assemblée Nationale : “De toute façon une nouvelle directive européenne doit être examinée à l’automne. Pourquoi transposer un texte qui sera obsolète dans quelques mois ?”
J’en ai assez de lire les différentes versions de ce texte. Il était déjà compliqué et mal ficelé, maintenant il est devenu hypocrite et contradictoire. Ce n’est plus un texte de loi. En accumulant les faux compromis, ce texte est devenu un mélange de déclarations politiques assorti de mesures légales qui contredisent et annulent la portée de ces déclarations.
C’était déjà vrai de la copie privée dont le principe continue à être affirmé tandis que son exercice réél est compromis par le fait qu’aucune limite n’est véritablement imposée à l’usage des DRM.
C’est désormais le cas pour l’interopérabilité dont le principe est proclamé, alors que par ailleurs une batterie de mesures permet au contraire de verrouiller les DRM. Les majors de l’édition logicielle et de l’industrie culturelle pourront continuer à sectoriser le marché et à tenir les consommateurs captifs. Les logiciels libres ou les petites entreprises émergentes auront bien du mal à faire valoir leur droit à l’existence par le recours à l’autorité des mesures techniques qui est censée arbitrer les litiges : c’est encore une AAI (autorité administrative indépendante) de plus, au moment où un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation s’inquiète de leur prolifération et de leur bon fonctionnement. Outre les doutes que l’on pourrait avoir sur “l’indépendance” de cette autorité, il faut noter que les particuliers n’auront même pas la faculté de saisir cette autorité lorsqu’un DRM les empêchera de lire une oeuvre légitimement acquise sur tout logiciel ou matériel de leur choix.
Quant à l’exception pédagogique, non seulement elle est repoussée à 2009, mais elle a été tellement écornée qu’on en arrive à se demander si son utilité ne se limite pas à imposer une redevance de plus. Cette exception exclut les oeuvres elles-mêmes conçues à des fins pédagogiques, les oeuvres courtes, les partitions de musique et les oeuvres elles-mêmes réalisées pour des éditions numériques de l’écrit. Pour ce qui est des images, on ne sait pas s’il est permis de les reproduire, vu que l’exception n’autorise que les extraits d’oeuvres. Donc, on a créé une exception qui fait exception de tant choses que cela confine à l’absurde. Qui peut croire qu’un enseignant puisse travailler dans la légalité à ces conditions ? Comment pourrait-il même se soucier de respecter des mesures aussi ridicules ?
Et que faut-il penser de l’apparente redondance de l’article additionnel 112.7.1 : “L’auteur est libre de mettre ses oeuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des conventions qu’il a conclues.” ? Le droit moral de l’auteur serait-il à ce point affaibli par ce projet de loi qu’il devienne nécessaire de réaffirmer le droit de divulgation qui n’en est qu’un aspect seulement ?
La sagesse voudrait que pour contrebalancer l’usage trop restrictif qui est fait du droit d’auteur, ces derniers proposent leurs oeuvres avec des Licences libres. Mais quand les législateurs pondent des textes à ce point iniques et irréalistes, on peut s’attendre à des contre coups nettement plus conflictuels. Le résultat de ce gâchis c’est le renforcement de ceux qui sont tentés par la désobéissance civique : voici qu’après la Suède et les Etats Unis, la France a aussi son Parti Pirate.
Il fait beau, j’ai envie de faire une promenade à vélo, de réaccorder ma guitare, de lire un bon bouquin sous le cerisier... Ce calamiteux DADVSI ne mérite pas qu’on lui consacre plus de temps.
En tout cas, pas pour le moment. J’ai déjà bien usé mon clavier sur ce sujet dans deux longues enfilades de ce forum. Cela a commencé ici et s’est poursuivi là. Il est probable qu’il faille y revenir encore assez régulièrement. L’adaptation du droit d’auteur aux nouveaux usages consécutifs à la multiplication des auteurs et au déploiement des technologies numériques est un vaste chantier et on se doute bien qu’il n’est pas si facile d’en finir avec le DADVSI. Karen me dit que je devrais créer une rubrique spéciale droit d’auteur. Oui, cela semble s’imposer, je vais y réfléchir.
Quelques liens :
Les trois versions successives du texte du projet de loi sont présentés à la suite du Compte-rendu analytique officiel de la séance du 30 juin. La version finale (pdf provisoire), qui comporte des corrections mineures ne diffère que peu de celle de la CMP.
Les déclarations de Christophe Espern (EUCD.INFO) et Frédéric Couchet (FSF France) sur le site d’EUCD.INFO : DADVSI : l’UMP vote la pire loi sur le droit d’auteur en Europe
Le discours de Christian Paul pour la session du 30 juin et les commentaires qui l’accompagnent.
Le Rapport de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation sur les autorités administratives indépendantes, par M. Patrice GÉLARD, Sénateur, le 15 juin 2006, site de l’Assemblée Nationale.
L’encodage des oeuvres numériques, un nouveau Big Brother ? par Michel Rocard et Bernard Carayon, Figaro, 23 juin
28 juin, déclaration commune de Ségolène Royal et Richard Stallman :
Meeting between Ségolène Royal and Richard Stallman, Free Software Foundation
Entretien entre Ségolène Royal et Richard Stallman, Désir d’avenir (le site de Ségolène Royal)
Le PS a déposé un recours auprès du Conseil Constitutionnel sur la loi DADVSI (fichier PDF sur le blog du secrétariat national aux TIC du parti socialiste)
Outre le groupe socialiste, le recours a été signé par deux députés UDF, 4 PCF et 3 verts.
Selon les règlements du Conseil Constitutionnel, celui-ci doit examiner le projet de loi dans un délai de 1 mois maximum (8 jours si le gouvernement décrète l’urgence).
Résumé du recours
Sur la forme :
Un des premiers éléments d’inconstitutionnalité évoqués par le PS est le manque de clarté du texte. En effet, comment exiger du commun des mortels de respecter une loi qui est inintelligible ? [1]
Le second grief porte sur les multiples irrégularités de procédure qui ont vicié les débats.
Sur le fond :
Difficulté d’estimation du principe du triple test : les personnes qui veulent bénéficier des exceptions au droit d’auteur sont dans l’impossiblité de s’assurer qu’ils respectent bien le principe du triple test, ce qui les expose à l’insécurité juridique ou bien à des comportements d’auto-restriction dommageables à la liberté d’information.[2]
imprécision, donc inapplicabilité, de la loi sur la culpabilité de ceux qui éditent ou distribuent « un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’oeuvres ou d’objets protégés »
absence de définition de l’interopérabilité, d’où difficulté à déterminer les cas d’exonération à l’interdiction du contournement des MTP.
non garantie de l’interopérabilité : impossibilité de recours pour le consommateur (ou le titulaire des droits) en cas de privation du droit d’interopérabilité qui lui est par ailleurs reconnu.
difficulté d’apporter les preuves d’une infraction et absence de garanties sur le fait que cette difficulté ne sera pas contournée par des méthodes intrusives pour le consommateur.
discrimination des auteurs d’oeuvres gratuites et des titulaires de droits voisins dont le droit de divulgation (ou de non divulgation) n’est pas pris en compte par l’article 21.
discrimination injustifiée des logiciels P2P par rapports à d’autres vecteurs de communication
atteinte au droit de propriété des artistes interprètes
incohérences et incertitudes du régime de la copie privée
Sans le dire explicitement, un grand nombre de ces remarques mettent le doigt sur l’impossibilité de légiférer de façon trop détaillée sur des dispositifs techniques sans s’enliser dans d’inextricables contradictions.
J’ai l’impression qu’avec le DADVSI nous atteignons la limite de ce que la loi peut contenir avant de s’effondrer sous le poids de la technologie qu’elle veut absorber. On dirait une mayonnaise qui se défait avant de tourner à la vinaigrette.[3]
[1] Chaque alinéa ouvre sur un abyme de perplexité. Depuis le mois de décembre, chacun dans son coin, ou bien à plusieurs sur les listes de discussion, émet des hypothèses sur l’interprétation qu’il convient de donner à telle ou telle partie du texte. Dernier exemple en date sur le blog de Pierre Mounier, pour essayer de comprendre une petite demi-ligne ajoutée par la CMP à l’exception pédagogique, et je ne suis même pas certaine que cette lecture soit correcte (le "initalement" est peut-être de trop).
Mais nous n’allons tout de même pas nous excuser de ne pas être juristes ou experts ! Si la loi ne s’adresse qu’à eux, qu’ils soient alors seuls tenus de la respecter.
En voyant comment ce texte est amendé et rafistolé au jour le jour, on s’aperçoit que les législateurs aussi avancent à l’aveuglette, selon les pressions qu’ils subissent et sans toujours bien saisir la portée des notions techniques sur lesquelles ils doivent statuer.
[2] Ce qui explique pourquoi tant de pays européens ont rechigné à transposer trop explicitement ce principe dans leur loi.
[3] La plupart des gens écrivent la DADVSI (la loi), mais jusqu’à nouvel ordre, je continuerai à écrire le DADVSI (le projet de loi).
C’est désormais tout ce qu’il y a de plus officiel. On ne pourra plus dire LE (projet de loi) DADVSI mais LA (loi) DADVSI. Elle vient d’être publiée au Journal Officiel, et en principe elle devrait entrer en vigueur dès le lendemain, c’est à dire aujourd’hui, 4 août. Il ne reste plus qu’à régler le datail des décrets d’application.
Pour la DADVSI c’est donc cuit, et on peut même dire que ça sent le roussi.
En effet, l’opposition (socialistes, verts, PCF et une partie de l’UDF) qui avait saisi le Conseil Constitutionnel n’a pas obtenu gain de cause. Bien au contraire ! Le 27 juillet, celui-ci avait rendu ses conclusions en durcissant encore le texte, ce qui nous ramène à peu de choses près à la case départ, c’est à dire à la version la plus répressive du texte avant qu’il ne soit amendé par l’Assemblée Nationale. Donner du travail au Conseil Constitutionnel en pleine canicule n’était finalement pas une bonne idée.
Voir :
Dossier complet du Conseil Constitutionnel sur la loi DADVSI
Décision n° 2006-540 DC - 27 juillet 2006, décision intégrale du Conseil Constitutionnel
En plus lisible : Cahiers du Conseil Constitutionnel 21, Décisions et documents du Conseil Constitutionnel, Jurisprudence
Le premier motif d’inconstitutionnalité invoqué, visait l’inintelligibilité du texte de loi et n’a visiblement pas retenu l’attention du Conseil Constitutionnel. Pourtant, c’était le plus évident. Ce sujet a plutôt été distribué, donc dilué, dans le traitement des autres points auquel le conseil prétend avoir apporté des clarifications.
Certains arguments d’inconstitutionnalité avancés par l’opposition ont été retournés pour justifier un retour en arrière. Ces arguments étaient souvent à double tranchant car ils pointaient des ambiguïtés ou des contradictions. Le Conseil Constitutionnel a systématiquement opté pour le fait de lever ces ambiguité en consolidant l’interprétation la plus restrictive du texte.
Triple test et copie privée (articles 1er, 2 et 3)
Sur la difficulté d’estimation du test en trois étapes, l’assemblée de ceux qui n’ont de “sage” que le nom, a confirmé la constitutionnalité de la transposition explicite du triple test dans le droit interne, et en vertu de ce principe, le fait que les auteurs ou titulaires des droits peuvent réduire le bénéfice de la copie privé à 1 ou zéro copies :
"Il en découle en particulier que les dispositions de la section II, intitulée ” Mesures techniques de protection et d’information “, insérée dans le chapitre Ier du titre III du livre III du code de la propriété intellectuelles par la loi déférée, doivent s’entendre comme n’interdisant pas aux auteurs ou aux titulaires de droits voisins de recourir à des mesures techniques de protection limitant à une copie unique, voire faisant obstacle à toute copie, dans les cas particuliers où une telle solution serait commandée par la nécessité d’assurer l’exploitation normale de l’oeuvre ou par celle de prévenir un préjudice injustifié à leurs intérêts légitimes.
Le Conseil a jugé que toute autre interprétation serait manifestement incompatible avec le respect du principe du ” test en trois étapes ” auquel la directive subordonne l’exercice des exceptions."
Erigé en règle sacrée, le triple test, gardien des intérêts économiques des auteurs et des titulaires des droits, justifie donc toutes les limitations au droit du public, au détriment des principes qui dès l’origine du droit d’auteur ont toujours cherché à ménager un juste équilibre entre le droit d’accès à la connaissance pour le public d’une part, et le droit des auteurs et des éditeurs d’autre part. Ce principe du test en trois étapes bride toutes les exceptions au droit d’auteur dont le public est censé pouvoir bénéficier.
Les seules améliorations que l’on pouvait éventuellement retenir avec la DADVSI concernent l’introduction de quelques nouvelles exceptions au droit d’auteur, mais dans la plupart des cas, elles ne sont qu’apparentes et n’apportent pas d’avancée notable pour l’usager :
L’exception de copie pour les bibliothèques et archives a pour seule visée de contrebalancer la fragilité des oeuvres numériques afin de prolonger leur durée de conservation.
L’exception pédagogique autorise seulement les extraits d’oeuvres mais exclut, même sous forme d’extraits, les partitions, les éditions numériques, ainsi que les oeuvres déjà conçues à des fins pédagogiques. Sachant que les oeuvres courtes (par exemple un poème) sont également exclues, il ne reste pas grand chose à se mettre sous la dent, et ce peu est soumis à une redevance forfaitaire. Autant dire qu’il s’agit de rendre payant un usage légèrement étendu du droit de citation.
L’exception de reproduction d’oeuvres à des fins d’information immédiate est réservée à la presse écrite, et ne concerne que les reproductions de première main. Par exemple, il n’est pas possible de réutiliser sans autorisation l’image d’une oeuvre déjà produite dans la presse pour rendre compte d’un événement artistique.
Interopérabilité et logiciels libres
Selon la requête de l’opposition, la notion d’"interopérabilité" n’est pas suffisamment définie par la loi, or, il s’agit d’une notion clef permettant de déterminer les exceptions ouvrant droit au contournement des Mesures Techniques de Protection. Le Conseil Constitutionnel a reconnu cette insuffisance. Mais loin de renforcer le droit à l’interopérabilité en précisant une définition de cette notion, il en tiré la conclusion que la mise en oeuvre de l’interopérabilité ne peut constituer une exception à l’interdiction de contournement des DRM. De même, l’exception à des fins de “recherche” a été précisée et limitée en exception à des fins de “recherche scientifique en cryptographie et à condition qu’elle ne tende pas à porter préjudice aux titulaires des droits". (articles 22 et 23).
Par ailleurs, le Conseil Constitutionnel a souligné que les MTP relèvent elles-même d’un droit de propriété intellectuelle que la loi est censée protéger au même titre que les oeuvres (doublement protégées par la loi et les MTP) et que l’Autorité de régulation doit donc veiller à ce que la divulgation des informations sur les MTP soit également rémunérée. Il a également confirmé que le recours à cette Autorité est seulement réservée aux professionnels, ce qui exclut les particuliers mais aussi les associations de consommateurs et les développeurs de logiciels libres indépendants qui opèrent dans des structures informelles. Ces derniers devront user de recours juridictionnels qui seront évidemment plus longs et fastidieux.
Il s’ensuit que les personnes qui développent des logiciels libres multimédia vont avoir beaucoup de mal à maintenir leurs logiciels, car pour être en mesure de lire les oeuvres protégées par des MTP, les développeurs devront intégrer des structures professionnelles qui puissent saisir l’Autorité de régulation et supporter les frais de cession des informations nécessaires à la mise en oeuvre de l’interopérabilité. C’est grave pour la vitalité du secteur des logiciels libres qui repose sur des initiatives souvent individuelles qui s’enrichissent peu à peu de collaborations de plus en plus nombreuses à mesure que le logiciel éveille l’intérêt des utilisateurs. En outre, rien ne garantit qu’une fois cédées contre une rétribution, les informations nécessaires à la mise en oeuvre de l’interopérabilité puissent rester en open source une fois implémentées dans un logiciel libre.
Le coup porté au secteur du logiciel libre est donc doublement sévère. C’est d’abord une dynamique sociale d’innovation qui est remise en cause par cette mesure. C’est ensuite le principe même du code ouvert en ce qu’il est propice à l’éveil des compétences techniques des amateurs-utilisateurs qui est compromis. La France peut-elle se payer le luxe de pénaliser les logiciels libres ?
Comme le soulignait Olivier Zapolsky dans son article du 14 juillet dernier dans le journal Libération, Il faut libérer le logiciel libre :
“Dans la grande compétition économique mondiale, l’un des derniers secteurs où la France peut encore jouer un rôle de premier plan est celui de l’économie des savoirs. Tout le monde s’accorde sur ce point. Or nous avons perdu, face aux Etats-Unis et au BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), la plupart des batailles technologiques et économiques dans ce secteur. Le seul domaine où persiste encore une chance pour la France de conserver une position de leadership est celui des logiciels libres. Conserver, car, jusqu’à présent, la France a su développer un savoir-faire et une industrie du logiciel libre qui fait d’elle un prétendant sérieux au rôle de leader dans ce domaine.”
Le Conseil Constitutionnel consacre le droit au secret des MTP. Par conséquent, aucun logiciel de lecture multimedia ne pourra être tout à fait en open source. (articles 13 et 14) :
“Les mesures techniques de protection sont en effet soit des inventions brevetées, soit des logiciels (qualifiés d’oeuvres de l’esprit tant par le code de la propriété intellectuelle français que par les instruments européens et internationaux).
Les MTP sont donc en tant que telles (et pas seulement du fait de la volonté des auteurs et des artistes interprètes d’y avoir recours) protégées par l’article 17 de la Déclaration de 1789. Leur dévoilement et leur utilisation forcés doivent être justifiés par une nécessité publique et faire l’objet d’une juste et préalable indemnité. “
Au delà du préjudice qui est porté au secteur du logiciel libre, il faut souligner que c’est plus généralement l’attitude d’émancipation des utilisateurs face aux nouvelles technologies que la loi DADVSI est en train d’inhiber. Loin d’encourager la curiosité technique du bricoleur qui cherche à comprendre et à s’approprier les outils, cette loi le pénalise. Il s’agit d’un choix culturel désastreux.
Sanctions (articles 21 et 24)
Sur le chapitre des sanctions, la démarche a été similaire. La saisine concernant l’inégalité de traitement entre différents outils d’échange de fichiers (notamment P2P) a été retenue, mais elle a abouti à incriminer tout “logiciel manifestement destiné à la mise à disposition non autorisée d’oeuvres ou d’objets protégés” en supprimant l’exception des logiciels collaboratifs ou de recherche. La sainsine concernant l’inégalité des délits selon qu’ils sont commis par un réseau P2P (simple contravention) ou par d’autres moyens (délit de contrefaçon) a également été retenue. Le Conseil a donc tranché pour un retour aux sanctions sans nuance du projet de loi initial qui ne reconnaît que le délit de contrefaçon. Par conséquent, tout échange illicite d’oeuvre protégée, par quelque moyen que ce soit, expose le contrefacteur à de lourdes peines pouvant aller jusqu’à 300.000 euros d’amende et 3 ans de prison.
Il faut reconnaître que l’argument était spécieux et fort risqué. L’opposition espérait peut-être que le conseil constitutionnel égaliserait les sanctions par le bas, mais il a égalisé par le haut et on peut dire qu’il a eu la main lourde.
Non seulement l’opposition s’est tirée une balle dans le pied mais elle a démoli la riposte graduée dont le ministre de la culture Renaud Donnedieu de Vabres était si fier.
Dans sa lettre ouverte aux internautes, RDDV se veut rassurant, il affirme que l’interopérabilité est garantie et promet de veiller à ce que l’application des sanctions soit raisonnable, mais ces assurances ne résistent pas à l’examen du texte de loi.
Le parti socialiste, quant à lui, promet de mettre en chantier un nouveau texte dans la concertation. Mais après ce gâchis, il faut une bonne dose d’optimisme pour croire à ces promesses de promesse.
Nombreux sont ceux qui paradoxalement se réjouissent que cette loi soit finalement promulguée sous sa pire forme. Ceux là ont assisté aux débats avec une certaine irritation, car pour eux ce coupage de cheveux en quatre était la meilleure façon de réformer la DADVSI au point de la rendre plus cohérente et presque supportable. Il est vrai qu’à force de discussions, la loi s’est délestée de quelques inepties ou contradictions trop flagrantes et qu’en cela elle est devenue un peu plus cohérente. Mais les travaux du Sénat, de la Commission Mixte Paritaire et enfin du Conseil Constitutionnel sont allés à rebours des concessions arrachées à l’Assemblée Nationale. Après ce toilettage, la réalité de cette loi qui va à l’encontre de l’intérêt du public n’en devient que plus manifeste. S’il fallait des conditions pour porter la question du droit d’auteur jusqu’à la situation de crise à partir de laquelle une remise en question fondamentale du droit d’auteur devient nécessaire, cette loi les aura sans doute réunies.
D’autres aspects de la DADVSI sont abordés par Benoît Tabaka sur Agoravox : Ce que vous n’avez pas lu dans la DADVSI. Il s’agit des mesures que devront prendre les fournisseurs d’accès pour rappeler aux abonnés leur responsabilité à propos des actes de contrefaçon qui seraient commis via leur connexion. Ce point avait été souvent relevé par les internautes. Benoît Tabaka rappelle également l’article 52 qui évoque le projet d’une plate forme de téléchargement public que la loi promet d’examiner d’ici un an et demi. Je crois me souvenir que dans la première mouture qui était sortie des débats de l’Assemblée nationale, ce projet était un engagement ferme qui devait être mis en oeuvre dans les six mois, mais depuis, cela s’est réduit à la vague promesse de réaliser une étude de faisabilité d’une telle plate forme d’ici dix huit mois.
A propos de la responsabilité des abonnés, Guillaume Champeau publie un article soulignant le problème de la sécurisation des connexions wifi : Le wifi mis en danger par la loi DADVSI.
PC INpact signale un des premiers dommages collatéraux de la loi DADVSI : un site dédié au P2P contraint de changer sa ligne. Dans les mois qui viennent nous verrons sûrement beaucoup d’autres exemples de sites ou sociétés qui seront obligés de réviser leur stratégie.
Mon agenda scolaire tire à sa fin ; on ne peut pas dire que l’année fut bonne : un oeil rivé sur les laideurs de la DADVSI, l’autre sur les horreurs du Moyen Orient, j’ai traversé le reste en zombie. Quel gâchis ! Dans mon agenda, il reste quelques pages pour les vacances. Je vais dans un pays dont je ne comprends pas la langue. Sans connexion, sans télé, sans journaux, sans nouvelles. Je vais beaucoup nager pour me débarasser de cette sensation de souillure en espérant qu’elle ne me rattrape pas au retour. J’admire ceux qui arrivent à rester propres tout en se tenant informés.
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