Le projet de loi DADVSI, que le gouvernement souhaite faire voter en procédure d’urgence avant la fin de l’année 2005, aura plusieurs effets :légitimer les dispositifs techniques de contrôle d’usage et de traçage (mesures techniques) installés par les éditeurs et les producteurs sur les supports numériques (CD, DVD, etc.), dans les logiciels, les matériels électroniques et les fichiers multimédias ;
supprimer de facto le droit à la copie privée et restreindre de façon drastique l’utilisation dans un cadre familial ou de fair use ;
imposer aux utilisateurs le coût des mesures techniques empêchant la copie privée, tout en conservant la redevance pour copie privée payée sur les supports numériques ;
pénaliser la diffusion d’informations techniques permettant de comprendre le fonctionnement des mesures techniques ;
pénaliser l’utilisation, le développement et la diffusion de logiciels libres.Graver ses propres compilations à partir d’un CD, extraire son morceau favori pour l’écouter sur son ordinateur, transférer son contenu vers un baladeur MP3, prêter un CD à un ami, lire un DVD avec le logiciel de son choix, programmer, améliorer, utiliser ou diffuser un logiciel libre permettant la lecture d’une œuvre numérisée, autant de pratiques très répandues et parfaitement légales que le gouvernement propose donc de proscrire de fait.
Le débat autour du projet de loi DADVSI (projet de loi sur les Droits d’Auteur et les Droits Voisins dans la Société de l’Information – n°1206 proposé par J.J. Aillagon à l’assemblée Nationale le 12 novembre 2003 ) aborde une phase critique. Suite aux menaces de sanction de la Commission Européenne qui presse le gouvernement français d’adapter le Code de la Propriété Intellectuelle aux exigences de la directive EUCD (European Union Copyright Directive – 2001/29CE), le 5 novembre, le gouvernement a déclaré l’urgence ; c’est donc les 22 et 23 décembre, que les députés auront à voter ce projet de loi dont le moins qu’on puisse dire, est qu’il suscite de vives inquiétudes du côté des usagers et associations de consommateurs, chez les bibliothécaires archivistes et documentalistes, dans le mouvement des logiciels libres, ainsi qu’auprès de nombreux artistes et auteurs proches des mouvements du libre [1].
Les vacances d’été ne suffisant plus pour faire passer en catimini les mesures impopulaires, c’est à la veille des fêtes que le gouvernement tente de faire passer en force un projet de loi contesté, dont les implications sont difficiles à mesurer et à comprendre. A cette époque de l’année, les médias auront bien d’autres Pères Noël à fouetter, et il n’y aura aucune portion de cerveau disponible pour entendre de fastidieuses explications sur les conséquences de la légalisation des DRM qui constitue le plat de résistance de cet indigeste festin juridique.
Et d’abord qu’est ce que les DRM, autrement désignés dans le projet de loi par « mesures techniques de protection et d’identification des oeuvres » ?
La définition légale est proposée dans l’article 7 du projet de loi :
« On entend par mesure technique au sens de l’alinéa précédent, toute technologie, dispositif, composant, qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, accomplit la fonction prévue à l’alinéa précédent. Ces mesures techniques sont réputées efficaces lorsqu’une utilisation visée à l’alinéa précédent est contrôlée grâce à l’application d’un code d’accès, d’un procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’objet de la protection, ou d’un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection. »
Pour en savoir plus sur les DRM et la menace qu’ils représentent tant pour la vie privée que pour l’interopérabilité, voyez le dossier DRM sur le blog de Thierry Stoehr, Les Formats ouverts.
C’est dire qu’il n’est pas facile de se faire une idée exacte de la portée de ce projet de loi et de ses conséquences pour le public, les auteurs, les PME, les bibliothécaires, ainsi que pour l’avenir des logiciels libres. Pour l’étudier, il faut ouvir 4 onglets sur votre navigateur et lire les articles en les comparant, complétant et souspesant les uns par rapport aux autres :
1- le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI)
2- les propositions de modification au CPI par le projet de loi DADVSI n° 1206
3- la directive EUCD (European Union Copyright Directive – 2001/29CE)
4- la liste des Amendements retenus en vue d’une éventuelle intégration au projet de loi DADVSI
La légalisation des mesures techniques de protection est introduite par l’article 10 chapitre III (futur article 331-10) du projet de loi, qui est suivi par toute une série de mesures décrites dans les articles 11 à 15 du même chapitre visant à sanctionner toute tentative de contournement des mesures techniques de protection.
Ces mesures paraissent tellement contraignantes que l’on se demande comment ce projet de loi peut encore respecter le droit à la copie privée.
Un début de lecture nous fait prendre la mesure des difficultés rencontrées par le législateur pour ménager la chèvre et le chou dans ce projet de loi qui prétend respecter les exceptions au droit d’auteur inscrites dans l’article 122-5 du CPI qui garantit notamment le fameux droit à la copie privée :
L’article 1 du projet commence par ajouter des exceptions (donc des libertés) : exception pour les copies temporaires (caches) et pour les handicapés. Soit.
Mais il y a un problème ! La légalisation de l’usage des DRM risque de compromettre sérieusement le droit à la copie privée.
Là, le législateur s’aperçoit qu’il y a quelque chose qui cloche.
Alors il tente de rattrapper le coup tant bien que mal. L’article 8 du projet de loi bâcle à la hâte quelques dispositions qui paraissent bien floues comparées au luxe de détails prodigués dans le chapitre III sur les mesures qui sanctionnent le contournement des DRM. Qu’on en juge, l’article est assez bref pour qu’on puisse le citer sans craindre la longueur :
Article 8
Il est inséré, après l’article L. 331-5 du code de la propriété intellectuelle, un article L. 331-6 ainsi rédigé :
« Art. L. 331-6.- Les titulaires de droits mentionnés à l’article L. 331-5 prennent dans un délai raisonnable, le cas échéant après accord avec les autres parties intéressées, les mesures qui permettent le bénéfice effectif des exceptions définies aux 2° et 7° de l’article L. 122-5 et au 2° et 6° de l’article L. 211-3 dès lors que les personnes bénéficiaires d’une exception ont un accès licite à l’œuvre ou à un phonogramme, vidéogramme ou programme, que l’exception ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou d’un autre objet protégé et qu’il n’est pas causé un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire de droits sur cette œuvre ou cet objet protégé.
« Les titulaires de droits ont la faculté de prendre des mesures permettant de limiter le nombre de copies.
« Les titulaires de droits ne sont pas tenus de prendre les mesures prévues au premier alinéa lorsque l’œuvre ou un autre objet protégé par un droit voisin sont mis à la disposition du public selon les stipulations contractuelles convenues entre les parties, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit. »
Et pour finir, on s’aperçoit que dans cet article qui était censé assurer une compatibilité entre les limitations introduites par les DRM et le droit de copie privée, le législateur s’obstine encore à introduire de nouvelles limitations au droit de copie en permettant au titulaire des droits de décider à la place de l’utilisateur de combien de copies il peut disposer pour son usage privé. En outre, le titulaire se voit dispensé de l’obligation d’autoriser toute copie, même privée, dans le contexte des oeuvres dont l’accès se fait en ligne (enfin, à supposer que la circonvolution « à l’endroit et au moment qu’il choisit » désigne à peu près les documents en ligne).
L’incertitude juridique qui résulte de cette disposition on ne peut plus vague, ne pourra par la suite que desservir le public et les consommateurs en cas de litige, alors qu’à contrario, la précision des mesures coercitives de ce projet de loi offrent toute garantie aux titulaires (sociétés de collecte de droits d’auteur, producteurs, éditeurs..) de pouvoir faire valoir leurs droits.
Fastidieux n’est-ce pas ?
Et pourtant nous n’en sommes qu’aux balbutiements du décryptage de ce projet de loi.
Fort heureusement, Christophe Espern et Laurent Saka se sont employés à nous livrer le résultat de leurs analyses avec des efforts de pédagogie remarquables. Le dossier qu’ils ont constitué sur le site EUCD.INFO comporte entre autres documents utiles, un résumé des enjeux du projet de loi DADVSI, un dossier pdf en version courte qui retrace l’historique de l’élaboration de ce projet de loi, ainsi qu’un dossier pdf en version longue qui apporte un argumentaire détaillé pour souligner les aspects les plus discutables de ce projet de loi. Ces dossiers suggèrent également aux personnes intéressées, des modes d’action pour tenter d’infléchir la volonté du gouvernement à faire passer dans l’urgence une loi qui risque de mettre en péril le développement et la diffusion des logiciels libres.
Ce dernir point mériterait un développement à part, que je reporte à un prochain billet.
[1]. voir les signataires de la pétition eucd.info qui demande de retirer le projet de loi n° 1206 sur le droit d’auteur de l’ordre du jour parlementaire en attendant qu’un vrai débat soit organisé avec notamment les acteurs du mouvement du logiciel libre qui en ont été exclus.
Oui, la suite pour bientôt...
En attendant, pour ceux qui voudraient mieux comprendre, rien ne vaut une réunion d’information où il est possible de discuter avec des juristes et des représentants de diverses associations qui suivent l’élaboration du projet de loi DADVSI avec attention depuis plusieurs années.
Lire les textes c’est nécessaire. On ne peut pas en faire l’économie, ne serait-ce que pour préciser les questions que l’on se pose. Mais le néophyte butte rapidement sur des formules absconses du genre de celle que je relevais dans le billet ci-dessus : que faut-il comprendre par oeuvre ou objet "mis à la disposition du public selon les stipulations contractuelles convenues entre les parties, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit" ? Quelle entourloupe se cache sous une telle formulation ? Que vise-t-on concrètement ? Qu’est-ce qu’une telle formule veut éviter de nommer de façon trop contingente ?
Donc, si vous avez manqué le First Jeudi Parinux du 1er décembre où l’on pouvait discuter en détail le projet de loi DADVSI avec des personnes bien informées, vous pouvez vous rendre à la soirée du 6 décembre à la Villette où vous trouverez à peu près les mêmes personnes :
"Le droit d’auteur à l’ère du numérique
Le projet de loi relatif au droit d’auteur dans la société de
l’information (projet de loi DADVSI "Droit d’Auteur et Droits Voisins dans
la Société d’Information") doit être examiné fin décembre par l’assemblée
nationale. Ce projet de loi vise à adapter le régime de la propriété
littéraire et artistique aux nouveaux usages liés aux TIC. Si ce projet de
loi est adopté en l’état, quelles seront les conséquences sociales,
économiques et démocratiques pour tout utilisateur de données numériques
dans sa sphère privée ?Les intervenants présenteront les points de vue de différents acteurs
directement concernés par ce projet de loi. Ils présenteront également des
propositions correctives.Le débat sera animé par Frédéric Couchet (délégué général de l’APRIL et
président de la FSF France).Les intervenants :
Christophe Espern, co-fondateur de l’initiative EUCD.INFO
Lionel Thoumyre, juriste, responsable Nouvelles Techniques à la
Spedidam (société d’artistes-interprètes)Jean-Pierre Quignaux, responsable de la "Mission Nouvelles Technologies
et Politiques Familiale" de l’UNAF (Union nationale des Associations
Familiales) - (sous réserve)Michèle Batisti, ADBS - Association des documentalistes et
bibliothécaires spécialisés.Débat co-organisé par les associations APRIL et VECAM.
MARDI 6 DECEMBRE 2005 18Heures - 20Heures
Lieu : Agora du Carrefour Numérique, Cité des Sciences et de l’Industrie,
30 av Corentin Cariou 75019 Paris
Métro : Porte de la villette"
On n’est jamais mieux servi que par soi-même :
Je m’interrogeais sur cette drôle de formule relevée plus haut, et sur ce qu’elle pouvait bien désigner. Voici confirmation de ce que je supposais. Je trouve la même formule dans le texte de la directive EUCD, mais dans un contexte un peu plus explicite, au point 25 du très long préambule :
"Il doit être clair que tous les titulaires de droits reconnus par la présente directive ont le droit exclusif de mettre à la disposition du public des oeuvres protégées par le droit d’auteur ou tout autre objet protégé par voie de transmissions interactives à la demande. Ces transmissions sont caractérisées par le fait que chacun peut y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement."
Cela confirme donc le fait qu’avec le projet de loi DADVSI, le titulaire du droit sur une oeuvre n’est pas tenu d’accorder au public un droit à la copie privée pour peu que cette oeuvre soit sur le net.
Exit la copie privée sur Internet !
D’ailleurs, la disparition du droit à la copie privée semble si bien acquise que certains parlementaires de la majorité ont proposé qu’un décret en Conseil d’Etat précise “les modalités des conditions de la disparition de la rémunération pour copie privée ? puisqu’elle sera bientôt sans objet (pdf, source SPEDIDAM, 24 octobre 2005).
Enfin, c’était juste un détail en passant.
Je retourne à mes épluchages de textes...
P.S. : la directive EUCD est un texte obsédé par le marché et le contrôle planétaire ; tout ce qui n’était pas encore marchand doit le devenir et pour devenir marchand il faut que ce soit contrôlé. C’est un texte effrayant.
P.S.2 : A moins que les auteurs publient leurs oeuvres avec des Licences Libres :-))
Alors ce sera exit les DRM !
Question bête : ne pourrait-on pas s’amuser à DRMiser les oeuvres libres pour être sûr qu’elle le reste ? ;-) —oa
(remarque subsidiaire, j’ai vraiment des problème avec ton fil rss. Le toto me demande d’ouvrir dans firefox, puis dans dreamwever, puis pour finir, rien ne se passe. Faudrait en parler au geek du foyer...
Bonjour Olivier,
Je te préviens, je ne suis pas très douée pour répondre aux trolls ;-)
DRMiser des oeuvres libres, nous en avions vaguement discuté lors d’une rencontre copyleft il y a un an et demi si mes souvenirs sont bons, et c’est une idée que nous avions rapidement rejetée ; c’était une digression oiseuse. Quelques mois plus tard, j’ai fait une petite page sur le wikiArtLibre pour développer un peu la chose ; à l’époque, c’était surtout parce que je voulais comprendre un peu ce que sont les DRM, et sur cette page je donne quelques explications sur les raisons pour lesquelles c’est une très mauvaise idée.
Je viens de rafraîchir la page en question en y mettant deux nouveaux liens.
Aujourd’hui, j’ajouterai que c’est une mauvaise idée, pour deux autres raisons encore :
c’est répondre à la complication juridico-technique par un surcroit de complication ; nous baignons dans l’opacité, les juristes et les tech-experts n’y retrouvent même plus leurs petits, ils font semblant d’être en position de savoir, se placent ainsi en position de pouvoir, alors qu’ils sont en réalité noyés dans leur propre bourbier. Le mieux que l’on ait à faire, est de faire simple.
les DRM étant incompatibles avec les logiciels libres, coller des DRM sur des oeuvres libres ce serait se condamner à les lire sous des logiciels propriétaires. Même s’il n’est pas interdit de lire (ou de créer) une oeuvre libre avec un logiciel propriétaire, il faut reconnaître que délaisser les logiciels libres rien que pour le plaisir masochiste d’utiliser des DRM ce serait assez fâcheux. A terme, les logiciels libres (du moins les logiciels de lecture multimédia) tomberaient en désuétude alors qu’ils sont en plein développement, se multiplient et s’améliorent chaque jour. Est-ce que tu imagines ce que ça implique ? Des développeurs démotivés, des logiciels en déshérence, les écoles d’art et les universités obligés de dépenser des budgets conséquents pour payer les licences des logiciels propriétaires (alors qu’on a déjà du mal à s’en défaire !).
Au contraire, il faut constituer un corpus important d’oeuvres libres, et quand je dis des oeuvres, j’entends des contenus de toutes sortes, pas nécessairement des Oeuvres d’Art.
Jusqu’à présent, beaucoup de gens considéraient les licences libres non logicielles comme quelque chose de presque futile ou superfétatoire ; avec la légalisation des DRM il apparaît au contraire que les contenus libres ont un rôle à jouer dans la survie et la vitalité du développement des logiciels libres.
Je n’ai pas encore tout à fait bien pris la mesure de l’incidence des DRM sur les logiciels libres. Il est certain que c’est gênant pour les logiciels de lecture multimédia. Mais ici ou là, et sur certains forums de geeks, il m’a semblé comprendre qu’il faut aussi intégrer des morceaux de programme de traçage et de décryptage (forcément secrets donc incompatibles avec l’open source) jusque dans le système d’exploitation des machines. Si c’est le cas, la menace est très sérieuse.
Ce qui est clair pour moi, c’est qu’il y aura désormais deux catégories d’auteurs ; ceux qui sont libres, et ceux qui se laisseront marquer comme du bétail au fer de l’industrie culturelle.
Donc, pour ce qui est des oeuvres libres, je confirme que les DRM sont à mon avis totalment exclus. Par contre, la mise au point d’un schéma RDF pour taguer les fichiers libres est bien envisagé, et il y en a qui y travaillent. Mais ça n’a plus aucun rapport avec les DRM, c’est juste un élément sémantique qui permet de mieux repérer les oeuvres libres quand on fait une recherche, et d’attacher au fichier un minimum d’info sur le régime juridique de l’oeuvre.
Pour le fil : Yves a arrangé le fil rss. Il m’assure qu’il est 100% valide maintenant :)
Pour Olivier (ou d’autres), le fil RSS est exploitable par Firefox, mais pas en cliquant sur le lien "RSS 2.0 XML" de la page d’accueil. En effet Firefox ne sait pas interpréter le code fourni par un fil RSS pour l’afficher. Par contre, il sait l’exploiter comme "marque page dynamique". Il suffit de cliquer sur l’icône orange en bas à droite du navigateur, et de cliquer sur "S’inscrire à Transactiv-exe". Ceci créera un dossier dans les marque-pages et ce dossier contiendra les liens vers les derniers articles, commentaires et brèves publiés. Il se mettra à jour automatiquement.
Remarque 1 : personnellement, je n’utilise pas les fils RSS sous Firefox, mais sous Thunderbird qui les affiche comme des "News".
Remarque 2 : certains fils s’affichent avec Firefox sous forme de texte (le code du fil), c’est parce qu’il annoncent leur "mime-type" comme étant "application/xml" au lieu de "application/rss+xml". Ils n’en sont pas plus exploitables pour autant !
Olivier, j’ai rencontré par hasard ton sympathique associé hier, et en discutant avec lui j’ai réalisé que ta suggestion n’était sans doute pas un troll (Aïe !!)
Donc, pour compléter ces arguments éparpillés, en voici un autre, fourni par Lawrence Lessig. Son argument ne ropose pas sur des principes généraux, mais sur la question de l’interopérabilité technique. Il n’en reste pas moins que c’est aussi un argument valable, surtout dans le cadre de la loi DADVSI qui encourage la fragmentation du marché des DRM et ne prévoit aucune mesure pour obliger les fournisseurs de DRM de livrer leurs décodeurs en open source (entendre par décodeur la partie installée chez le client). C’est une mesure qui aurait pu être prévue sans nuire à l’opéraivité de la gestion technique des droits, mais qui ne pouvait pas faire l’affaire des entreprises de gestion des droits, et au passage, cela arrange bien les grosses sociétés qui développent des logiciels propriétaires, puisqu’une telle mesure va pénaliser les logiciels libres tout comme les logiciels développés par des petites entreprises émergeantes.
Voir l’argument en question à la fin de la lettre hebdomadaire du 19/10/2005 de Lessig, CC in Review : Lawrence Lessig on Interoperability :
« ...we wanted to offer a technology to make it easy to say what rights were reserved, and what rights were not, which we hope would make it unnecessary to then add technology to enforce the rights reserved. "Digital Rights Expression" was our aim. And our hope was that good DRE would staunch at least some of the demand for crude DRM.
But why not add DRM to the rights expressed through Creative Commons DRE ? What’s wrong with a cheap system to enforce the rights still reserved ?
There are two problems at least. We can see the first by returning to the picture of what made this network amazing — interoperability. Widespread DRM would disable that interoperability. Or at least, it would disable interoperability without permission first. We could remix, or add, or criticize, using digital content, only with the permission of the content controller. And that requirement of permission first would certainly disable a large part of the potential that the Internet could realize. »
J’ai ajouté encore deux ou trois liens sur la PageWikiDRM. Bon, je commence à y voir un peu plus clair dans ce bourbier. J’espère pouvoir faire le point bientôt.
Je continue à étudier ce projet de loi. Je viens de poster un dossier de liens et notes de lectures sur Netlex Blogs. Il est long, et je n’ai pas le courage de tout retranscrire ici. Donc je vous invite à le lire là bas.
Plus je réfléchis aux conséquences de ce projet de loi, plus il m’apparaît qu’elles sont surtout inquiétantes pour le public et pour les logiciels libres ; c’est loin d’être négligeable.
Comme je l’explique sur le billet publié chez Netlex, pour les auteurs, cela ne change pas grand chose.
Pour le public, on a à peu près fait le tour de la question, il est le grand perdant.
Les bénéficiaires des droits voisins (éditeurs, producteurs, sociétés d’auteurs, etc.) se taillent la part du lion, et la nouvelle donne promet des guerres économiques, des jeux de concentration, et l’émergence de nouveaux secteurs d’activités juteux (fournisseurs de solutions DRM et gestionnaires en ligne de distribution de clés DRM). Je ne me fais pas de souci pour eux, sinon que les petits qui se targuent d’être "indépendants" au motif qu’ils sont petits (en attendant de devenir grands) auront du mal à défendre leur place ; ce sera encore un facteur supplémentaire d’apauvrissement de l’offre pour le public et de sa capture dans une culture de masse.
Le sort des logiciels libres est plus délicate et incertaine. C’est là dessus je je me concentrerai pour le prochain billet.
Je vous encourage à signer la pétition d’eucd.info pour demander le report de l’examen du projet de loi dans des conditions plus sereines et démocratiques. Cette pétition vient de dépasser les 80.000 signatures.
Notez qu’une proposition de résolution déposée le 15 novembre devant l’Assemblée Nationale préconise l’introduction d’une procédure de pétition électronique dans le Réglement de l’Assemblée nationale. Signer une pétition n’est donc pas tout à fait inutile.
Au moment de voter pour (ou contre) le TCE, beaucoup craignaient l’invasion du plombier polonais. Le spectre d’une Europe sans frontière traversée de tuyaux par lesquels transiteraient librement des flux de biens et services de toute provenance hantait les esprits.
Aujourd’hui, ce sont les serruriers qui font peur ! Alors que l’Assemblée Nationale se réunit pour examiner en première lecture le projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (DADVSI n°1206), on ne parle plus que de DRM ou Mesures Techniques de Protection , des choses expertes et hautement technologiques auxquelles le chaland est prié de ne rien comprendre mais qui ne sont jamais que des histoires de clef et de serrure visant à contrôler l’accès aux biens culturels et informationnels.
Qui a peur du serrurier ?
On pourrait penser que le premier à redouter les retombées des DRM devrait être le public. S’il est vrai que des associations de consommateurs, au premier rang desquels UFC Que Choisir, se sont fortement mobilisés contre la légalisation des Mesures Tecniques de Protection (MTP ou DRM), la mobilisation du public n’a pas été très saillante. Le fait qu’un projet de loi sur le droit d’auteurs affecte directement ses conditions d’accès aux biens culturels ne lui saute pas aux yeux. Pour lui, c’est d’abord les auteurs qui sont concernés.
D’un autre côté, la mobilisation des auteurs et artistes est assez mitigée. Elle décroit à mesure que l’on s’éloigne des cercles proches des mouvements du logiciel libre. Bien vite rassurés par les déclarations répétées selon lesquelles ce projet de loi allait renforcer la protection de leurs droits, ils se sont rendormis tranquillement, préférant ignorer :
qu’ils sont d’abord consommateurs de la culture qu’ils transforment et réinventent en leur qualité d’auteurs,
qu’ils sont également utilisateurs des technologies avec lesquelles ils oeuvrent, technologies qui, pour une bonne part, relèvent aussi du droit d’auteur,
que l’auteur et le public sont solidaires au sens où ils se façonnent mutuellement et qu’il y a de moins en moins de distinction entre auteur et public,
que leur droit d’auteur leur confère un pouvoir (sans doute aussi une responsabilité) : le pouvoir de ne pas prêter corps à l’industrie culturelle qui mine la culture.
Les auteurs de logiciels libres ont peur du serrurier
En définitive, ceux qui se sont le plus fortement mobilisés, sont les auteurs de logiciels libres qui ont reconnu dans la légalisation des Mesures Techniques de Protection, et surtout dans les modalités de cette légalisation, une menace directe pour le développement des logiciels libres.
En effet, le projet de loi [1] prévoit que les licences des données nécessaires à l’interopérabilité des logiciels de lecture avec les systèmes DRM doivent être concédées de façon non discriminatoire et équitable aux fabricants de matériel et de logiciel qui en font la demande auprès du fournisseur de solution de DRM. Si l’on sait ce que veut dire non discriminatoire, par contre, on ne sait pas quel est le prix équitable. Pour les développeurs de logiciels libres qui sont pour la plupart bénévoles, ce coût peut être rédhibitoire. Par ailleurs, ces données sont des programmes « opaques » livrées telles quelles sans que l’on puisse en examiner le code source. Les méthodes de travail et la déontologie des développeurs de logiciel libre leur interdisent d’inclure du programme non libre dans leurs logiciels.
Si les DRM se légalisent et que la grande majorité des oeuvres qui sont lues sur des logiciels sont encryptées avec des DRM, et si les logiciels libres ne peuvent pas inclure les programmes propriétaires permettant d’accéder aux clés de décryptage des oeuvres, alors, ce sont tous les logiciels libres de lecture qui tomberaient en déshérance parce que de moins en moins utilisés et par conséquent de moins en moins développés. Ce serait une perte considérable eu égard à l’accessibilité de ces logiciels généralement gratuits, à leur fiabilité et aux progrès rapides de leurs performances qui n’ont souvent rien à envier aux logiciels propriétaires.
Jusqu’à présent, les DRM (ou MTP) ont été développés uniquement dans le cadre de systèmes propriétaires, car les objectifs des DRM sont diamétralement opposés à la philosophie de partage et d’ouverture qui est celle des logiciels libres.
On en tiendra pour exemple cette fin de conversation sur un forum de Linux.fr quand, en Janvier 2003, « Microsoft annon[çait] que son modèle de gestion de droits électroniques DRM sera disponible gratuitement sur des plates-formes non-windows, tel Macintosh et linux »
<code-Vanhu : "Effet secondaire", pour accéder à tout ca, il faudra un client qui gère aussi les DRM…. Et la, j’ai déjà un doute sur la diffusion d’un tel client sous Linux, et un doute encore plus gros sur le fait qu’il soit OpenSource…..
<code- xcoder_nux : jamais un point c’est tout ! jamais nous n’utiliseront cette connerie !
Est-ce à dire qu’il serait thechniquement impossible de concevoir des DRM compatibles avec le logiciel libre ?
Même si cela peut sembler une hérésie, certaines séries d’amendements fortement soutenues par les acteurs du libre sur le site eucd.info, montrent que c’est envisageable.
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DRM pour les nuls ?
"If consumers even know there’s a DRM, what it is, and how it works, we’ve already failed," says Peter Lee, an executive at Disney, Economist. (cité par l’article de Wikipedia sur les DRM)
En lisant l’article de wikipedia, on apprend qu’il y a toutes sortes de DRM, selon des configurations statiques ou dynamiques, selon que le DRM se contente de « tracer » l’usager ou de brider certaines utilisations, et la liste des solutions techniques actuellement en usage est impressionnante.
Une des architectures de DRM pour les données en ligne est assez clairement décrite dans un article du Journal du Net :
Un système de DRM se décompose en quatre briques. L’encodeur, qui transforme les fichiers traditionnels en fichiers cryptés - tout en les compressant à la volée dans de nombreux cas. Une fois transformés, ces fichiers sont diffusés sur Internet par l’intermédiaire d’un serveur de streaming. A l’autre bout de la chaîne, le client lit ce fichier grâce à un player propriétaire, seul capable de déchiffrer le fichier reçu et de le diffuser. C’est la brique la plus problématique, car les progrès constants de l’encodage nécessitent de fréquentes mises à jour du player. Or, tout téléchargement est un facteur dissuasif du côté du client. Demeure une quatrième brique, qui couvre toute la chaîne de l’édition et de la diffusion : le gestionnaire de droits, qui permet de spécifier à qui reviennent les droits, selon quelle répartition (pour chaque modèle de diffusion), qui permet de vérifier si le client respecte bien les modalités du contrat et de piloter tout ce qui est relatif à la gestion de la chaîne de diffusion.
DRM ou gestion des droits numériques, JDN solutions, décembre 2002.
Mais pourquoi dans cette configuration, le logiciel de lecture doit il être propriétaire ? se demande le dummie.
En glanant des bribes d’information à droite et à gauche, en lurkant les forums de geeks, et en pressant de questions les geeks de son entourage, le dummie peut arriver à la conclusion que le gestionnair de droit intégré dans le logiciel de l’utilisateur peut parfaitement être en open source avec tout ce qu’il faut pour dialoguer avec le gestionnaire de droits qui est dans ce cas, un service en ligne, afin d’obtenir la clé cryptée qui permettra de décrypter la clé encryptée qui est attachée au fichier crypté afin de le décrypter, et enfin, le lire !
Certes, tous les DRM ne fonctionnent pas sur ce principe, mais il apparaît ici, qu’il est possible de préconiser des solutions de DRM efficaces et compatibles avec des logiciels libres : c’est à dire des soultions qui n’introduisent pas de code fermé dans le logiciel, et dont le développeur pourra vérifier la propreté pour s’assurer qu’il n’y a pas de mouchard ou d’éléments compromettant la sécurité du système d’exploitation de l’utilisateur.
A ce stade, le dummie se dit que s’il a pu comprendre cela, les députés qui examinent le projet de loi à l’Assemblée pourront aussi le comprendre. Si, comme ils le prétendent tous, leur objectif est de protéger les droits patrimoniaux des auteurs, et que les DRM sont absolument nécessaires pour ce faire, alors ils ne devraient pas hésiter à soutenir les amendements 85 et 135 et leurs cortèges d’amendements connexes, qui instituent l’obligation pour les fournisseurs de DRM de livrer gratuitement et en open source, la documentation et les instructions nécessaires à l’implémentation des programmes de gestion de DRM dans le logiciel de lecture client.
Ils pourraient alors se vanter d’avoir protégé le droit patrimonial des auteurs tout en sauvant la mise aux logiciels libres. Ils pourraient également se targuer d’avoir oeuvré en faveur d’une meilleure ineropérabilité pour les utilisateurs qui à défaut de pouvoir encore jouir des exceptions à la copie privée, pourront au moins lire les fichiers légitimement acquis sur les appareils et installations de leur choix.
Alors pourquoi si peu d’élus pour défendre ces amendements quand il s’avère qu’il est possible de trouver un compromis qui peut satisfaire les titulaires des droits d’auteurs sans trop pénaliser les utilisateurs et les auteurs de logiciels libres ?
C’est qu’on avait oublié les clés de la croissance sous le paillasson
L’objectif explicite de la directive EUCD est de favoriser la croissance en produisant de la richesse. Les biens et services culturels qui transitent dans la tuyauterie globale doivent être mis à profit et devenir des marchandises. Or il n’y a pas de marchandise sans contrôle.
Il se trouve justement que l’industrie du contrôle est aussi une marchandise et contribue à accroître la richesse. Mieux : la production de richesse est proportionnelle à la segmentation du marché et à la multiplication des niveaux dans le processus de production-distribution. Plus c’est compliqué, plus il y a de marges de manoeuvres pour créer de la plus value.
L’OMC et l’Europe veulent des marchés sans frontière, Internet se veut sans frontière. Mais c’est aux frontières que se prélèvent les droits de douane. Foin des robinets qui gouttent ! Vite, installons des portes et des serrures partout et faisons commerce des clés. Plus il y en aura, mieux ça vaudra.
Si le projet DADVSI est une usine à gaz si compliquée et opaque, c’est parce qu’il s’inscrit dans cette logique qui veut produire la complication pour multiplier les couches et les niches où l’on trouve l’opportunité de faire des bénéfices. Ceux qui trouvent ces opportunités, ce ne sont ni les auteurs ni le public, mais les serruriers.
Mais ne nous plaignons pas, les serruriers sont aussi de généreux mécènes pour qui quelques artistes chanceux réalisent des oeuvres crypto-conceptuelles hyper sophistiquées. Ils en recueillent quelque gloire, et rentrent tout juste dans leurs frais.
« Un jour, le derviche Vâveylâ Maskhareh eut le bonheur d’amuser un prince avec ses pitreries.
Au comble du plaisir et de la gratitude, le prince lui dit :
<code- viens t’asseoir à côté de moi, mangeons et partageons nos richesses.
<code- d’accord, à condition que tu partages aussi ma pauvreté ».[2]
[1] Chapitre III, article 7, alinéa 3 du projet de loi « Les licences de développement des mesures techniques de protection sont accordées aux fabricants de systèmes techniques ou aux exploitants de services qui veulent mettre en œuvre l’interopérabilité, dans des conditions équitables et non discriminatoires, lorsque ces fabricants ou exploitants s’engagent à respecter, dans leur domaine d’activité, les conditions garantissant la sécurité de fonctionnement des mesures techniques de protection qu’ils utilisent. »
[2] carnet de notes de Vâveylâ Maskhareh, manuscrit persan.
Nota : j’ai également publié cet article sur Netlex Blogs
Vu les intérêts économiques qui sont en jeu dans ce projet de loi, il ne fallait pas s’étonner que le gouvernement (qui comme beaucoup de députés l’ont souligné, défend l’intérêt des grandes entreprises extra-européennes telles que Sony ou Microsoft) ne cède pas un pouce de terrain, ou alors des broutilles qui ne compromettent pas le commerce juteux des serruriers.
La suite de l’examen du projet de loi DADVSI est reporté au 17 janvier au retour des vacances de Noël. Vous trouverez une très brève synthèse des trois journées de délibération à l’Assemblée, sur Netlex Blogs qui est devenu ma résidence secondaire.
Sur ce, je cours acheter des guimbardes, des harmonicas et des flutiaux pour le Noël de mes nombreux neveux et nièces. C’est aussi léger que des balladeurs, c’est moins cher, et avec ça au moins, ils auront de quoi s’amuser intelligemment pendant pas mal d’années.
Bonne fêtes à tous !
« Dans l’antiquité, la principale fonction des esclaves était de porter le fardeau de la consommation bien plus que de produire pour la société en général »
Hannah Arendt, Condition de l’Homme Moderne, p 167
Aujourd’hui, étudiants et syndicats se mobilisent contre le CPE pour défendre leur droit au travail. Pendant ce temps, le retour du projet de loi DADVSI à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale doit décider de leur droit à la consommation des biens culturels et informationnels.
La coïncidence du calendrier met en évidence le resserrement du jeu social pris en étau dans l’alternative travail/consommation. L’ idée que la culture est avant tout une pratique qui échappe à cette alternative étroite et dont l’exercice est l’affaire de tous semble devenue hors sujet.
Pendant la période de repli qui sépare la suspension des travaux de l’Assemblée au soir du 22 décembre 2005 et la reprise des discussions aujourd’hui, les regards sont restés rivés sur la licence globale qui cherche à trouver un équilibre entre l’aspiration à la consommation massive de musique des uns et le droit à la juste rémunération des autres. De fastidieux plans de faisabilité ont été élaborés et discutés pour résoudre une équation qui présuppose la bipartition producteur/consommateur dans le domaine culturel. Qu’ils soient pour ou contre, ceux qui discutent dans ce cadre se soumettent d’emblée à une acception marchandisée de la culture, celle qui est justement souhaitée par la directive EUCD de 2001 qui obéit elle-même aux recommandations du traité de l’OMPI de 1996.
Pendant cette période de repli, le gouvernement a consulté et beaucoup communiqué en annonçant des assouplissements dans le projet de loi. Mais il a attendu la veille de la discussion à l’Assemblée nationale pour retourner ses cartes. Le retrait et la réécriture de l’article 1 du projet de loi annoncé hier apparaît comme un coup de théâtre qui encore une fois, aura tendance à détourner l’attention générale du problème autrement plus redoutable et aride que constitue la légalisation des Mesures Techniques de Protection ou DRM.
Le retrait de l’article 1 réduit à néant le vote du 21 décembre sur les amendements qui favorisaient la légalisation de la licence globale. On efface tout et on reprend à zéro. Ce faisant, le gouvernement a déposé un amendement 272 qui étend les exceptions aux droits d’auteur prévus à l’article 122.5 du CPI pour les bibliothèques ainsi que pour la reproduction des oeuvres d’art aux fins d’information lorsqu’il s’agit de rendre compte d’expositions ou d’événements publics. Cet amendement apporte également quelques améliorations sur l’exception pour les handicapés.
L’extension des exceptions au droit d’auteur est certes une bonne nouvelle même si elle ne répond pas aux demandes de ceux qui souhaitent que ces exceptions s’appliquent également à la reproduction des oeuvres à des fins d’enseignement et de recherche.
Par ailleurs, en introduisant la riposte graduée qui module les contraventions pour contrefaçon selon des degrés de gravité, le gouvernement tente de calmer l’ire des internautes.
Mais ces concessions sont peu de chose face au maintien des MTP/DRM. Non seulement la légalisation de ces mesures techniques de protection constitue une menace pour le développement des logiciels libres, mais ces mesures compliquent singulièrement la vie des usagers en introduisant des entraves de toutes sortes qui finiront par les dégoûter de l’usage des NTIC voire de l’achat d’un simple CD ou d’un morceau de musique en ligne, auquel cas le projet de loi aurait totalement manqué son but.
Les nouvelles propositions du gouvernement ne résolvent en rien les problèmes d’interopérabilité qui empoisonnent la vie des usagers. Que l’on soit consommateur ou créateur (mais on sait bien que cette distinction n’a plus de sens aujourd’hui), on perd de plus en plus de temps à se débattre avec des logiciels, des formats de fichier et des matériels qui sont incompatibles entre eux.
Plutôt que de se poser en police du marché de la serrurerie, on attend d’un Ministère de la Culture digne de ce nom qu’il se préoccupe plutôt de ce qui fait une culture vivante : la pratique et la transmission de la culture par tous et pour tous.
Plus de détails sur les menaces qui continuent à peser sur les Logiciels libres :
L’amendement Vivendi/Universal est de retour
Quelques exemples très éloquents des problèmes occasionnés par les MTP/DRM, une collection de cas concrets rassemblée par Tristan Nitot sur Standblog :
Dangers des DRM : quelques illustrations
Collection à laquelle on peut ajouter : Ouvrages juridiques protégés : un exemple de MTP/DRM peu pratiques …(pour sortir de la sphère de la musique)
Voir aussi les autres billets sur le projet de loi DADVSI et les dangers des DRM publiés par Tristan Nitot sur Standblog)
On peut également chercher de nombreux liens sur les droits d’auteurs postés au fil de l’actualité sur la boîte à liens de Netlex depuis le mois de décembre (archives accessibles en bas de page)
NOTA : j’ai initialement publié cet article sur NetlexBlogs
COMPLEMENT à l’adresse de mes collègues enseignants-chercheurs :
Il faut souligner le fait que le projet de loi DADVSI légifère également sur le droit d’auteur des agents publics. Les dispositions prévues par le projet de loi réduisent considérablement le droit moral des agents publics au seul droit de paternité. Je ne sais pas s’il y a véritablement lieu de s’en inquiéter sachant qu’en règle générale un fonctionnaire comme tout salarié respecte un devoir de réserve et que ce qu’il publie dans le cadre de ses fonctions fait toujours l’objet d’un accord collégial et/ou hiérarchique. Cependant j’imagine que dans des contextes conflictuels ces dispositions pourraient poser de sérieux problèmes. Les agents publics devront-ils privilégier alors les publications indépendantes faites en dehors du cadre officiel de leurs fonctions ?
Pour avoir des détails sur le régime du droit d’auteur des agents publics on peut consulter cette page sur le site du CNRS : Les créations des agents publics
J’avais laissé traîner une coquille dans le précédent post où je m’étais emmêlée les doigts sur le CPE et le CPI.
Oui, bon, c’est corrigé. Et alors ?
Alors la suite, c’est quand le gouvernement se prend les pieds dans le tapis.
Les débats parlementaires concernant le projet de loi sur le Droit d’Auteur et Droit Voisin dans la Société de l’Information ont repris. Pourquoi sont-ils autant à côté de la plaque ? A côté de cette étrange chose, la création artistique contemporaine. Pourquoi ce manque criant de perception et de prise en compte ?
Pour tenter de répondre à ces questions il serait bon de prendre en considération quelques faits simples issus de l’économie même de l’art, de ses objets et de ses auteurs.
Qu’observons-nous depuis maintenant près d’un siècle que le ready-made a été inventé et qu’il n’a cessé de faire boule de neige ?
Une disparition du travail artistique qui laisse apparaître une beauté certaine du geste quand celui-ci élève un presque rien au rang d’oeuvre d’art.
Une disparition de l’Auteur qui laisse s’affirmer les consommateurs, auteurs à part entière d’une oeuvre offerte à recréations.
Une disparition matérielle des oeuvres qui fait de la vie une expérience artistique plus intéressante que ne peut l’être l’art lui-même.
Que toutes ces vacances ne soient pas pour nous objets d’effroi !
Le vide ainsi créé est traversé d’un souffle formidable, une respiration vitale quand l’industrie culturelle n’hésite pas à étouffer les esprits en les gavant jusqu’au dégoût.
L’internet et le numérique ont cette vertu de pouvoir nous rappeler aujourd’hui ce que la création artistique a toujours été depuis la nuit des temps : un don inestimable, quelque chose d’imprenable qui se transmet et qui échappe aux emprises définitives. Sauf à l’enfermer, cela s’est vu et c’en est fini alors de son commerce.
Considérons donc avec attention les faits matériels de la création artistique tels que nous le montre le réseau des réseaux.
Apparition d’une profusion d’oeuvres copiables, diffusables et transformables du simple fait de leur économie propre.
Apparition d’une foultitude d’auteurs, le lecteur lui-même écrivant dans la wikipédia par exemple, qui multiplient les possibilités de créations.
Apparition de pratiques n’ayant, selon les critères, rien à voir avec l’art mais qui sont la conséquence de ce que les artistes ont cherché, trouvé et matérialisé dans des oeuvres reconnues comme telles. Une sculpture sociale, des formes singulières, rien du tout et qui n’est pas moins que rien.
Que ces apparitions ne nous effraient pas !
Elles sont la richesse déjà présente et opérante d’une culture mondiale transportée, transformée et qui se transmet malgré les tentatives aussi ridicules que pesantes de vouloir en circonscrire le geste et la beauté. Elles procèdent d’une économie qui excède l’économie même, elles font l’économie de l’économie, c’est à dire qu’elles en sont la crème.
Mais qu’en est-il alors du beurre et de son argent ? Si la création artistique ne vaut rien et que chacun peut être auteur, qu’est-ce qui va bien pouvoir nourrir les artistes reconnus comme tels ?
Réponse : les à côtés de la création artistique. Car c’est bien à la périphérie de l’objet créé qu’il est possible de générer du profit et non plus directement par lui. Ainsi les concerts et autres prestations vivantes liées à un produit figé, le morceau de musique enregistré, qu’il soit gravé ou en ligne. L’exemple type a été donné dans un autre domaine par cette oeuvre d’art remarquable primée en 1999 à Linz lors du festival Ars Electronica : le système d’exploitation libre GNU/Linux.
Il n’est pas gratuit mais est offert gracieusement. Il rapporte de l’argent mais son économie n’est pas basé sur la rareté. Il n’est pas la négation des droits d’auteur mais en renouvelle la pertinence grâce au copyleft. Il n’est pas le seul, de très nombreux logiciels libres procèdent ainsi d’une économie qui fonctionne en intelligence avec l’écosystème du net basé lui-même sur des protocoles ouverts.
Copyleft ça veut dire quoi ? Tout simplement le droit d’étudier, de copier, de diffuser et de transformer librement la création. Avec une protection fondamentale, l’interdiction d’avoir une jouissance exclusive des objets créés, ce qui appartient à chacun appartient à tous. Nous redécouvrons là ce qui fait depuis toujours l’autorité d’un auteur et celle qu’on reconnaît à ses oeuvres : la capacité à augmenter le bien public.
Le projet de loi DADVSI, parce qu’il ne reconnaît pas à la création de capacités à augmenter le bien public, est aussi vain que dangereux. Ne comprenant pas le principe de réalité du net, de ses objets et de ses pratiquants (la copie, la diffusion et la transformation des données) le projet de loi tente de s’imposer par l’entrave (les Mesures Techniques de Protection). Mais il y a malentendu. Entraver la création, ce n’est pas la comprendre, c’est la court-circuiter. Alors qu’une simple observation suffirait à saisir pourquoi et comment ce sont des milliards d’auteurs qui, par leur présence active, font acte de création et fabriquent une culture vivante et riche d’avenir.
La création artistique ne vaut rien, rien ne vaut la création artistique. Sauf la vie qui elle aussi n’a pas de prix. C’est à partir de ce constat économique qu’une économie en intelligence avec l’art et la vie peut exister. Ce qui se fait avec plus ou moins de bonheur, mais où il est toujours nécessaire de rappeler deux points essentiels :
L’art comme la vie ne sont pas gratuits, ce n’est jamais l’arbitraire de la gratuité qui détermine.
L’art et la vie sont inestimables, ils procèdent de la grâce du don.
Cher Antoine,
Merci d’avoir publié cet article ici.
Au moment où les docteurs impatients jouent du scalpel juridique pour malmener le droit d’auteur en prétendant l’urgence, le rappel de ce qui est simplement essentiel à la vie de l’art et de la culture est salutaire.