Nous avons beaucoup d’occasions de faire des réunions à l’université, mais les Conseils d’UFR qui sont des réunions très officielles où l’on entérine les décisions par le vote des élus sont plus rares. Il y en a environ un tous les deux mois.
Hier, en conseil d’UFR, nous avons d’abord voté une motion de soutien à la mobilisation anti-CPE des étudiants.
Puis nous avons voté à l’unanimité une motion demandant le retrait du projet de loi DADVSI, motion également soutenue par les représentants étudiants.
Voici le texte de la motion :
Motion des enseignants de l’UFR 04 d’Arts Plastiques et Sciences de l’Art de l’Université de Paris 1, réunis en conseil d’UFR le 15 mars 2006
Les enseignants de l’UFR 04 d’Arts Plastiques et Sciences de l’Art de l’Université de Paris 1 se disent très préoccupés du caractère liberticide du projet de loi sur les droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI n°1206).
1- Ils dénoncent la légalisation des Mesures Techniques de Protection qui menacent l’avenir des logiciels libres et qui entravent l’usage créatif des TIC en générant des problèmes d’interopérabilité.
2- Ils s’inquiètent des entorses faites au droit moral des agents publics.
3- Ils condamnent vivement les restrictions drastiques que ce projet de loi impose à la copie privée en général et sont indignés que le gouvernement préfère ponctionner le budget déjà maigre de l’Education Nationale en le contraignant à conclure des conventions coûteuses avec les sociétés représentantes des ayants droits alors que la directive EUCD autorise parfaitement l’intégration d’un droit de reproduction pour l’enseignement et la recherche dans le cadre des exceptions aux droits d’auteur.
Ce projet de loi a une action diamétralement opposée à la mission de l’université qui vise la transmission et le développement des connaissances.
Par conséquent, les enseignants d’Arts Plastiques et Sciences de l’Art de l’Université de Paris 1 exigent le retrait du projet de loi DADVSI.
Le président de notre université, Pierre-Yves Hénin, a déjà signé avec les autres présidents d’université une Motion relative à l’exception pédagogique.
Cependant, il convient de souligner le fait que l’opposition de l’UFR d’Arts Plastiques et Sciences de l’Art concerne tous les aspects du projet de loi DADVSI. C’est une prise de position importante, et c’est la raison pour laquelle je poste cette nouvelle en "haut du panier" de ce forum, sachant que j’ai déjà beaucoup écrit sur ce sujet dans le fil de ce post.
Depuis la reprise des débats à l’Assemblée le 7 mars, la majorité a resserré les rangs et règne en maître pour faire passer ses amendements. Le résultat est affligeant.
Aussi, j’encourage mes collègues ainsi que les étudiants à signer également la pétition d’EUCD.INFO qui demande le retrait du projet de loi DADVSI.
Les deux motions mentionnées ci-dessus ont été publiées hier en pdf sur le site du SNESUP : 2 motions de l’UFR 04.
Quelques nouvelles fraîches sur la fin des délibérations à l’Assemblée Nationale qui se sont terminées très tard dans la nuit :
A la fin du marathon, il y a eu un sursaut de bonne volonté de la part du gouvernement qui a accepté de remettre au vote l’article 7 touchant aux définitions et conditions de distribution des mesures techniques de protection. Des amendements auparavant rejetés ont été adoptés, permettant aux logiciels libres d’accéder à des conditions plus acceptables aux codes sources des programmes de décryptage de MTP (DRM) qu’il faut intégrer aux logiciels de lecture.
Par contre, l’amendement 150 dit VU/SACEM qui crée une insécurité juridique majeure pour les logiciels d’échange sur internet a été maintenu. Le texte de cet amendement combiné au reste du texte laisse une marge d’interprétation très incertaine qui rend presque tous les logiciels d’échange attaquables (pas seulement le P2P, mais tout ce qui permet "manifestement" des échanges illicites). Si le texte passe en l’état, il faudra s’attendre à de nombreux casse-têtes jurisprudentiels.
Aucune nouvelle concession n’a été faite sur les exceptions au droit d’auteur et sur le droit à la copie privée qui est gravement compromis.
Le droit à la copie privée étant quasiment déniée au public, le gouvernement n’a pas adopté la proposition de prélèvement sur les fournisseurs d’accès et opérateurs téléphoniques au titre de la copie privée. Il a donc renoncé à se doter d’un moyen important pour financer la culture.
Les sanctions, même graduées, restent très sévères et leurs conditions d’applicabilité en termes de surveillance des internautes continuent à poser problème.
Quelques liens :
EUCD.INFO : 3:33 : Après la boucherie, un instant de grâce parlementaire, 17 mars 2006
Guillaume Champeau (Ratiatum) : DADVSI : l’examen s’achève sur une note positive, 17 mars 2006, à 4H50
AFP : Droits d’auteur : les députés achèvent l’examen du texte, 17/03/2006 06h19
En ce qui concerne la revendication (plus sectorielle) de l’exception pédagogique pour l’enseignement et la recherche, l’inquiétude des enseignants-chercheurs et des étudiants a connu un pic important après la divulgation, la semaine dernière, par le gouvernement, des conventions en cours de signature entre le Ministère de l’Education Nationale et les sociétés représentantes des ayants droits.
Depuis que les initiateurs de la Pétition pour l’Exception Pédagogique ont lancé un "Appel à la désobéissance civile pour une exception sans restriction" (le 9 mars), leur pétition a recueilli des dixaines de milliers de signatures supplémentaires et elle est relayée sur de nombreux sites.
Sur le front du CPE le mouvement s’amplifie, et on voit apparaître des tentatives pour élargir ce mouvement au niveau international (voir l’initiative B.A.N.G. LAB)
Le programme de la semaine est affiché dans le hall du Centre Saint Charles. On peut également le trouver sur le blog des étudiants : Tous contre le CPE.
Depuis le début du semestre, nous avons connu des grèves ou blocages sporadiques à St Charles, mais maintenant le mouvement se durcit : blocage et occupation pour toute la semaine.
Non, ce n’est vraiment pas intelligent d’essayer de faire passer des lois en force en décrétant l’urgence, en usant de toutes sortes d’entourloupes (DADVSI) ou en dégainant le 49.3 (CPE).
Le vote d’ensemble sur la loi DADVSI a eu lieu aujourd’hui à l’Assemblée Nationale : « Le texte a été adopté par 286 voix contre 193, le scrutin le plus serré de la législature » (AFP). Le texte doit encore passer au Sénat et l’opposition va évidemment demander un recours en Conseil Constitutionnel. Cette loi est calamiteuse et marque un tournant particulièrement régressif et agressif dans l’histoire du droit d’auteur. Les milieux de la recherche commencent seulement à s’alarmer.
Le CPE paraît quant à lui, un gadget inutilement compliqué qui donne un tour de vis supplémentaire aux nombreux tours de vis qui enfoncent le clou de la précarité depuis des années. Pourquoi tant d’entêtement pour si peu ?
Je ferai bientôt le point sur la question de l’exception pédagogique...
Le projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information va être discuté au Sénat en séance publique les 4, 9 et 10 mai 2006.
Très utile, le site Celog.fr a mis à jour le Code de la Propriété Intellectuelle en y ajoutant en caractères gras les passages qui ont été votés par l’Assemblée Nationale. Cela permet de les lire en contexte.
Non, je n’ai pas oublié de faire le point sur la question de l’exception pédagogique. Mais c’est plus compliqué que je ne l’imaginais. Il faut aussi voir comment cela se règle dans les autres pays. Car une des questions qui se pose avec les documents numériques et les bases de données, c’est comment des chercheurs de différents pays peuvent collaborer sur un même projet s’ils ne bénéficient pas de droits similaires pour l’accès aux données et leur divulgation. Avec le DADVSI et les conventions étriquées préparées par les ministères de la culture et de l’éducation d’une part, et les sociétés d’ayants droits d’autre part, certains cercheurs français impliqués dans des projets européens ou internationaux se demandent s’ils ne vont pas être obligés de se retirer de ces projet faute de pouvoir partager leurs documents de travail avec leurs homologues. Les enseignants allemands dont l’exception pédagogique expire cette année et pour qui le gouvernement est en train de concocter des mesures similaires aux notres, sont également très inquiets. Décidément, ce projet de loi n’a pas fini de nous compliquer la vie.
Pour le moment, les notes et les signets s’accumulent et je sature.
Je prends une semaine de vacances. Je m’y remettrai au retour.
Les forums seront en modération jusqu’au 22 avril.
Attention ! Note rébarbative.
J’avais promis un point sur l’exception pédagogique, j’ai essayé de faire court, mais c’est raté.
Si vous préférez un autre décor, vous pouvez aussi lire cette note chez Netlex
Si vous connaissez un médicament anti-dadvsi-migraine, merci de me l’indiquer.
Le 21 mars 2006, après 4 mois de débats et pas mal de péripéties, l’Assemblée Nationale avait fini par voter à une très courte majorité le projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (DADVSI, texte 269). Maintenant, c’est au tour du Sénat d’examiner ce projet de loi très controversé qui est censé transposer la directive européenne EUCD-2001/29/CE dans la loi française (CPI). Les discussions en séance publique se dérouleront les 4, 9 et 10 mai 2006.
Le dossier législatif du Sénat comporte un rapport certes volumineux, mais bien structuré et fort instructif. A voir les 40 premiers amendements déposés par M. Thiollière, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour le Sénat, on s’aperçoit que les maigres avancées durement acquises, notamment dans le domaine de l’interopérabilité, restent fragiles et sont susceptibles d’être remises en question. A quelques jours de l’examen du projet de loi, c’est presque 200 autres amendements qui ont été déposés, surtout par les membres de l’opposition. Sauf pour les acteurs qui suivent ce dossier avec une régulière assiduité, pour le simple observateur, il est humainement impossible d’évaluer la portée de ces amendements avant l’ouverture des débats. C’est donc surtout aux acteurs d’EUCD.INFO qu’on s’en remettra. Mais avant cela, il est peut-être nécessaire, à titre de rappel, de faire un bref retour sur quelques points sensibles du projet de loi tel qu’il avait été voté à l’Assemblée. Enfin, il faudra s’intéresser de plus près à la question de l’exception pédagogique, si maltraitée par ce projet de loi qu’on en arrive à se demande s’il n’aurait pas été préférable de l’ignorer pour la laisser dans les lymbes du vide juridique dont elle s’accomodait jusqu’à présent.
Rappel des principaux éléments :
1- Exceptions au droit d’auteur (article 122-5 du CPI) :
a) Copie privée
La proposition d’une licence globale permettant aux internautes de télécharger librement des oeuvres protégées par le droit d’auteur moyennant le versement une faible redevance redistribuée par les fournisseurs d’accès aux sociétés de gestion de droits avait finalement été rejetée après avoir été adoptée par une petite majorité contre l’avis du gouvernement. Cette proposition avait occupé l’essentiel des débats dans les médias. La licence globale était comparable à la licence légale qui régit les droits de retransmission des oeuvres pour la radio et la télévision.
De même, la proposition d’une redevance pour copie privée prélevée par l’état sur les FAI et les opérateurs télécoms a été rejetée. Cette proposition devait ouvrir à une acception plus étendue de la copie privée et pouvait être assimilée à une licence légale. Elle consistait à redistribuer une partie de cette redevance aux sociétés de gestion des droits et d’affecter la seconde partie à l’aide à la création. Elle se présentait comme une alternative plus souple par rapport à la licence globale.
Par ailleurs, dans un autre chapitre, l’article L. 331-6. demande aux titulaires des droits qui protègent les oeuvres numériques avec des MTP de prendre des mesures pour que les utilisateurs puissent bénéficier de la copie privée, mais aucun nombre minimum de copie n’est fixée par la loi, et ce nombre peut être égal à zéro pour les "transmissions interactives à la demande". L’article L. 331-7 introduit en outre un "collège de médiateurs" pour régler les litiges.En somme, si le texte reconnaît implicitement un "droit" à la copie privée, dans les faits, rien ne garantit que l’usager puisse jouir de ce droit.
b) exceptions spécifiques
Outre l’exception obligatoire pour les copies techniques temporaires, le projet adopté par l’Assemblée introduit quelques nouvelles exceptions.
Une exception assortie de beaucoup de limites pour les handicapés.
Une exception autorisant les bibliothèques, les musées et les services d’archives à réaliser des copies à condition de ne pas en tirer un avantage commercial.
Une exception pour la reproduction des oeuvres lorsqu’il s’agit de rendre compte d’un événement d’actualité ainsi que pour les oeuvres qui se trouvent en permanence dans des espaces publics. Mais les limites dont se trouve assortie cette exception sont difficiles à évaluer, tout comme il est difficile de prédire à qui va profiter le flou juridique.
Par contre, aucune exception pédagogique (pour l’enseignement et la recherche) n’a été retenue. Le gouvernement a préféré renvoyer l’Education Nationale à des solutions contractuelles en présentant 5 conventions prêtes pour la signature. Ces conventions formalisent des accords entre le Ministère de l’Education Nationale et les sociétés de gestion des droits. Chaque convention traite d’un domaine (arts visuels, écrits, presse, audiovisuel, musique). Au total cela représente plus de 2 Millions d’euros par an. Pour ce prix, les conditions d’utilisation des données numériques sont si compliquées et limitées qu’elles en deviennent inapplicables. En prime, ces conventions autorisent les représentants des sociétés de gestion des droits à avoir accès aux intranets et aux bases de données des établissements d’enseignement et de recherche pour y exercer leur surveillance !2- Interopérabilité, Mesures Techniques de Protection (MTP ou DRM) et sanctions (livre III titre III) :
La définition des mesures techniques de protection avait été révisée de façon à ne pas couvrir les protocoles d’échange sur internet ou les formats de fichiers.
Néanmoins, l’amendement dit Vivendi ou VU/SACEM, tant redouté par les défenseurs du logiciel libre, a été adopté. Cet amendement déclare illégal tout logiciel qui permet "manifestement" des échanges illicites. La marge d’interprétation laissée par la rédaction de ce texte risque de rendre attaquables des logiciels qui sont par ailleurs utiles à des échanges parfaitement licites.
Un amendement obligeant à l’interopérabilité : les fournisseurs de mesures techniques de protection doivent transmettre gratuitement et rapidement les informations nécessaires à l’implémentation de l’interopérabilité avec les dites MTP, aux fabricants de logiciel ou matériel de lecture qui en font la demande. Cette mesure de dernière minute avait soulevé dès le lendemain, des protestations de la part de la société Apple et du gouvernement américain qui y voyaient une forme de protectionnisme alors qu’il s’agit au contraire d’ouvrir le marché de la distribution en ligne de musique et de films à la concurrence en déliant la vente du support de celle des contenus. Actuellement, les musiques distribuées en ligne par Apple- iTunes ne sont décryptables que par les lecteurs Apple-iPod. C’est ce qu’on appelle de la vente liée.[1]
Les mesures qui sanctionnent la contrefaçon, d’abord extrêmement sévères dans la première rédaction du projet de loi, ont été graduées depuis la petite amende jusqu’à la peine de prison selon la gravité des actes (téléchargement illégal, mise à disposition illégale d’oeuvres relevant du droit d’auteur, contournement de mesures techniques de protection, mise à disposition publique de procédés de contournement de mesures techniques de protection). Les éléments discutables de ces dispositions concernent surtout la façon de traquer les contrevenants dans le monde numérique. Comme l’explique Guillaume Champeau :« Pour la mise en oeuvre de cette chasse à l’internaute pirate, le ministre a expliqué en séance que les constats d’infraction seront opérés via des logiciels de P2P qui relèveront l’adresse IP de l’internaute contrevenant. Elle sera alors relevée par un officier de police judiciaire, et le parquet transmettra au FAI une demande d’identification de l’abonné. La grande interrogation de la preuve de l’identité de la personne qui était derrière l’ordinateur connecté avec l’adresse IP de l’abonné au moment de l’infraction n’a toutefois pas été clarifiée par le gouvernement, ni celle des garanties nécessaires aux droits de la défense. Tout laisse à penser donc que ce volet répressif ne sera pas applicable, s’il n’est pas tout simplement invalidé par le Conseil constitutionnel au nom notamment du principe de la légalité des délits et des peines. »
Ce que prépare le Sénat est inquiétant pour l’interopérabilité :
Les acteurs d’EUCD.INFO ont déjà analysé les amendements du rapporteur M. Thiollière, et listé les points sensibles tels que la limitation de l’exception pour les bibliothèques, la suppression de l’article 7 bis du projet de loi visant à réglementer la prise de contrôle des ordinateurs par les MTP, le renforcement de la pénalisation du développement des logiciels d’échange… A lire absolument : Analyse de certains amendements du rapporteur Michel Thiollière.
Mais le point le plus chaud de la révision du projet DADVSI par le Sénat touche à la mesure qui oblige les fournisseurs de DRM à délivrer les informations pour l’interopérabilité. Dans un article du 18 avril, Loi DADVSI : les amendements du Sénat menacent l’interopérabilité, les membre de l’AFUL exposent une analyse détaillée des amendements 17 et 18 qui remettent en cause une des avancées intéressantes du projet de loi en matière d’interopérabilité, avancée que le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Varbes défendait encore fièrement hier sur le Herald Tribunes : Minister in France defends iPod Law. Le même journal confirmait hier les craintes de l’AFUL en rapportant les propos du rapporteur M. Thiollière dans un second article intitulé French Senate’s version of ‘iPod law’ to fit corporate interests better :
« Thiollière said at a news conference Tuesday that the Senate amendments would allow companies to keep their trade secrets secure.
"The National Assembly addressed many issues, but it did not look closely enough at protecting industrial interests," he said. »
Il serait pourtant faux de croire que cette question oppose seulement les sociétés privées aux développeurs de logiciels libres, elle partage également les sociétés privées. Par exemple, Thomson se déclare favorable à l’obligation d’interopérabilité :
« Nous sommes en faveur de l’interopérabilité des systèmes de protection des droits (DRM), car c’est une condition indispensable du développement de la distribution électronique des contenus. Le consommateur n’adhèrera massivement à ce mode de distribution que si il peut porter son contenu acheté en ligne sur les différents équipements de représentation dont il dispose. Inversement, l’ayant droit ne peut admettre l’interopérabilité que s’il a l’assurance que son contenu continue d’être protégé comme il l’a initialement souhaité. Cette mise en œuvre de l’interopérabilité des DRM est nettement plus complexe que l’interopérabilité logicielle classique : il ne s’agit pas seulement d’assurer la continuité de la protection du contenu entre les deux systèmes interopérant, mais aussi de s’assurer que la gestion des droits attachés à l’œuvre soit conforme dans le système interopérant. Cela a pour conséquence qu’une mesure technique doit être verrouillée (on ne peut pas changer le code source, ni l’examiner pour le reproduire en le modifiant) et être certifiée par un tiers pour l’aspect conformité à la gestion des droits souhaitée. Sachant les dérives qui ont eu lieu (craquage du code de chiffrement DVD sous prétexte d’interopérabilité), on ne peut autoriser l’utilisateur à contourner les mesures techniques chez lui pour assurer l’interopérabilité, et interdire le contournement à l’extérieur ! Ceci n’empêche en rien le développement de logiciels de protection des droits tournant sur un logiciel libre (Linux, etc.). »
Note de Thomson, envoyée aux parlementaires par le cabinet d’influence Lysios (.doc)
L’exception pédagogique entravée, surveillée, compliquée et onéreuse :
... la suite dans le prochain post...
[1] Finacial Times : France drafts copyright law to open up iTunes
Wired : How France Is Saving Civilization
David Monniaux : Droit d’auteur : les monopoles en informatique, hors sujet, vraiment ?
L’exception pédagogique entravée, surveillée, compliquée et onéreuse :
l’exception pédagogique est prévue à l’article 5.3.a de la directive EUCD comme une mesure facultative :
« 3. Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants :
a) lorsqu’il s’agit d’une utilisation à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement ou de la recherche scientifique, sous réserve d’indiquer, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, dans la mesure justifiée par le but non commercial poursuivi ; »
Par ailleurs, la directive impose le fameux test en trois étapes qui limite l’exercice des exceptions au droit d’auteur à la condition qu’ils ne “portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ou autre objet protégé, ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit”. Mais il semble que beaucoup de pays européens rechignent à traduire de façon trop explicite le principe du triple test dans leurs textes de loi, sachant que son estimation est plutôt du ressort du juge.
On se doute bien que l’évaluation d’un "préjudice" est très élastique car il est plus souvent fonction d’une attente plus ou moins optimiste du titulaire des droits, que de préjudices réellement quantifiables. Le principe du triple test auquel est également soumis le droit américain ne l’a pas empêché de conserver dans son Copyright Law une exception pédagogique qui n’exige de dédommagement versé aux titulaires, que lorsqu’on fait un usage commercial des oeuvres reproduites (par exemple les supports de cours vendus aux étudiants). Sur le même modèle, la plupart des pays européens tels que l’Autriche, le Danemark, le Luxembourg, la Grande Bretagne, la Belgique… se sont également contentés de limiter l’exception pédagogique à des usages non commerciaux sans imposer de redevance pour ces usages inscrits dans le cadre le la loi.
Pour se faire une idée de l’état de la transposition de la directive EUCD dans les autres pays européens on peut consulter le chapitre IV-II du rapport Thiollière. Mais comme ce chapitre est très concis, il peut être intéressant de faire des recoupements avec le rapport indépendant de la FIPR qui donne parfois plus de détails : Implementing the European Union Copyright Directive. Même si cela paraît hors sujet s’agissant de la transposition d’une directive européenne, il est également intéressant de voir comment est gérée l’exception pédagogique aux Etats Unis, car après tout, la directive EUCD transpose elle même le traité du WIPO auquel est également soumise la loi américaine. Les meilleures explications sur le bon usage du fair use sont données sur le site des Universités du Texas qui expose par ailleurs l’histoire des négociations du CONFU qui ont abouti à des accords intersectoriels et interprofessionnels sur les modalités d’exercice de l’exception pédagogique.
Qu’en est-il en France ?
Le premier amendement déposé par M. Thiollière semble introduire une exception pédagogique. Cependant, sa rédaction laisse penser qu’il ne s’agit pas véritablement d’une exception, mais plutôt d’ un cadre légal dans lequel pourront s’appliquer les conventions qui devraient être signées entre le ministère de l’Education Nationale et les sociétés de gestion de droits :
« e) La représentation ou la reproduction de courtes oeuvres ou d’extraits d’oeuvres, autres que des oeuvres elles-mêmes conçues à des fins pédagogiques, à des fins exclusives d’illustration ou d’analyse dans le cadre de l’enseignement et de la recherche, à l’exclusion de toute activité ludique ou récréative, et sous réserve que le public auquel elles sont destinées soit strictement circonscrit au cercle des élèves, étudiants, enseignants et chercheurs directement concernés, que leur utilisation ne donne lieu à aucune exploitation commerciale, et qu’elle soit compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire nonobstant la cession du droit de reproduction par reprographie mentionnée à l’article L. 122-10. »
Ce texte, qui trouve sa place parmi les exceptions au droit d’auteur (en e), 3° de l’article 122-5) est comparable à la loi du 3 janvier 1995 relatif à la gestion collective du droit de reproduction par reprographie, loi qui se trouve maintenant intégrée dans le CPI aux articles L.122-10 à L. 122-12. Il est donc clair que l’amendement Thiollière ouvre la voie à une licence obligatoire du même type que celle qui nous a été infligée avec la redevance photocopies.
La loi sur la reprographie avait en son temps suscité nombre de critiques et il est d’ailleurs intéressant de noter que dans les campagnes de culpabilisation sensibilisation qui préparent l’opinion à l’introduction de ces nouvelles lois on ait simplement troqué la panoplie de photocopilleur pour celle de pirate.
Le CFC qui collecte les redevances pour reprographie est en position de monpole. Les sommes prélevées par le CFC n’avaient pas de quoi effrayer pendant les premières années d’application de la loi. Mais ces sommes on progressé de façon exponentielle en dix ans, et les nouveaux tarifs qui entrent progressivement en vigueur depuis 2003 vont encore faire monter ces sommes de façon considérable.
A moins d’un revirement de situation au Sénat, les fameuses conventions sur le droit d’usage des oeuvres numériques pour l’enseignement et la recherche seraient donc toujours à l’ordre du jour. Ces conventions ont été mises en ligne par Aziz Ridouan dès le lendemain de leur divulgation à l’Assemblée. On peut les trouver en format pdf au bas du billet qu’il avait publié alors sur le site des Audionautes. On peut également les trouver sur le site de l’interassociation des archivistes, bibliothécaires et documentalistes qui se sont livrés à une analyse de ces conventions.
Aujourd’hui, ces conventions totalisent un coût de 2M d’Euros pour l’Education Nationale, faut-il s’attendre à ce que ce coût évolue de la même façon que les redevances collectées par le CFC ? Le système éducatif français dont l’attractivité auprès des étudiants étrangers a déjà tant décliné, doit-il supporter de tels coûts quand ceux des autres pays s’en exonèrent ?
Si seulement pour ce prix, nous avions les coudées plus franches pour utiliser les ressources numériques, peut-être cela en vaudrait-il la peine ?
Hélas ! c’est loin d’être le cas. Pour ce qui est des oeuvres numériques, les conventions si chères payées par l’Education Nationale posent au moins autant de limites que les guides d’utilisation du "fair use" telles qu’elles sont appliqués aux Etats Unis. Pire, les entraves de nos conventions sont plus rigides, elles sont alambiquées, elles sont payantes, et pour comble, elles autorisent les sociétés de gestion des droits à venir surveiller le contenu des ordinateurs et des intranets des établissements d’enseignement et de recherche.
Très prosaïquement, on peut se demander s’il est seulement possible de se familiariser avec des règles aussi compliquées. Les enseignants et les chercheurs ont sans doute mieux à faire que de passer leur temps à lire et assimiler les circulaires et les guides d’usage alambiqués dont ils seront inondés si de telles conventions devaient entrer en application.
Quelques enseignants ou juristes ont analysé les conditions imposées par ces conventions et ils en concluent qu’il devient impossible pour les enseignants chercheurs de travailler dans la légalité. On lira avec intérêt :
Jean Baptiste Soufron : Après la police privée de l’internet, voici venir la police privée de la recherche, 9 mars 2006
André Gunthert : Les études visuelles à la casse ?, 15 mars 2006
L’analyse de l’interassociation des archivistes bibliothécaires et documentalistes (.doc)
Yves Hulot : Critique des accords sectoriels entre le ministère de l’Education nationale et les ayants droit., 11 mars 2006
Les communiqués de Polytechnicart pour une exception pédagogique
Pour ajouter à ces études de cas, imaginons celui de chercheurs français qui collaborent dans des projets européens aux côtés de leurs homologues allemands, anglais, etc. Supposons que ces chercheurs doivent travailler avec d’énormes bases de données d’images ou de musiques pour étudier des systèmes d’indexation intelligente de contenus. Selon ces conventions, ils n’ont pas le droit d’entretenir et d’archiver ces bases de données, encore moins d’échanger certaines données avec leurs homologues étrangers, alors que ces derniers ont la possiblité de le faire. Face à une telle inégalité, l’équipe française a le choix entre se retirer du projet en disant adieu aux crédits européens, ou bien continuer à travailler dans l’illégalité, car il va sans dire que signer d’autres conventions avec les sociétés de gestion des droits pour l’entretien de ces bases de données dépasse largement les crédits alloués pour le programme de recherche.
Ici, on touche du doigt le paradoxe de l’harmonisation européenne qui butte sur une multiplication de chasses gardées. En guise d’harmonisation, on ne fait en définitive que juxtaposer des systèmes hyper-clôturés. Voilà comment, après avoir surmonté les protectionnismes nationaux on régresse vers des protectionnismes de clocher privés.
Vraisemblablement, j’ai fait une ou deux erreurs dans mon appréciation de l’amendement sur l’exception pédagogique (à ma décharge, les amendements du Sénat ne sont pas accompagnés d’un exposé des motifs comme c’est le cas pour ceux de l’Assemblée Nationale) :
1- une erreur d’interprétation en pensant que cet amendement allait simplement encadrer les accords déjà préparés par le ministère de l’Education Nationale et les sociétés de gestion des droits,
2- peut-être une seconde erreur, en ne prêtant pas attention au dernier alinéa de cet amendement qui prévoit que celui-ci n’entrera en vigueur qu’à partir du 1er janvier 2009 ? Mais la teneur des débats montre que ce dernier alinéa a été introduit hier, après le vote de l’amendement.
En effet, dans la discussion qui s’est déroulée hier au sénat, le rapporteur, M. Thiollière motivait son amendement comme suit :
M. le Rapporteur -
"La directive propose cette exception, qu’ont déjà adoptée plusieurs pays européens. De plus, les récents accords ne sont pas suffisants. C’est pourquoi nous l’encadrons très précisément."
Ce qui veut dire qu’il dénonce les accords préparés entre le ministère de l’Education Nationale et les sociétés de gestion des droits, et que son système forfaitaire doit reposer sur d’autres bases.
Cependant, en réponse à l’amendement 96 défendu par le ministre de la culture qui cherche à substituer ces accords à la négociation de rémunérations forfaitaires, le rapporteur Thiollière a accepté un compromis en précisant que l’exception pédagogique n’entrera en vigueur qu’à partir du 1er Janvier 2009, c’est à dire juste après l’expiration des accords en question.
CONCLUSION : pour les deux ans et demi à venir, l’accès aux oeuvres numériques protégées par le droit d’auteur sera régie par ces accords.
Entre temps, des négociations vont s’engager pour fixer les conditions des rémunérations forfaitaires.
Le fait que la rémunérations forfaitaire exclue la complication contractuelle des accords est plutôt rassurant. Certes, les règles formulées par cette exception sont encore trop limitatives, en particulier pour les films et la musique, mais elles sont moins catastrophiques que les entraves imposées par les conventions.
Il aurait été préférable d’adopter une exception de ce type sans la soumettre à une rémunération (ce que la directive autorise), et de négocier une rémunération forfaitaire pour l’usage intégral des oeuvres longues.
Scénario probable : les nouveaux accords étant d’une part provisoires et d’autre part trop complexes pour être applicables, personne ne se donnera la peine de rédiger les guides d’usage et les circulaires qu’il faudra diffuser en grand nombre et à intervalles réguliers en direction des enseignants et chercheurs pour qu’ils apprennent à marcher dans les clous. Le texte de l’exception pédagogique proposé par M. Thiollière étant plus conforme aux usages actuels (sauf pour les films et la musique), les enseignants et les chercheurs auront tendance à ignorer les conventions au profit du texte de loi qui est moins contraignant et surtout compréhensible. Reste à espérer qu’en cas de litige les juges suivront la même démarche.
Et puis, d’ici 2009 le traité du WIPO et la directive européenne auront sans doute été remaniés, puisque des études et des discussions sont déjà en cours. Il est probable qu’il faille à nouveau réajuster la loi d’ici 2009…
Mise à jour rapide :
Hier le Sénat a examiné le fameux article 7 sur les mesures techniques de protection, l’interopérabilité et les sanctions contre les délits ou crimes de contournement ou de contrefaçon. Comme on le craignait, le résultat n’a rien de réjouissant. La seule mesure dont la France pouvait être fière a été vidée de sa substance. Cette mesure garantissait l’interopérabilité en obligeant les fournisseurs de MTP à fournir gratuitement et rapidement les informations nécessaires aux fabricants de matériel et de logiciel de lecture qui veulent être en mesure de décoder leurs MTP (ou DRM) [1]. Le Sénat revient sur cette mesure et propose à la place, une "Autorité des mesures techniques de protection" pour arbitrer les litiges, ce qui est une solution timorée et hasardeuse. De même, il pose la CNIL comme seul rempart contre les dispositifs de surveillance intrusives pour l’usager. En somme, des assurances molles qui ne valent pas beaucoup mieux que des voeux pieux.
Comptes rendus sur les délibérations d’hier :
Fred Couchet sur Mad’s blog : DADVSI - le Sénat vote l’amendement iTunes/Thomson/Vivendi (avec un comparatif de l’article 7 version Assemblée Nationale et version Sénat)
PCInpact : DADVSi : l’interopérabilité devient négociée
Guillaume Champeau sur Ratiatum : Le Sénat supprime l’interopérabilité forcée
Compte rendu sommaire du déroulement des débats du 9 mai sur le site du Sénat
Les discussions continuent aujourd’hui, on peut les suivre en direct. Mais pour ma part, je ne pourrai pas suivre, étant dans une phase aigüe du syndrome "pas le temps" qui va durer jusqu’à début juin. Il faudra s’en remettre aux compte-rendus et analyses des autres.
[1]- Pour comprendre comment il est possible de contraindre les fournisseurs de MTP/DRM à l’interopérabilité sans invalider pour autant la protection des oeuvres assurées par les dites mesures techniques, on peut se reporter à cette ancienne note : DADVSI ou le marché de la serrurerie.
Etant donné que le texte voté par le Sénat est sensiblement différent de celui qui avait été voté par l’Assemblée Nationale, beaucoup espéraient que la mesure d’urgence serait levée de façon à ce que le projet de loi DADVSI fasse l’objet d’une seconde lecture par les assemblées au lieu d’être entérinée à huis clos par une commission mixte paritaire. Mais rien ne semble venir confirmer cet espoir... Ni l’infirmer.
Le 31 mai 2006, l’Express annonçait une solution en vue mais ce n’était sans doute qu’un mirage, car selon ZDnet le DADVSI serait au point mort :
"Une commission mixte paritaire, composée de sénateurs et de députés, aurait dû se réunir les 30 et 31 mai. Ce qui n’a pas été le cas, nous confirme-t-on au ministère de la Culture. Les parlementaires en sont toujours au stade des négociations préalables sur les sujets sur lesquels portent les différends, et la date de réunion de la Commission doit être fixée au final par Matignon, indique-t-on."
La France est avec l’Espagne, grande retardataire pour la transposition de la directive EUCD. La directive date de 2001, le projet DADVSI était rédigé en 2003, le gouvernement a attendu fin 2005 pour le faire examiner en procédure d’urgence par les deux assemblées qui l’ont rapiécé chacun son tour, et maintenant on dirait que ça coïnce un peu. Pourvu que ça coïnce encore !
On commence seulement à mesurer les dégâts produits par cette directive dans les pays qui l’ont déjà transposée. Pendant ce temps, au WIPO se préparent d’autres traités qui s’annoncent pires ; il s’agirait notamment, de créer un nouveau droit voisin pour les distributeurs.
Là aussi, on joue la mise au placard en attendant de trouver un meilleur moment pour ressortir le projet.
Finalement, le « projet de loi sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information » [1] va passer devant une commission mixte paritaire, et il paraît que c’est pour le 22 juin.
« Après la commission mixte paritaire, le texte devra être approuvé une ultime fois par les deux chambres avant d’être ratifié définitivement par le Parlement. Cette adoption devrait avoir lieu avant le 30 juin, fin de la session ordinaire des parlementaires. » nous dit-on sur Cubic.com
Qui sait ce qui sortira de ces derniers ajustements ? Encore quelques revirements ou seulement des petits rafistolages ?
Et Après ? interroge Guillaume Champeau. Sa question se subdivise en beaucoup d’autres questions, notamment sur la copie privée, la responsabilité de l’internaute, le manque de fiabilité des méthodes permettant de désigner le responsable d’une infraction, les modalités de contrôle qui autorisent l’installation de mouchards sur les ordinateurs clients… Ses questions portent aussi sur la versatilité ou la lâcheté des politiques, le mépris du gouvernement qui a refusé de recevoir Richard Stallman, ainsi que sur le fonctionnement des institutions et le rôle accru des lobbys privés dans les processus de prise de décision.
Michaël Goldberg, artiste membre de la SACEM, dresse pour sa part le bilan de la honte.
Il y a comme une odeur d’enterrement dans l’air. Mais n’allons pas trop vite, avec ce projet de loi on a déjà assisté a tant de péripéties contradictoires qu’on peut encore s’attendre à des sursauts. Le supplice aura tant duré qu’on en arrive à souhaiter que si sursaut il y a, ce soit d’agonie. Qu’on en finisse avec cette infâme bouillie technico-juridique, que la vie reprenne ailleurs, autrement !
Après l’après
Reste à savoir comment cette loi sera appliquée, et surtout comment les pratiques culturelles vont se déplacer ou contourner les nouveaux obstacles.
Il est toujours difficile de prévoir les contre coups de ces lois trop rigides et restrictives qui grippent parfois le fonctionnement attendu de la culture. Un exemple rappelé il y a quelques jours sur Netlex Blogs, est la mesure précipitée que le gouvernement irlandais avait dû prendre en 2004 pour corriger le tir, en introduisant une exception à la protection des oeuvres dans le cas des expositions publiques, au moment où l’ayant droit de James Joyce menaçait d’empêcher certaines manifestations importantes organisées pour le centenaire du Bloomsday.
Très récemment, on a vu comment Pirate Bay, le plus important site de référencement Peer to Peer, a été remis en ligne quelques jours seulement après que le serveur sur lequel il était hébergé fut saisi par le gouvernement suédois. Actuellement, la Suède mais aussi le Danemark et la Norvège revoient leurs positions et sont tentés, sinon par la licence globale qui avait déchaîné les passions en France, du moins par l’amendement sur l’interopérabilité des DRM d’abord adopté par le Parlement puis rejeté par le Sénat sous la pression des lobbys américains. [2]
Pour comparaison, sortons du domaine tortueux du droit d’auteur et des nouvelles technologies pour prendre un exemple plus simple : après plusieurs années d’application sévère des infractions au code de la route, on a vu se multiplier les cas de personnes qui conduisent sans permis, à tel point que maintenant, le gouvernement envisage de faciliter les règles de rattrappage des points pour les conducteurs qui ont perdu leur permis. Il ne s’agit pourtant là que d’un cas peu controversé et de portée purement utilitaire. En effet, personne ne conteste le fait qu’il faut appliquer le code de la route, et ceux qui conduisent avec ou sans permis le font par nécessité, rarement pour le plaisir de brûler de l’essence. Dans cet exemple, l’usager a peu de marge d’adaptation ; l’infrastructure des transports en commun et la vie économique sont organisées de telle sorte qu’il n’est pas toujours possible de troquer sa voiture pour un vélo. Si cela avait été possible, on entendrait déjà pleurer les industries automobiles.
Comparé à ce cas de figure utilitaire, on comprend aisément que les pratiques culturelles sont capables de beaucoup plus d’adaptation, d’inventivité et de déplacements.
Avec le projet de loi DADVSI les assemblées ont légiféré sur le droit d’auteur mais en pensant surtout à l’industrie de la musique et du film en terme de marchandise vis à vis de quoi nous n’aurions d’autre choix que d’être consommateurs. L’esprit de ce projet de loi présuppose une bipartition professionnelle sur le modèle producteur/consommateur et ignore la réalité des pratiques culturelles qui dans leur grande majorité sont des pratiques amateurs. Mais comment les gens vont pratiquer leur culture dans ce contexte juridique, technique et économique ? Comment vont-ils inventer leur propre parcours à l’intérieur, en marge ou en dehors de cet espace borné ? C’est quelque chose de beaucoup plus imprévisible et sûrement plus intéressant que les modalités de la riposte graduée ou l’estimation du manque à gagner des sociétés de production. L’espace que dessine ce projet de loi traverse le terrain de jeu de la culture, il le contraint aussi, mais fort heureusement, il ne le contient pas. Le nom même de ce « projet de loi relatif au droit d’auteur et au droit voisin dans la société de l’information » signifie bien la méprise :
« En elle même, la culture n’est pas l’information, mais son traitement par une série d’opérations en fonction d’objectifs et de relations sociales. Un premier aspect de ces opérations est esthétique : une pratique quotidienne ouvre un espace propre dans un ordre imposé, comme le fait le geste poétique qui plie à son désir l’usage de la langue commune dans un réemploi transformant. Un second aspect en est polémique : la pratique quotidienne est relative aux rapports de force qui structurent le champ social comme le champ du savoir. S’approprier des informations, les mettre en série, plier leur montage à son goût, c’est prendre pouvoir sur un savoir et tourner, par là, la force d’imposition du tout-fait et tout-organisé. C’est, avec des opérations à peine visibles, à peine nommables, tracer son propre chemin dans la résistance du système social. Un dernier aspect enfin est éthique : la pratique quotidienne restaure avec patience et ténacité un espace de jeu, un intervalle de liberté, une résistance à l’imposition (d’un modèle, d’un système ou d’un ordre) : pouvoir faire, c’est prendre ses distances, défendre l’autonomie d’un propre. »
« Envoi » de Michel de Certeau et Luce Giard, dans L’invention du quotidien 2 (1980), folio essais, 1990, p. 358
[1] Texte adopté par l’Assemblée Nationale
Texte modifié par le Sénat
[2] Herald Tribune, June 18 : Politicians smell votes in Sweden’s file-sharing debate
Via Fred Couchet sur Mad’s Blog :
Le député Richard Cazenave publie sur son blog une lettre ouverte à Bernard Accoyer, président du groupe UMP à l’Assemblée, pour donner son avis sur les positions qui ont été discutées par le groupe UMP en préparation des travaux de la commission mixte paritaire. Cette lettre est signée par douze députés.
Dans sa lettre, Richard Cazenave mentionne une étude récente publiée sur le site iSuppli corporation : Future of Digital Entertainment at Risk Due to DRM Challenges, iSuppli Warns. Cette étude reconnaît que l’industrie du DRM est en soi un secteur appelé à se développer, et qu’elle est également susceptible de générer beaucoup de revenus pour les distributeurs de contenus. Cependant, elle met en garde contre un effet secondaire du développement de ce nouveau secteur ; la multiplication des DRM fermés et leur conséquence sur la segmentation du marché des biens numériques risque d’échauder les consommateurs. A terme cela peut freiner l’élargissement de ce marché :
« DRM/CA’s success will have implications far beyond the revenue they themselves generate.
“DRM is more than just a market barrier for digital media and the underlying equipment markets,” Kirstein said. “DRM also represents one of the most strategic and competitive technologies, influencing the competitive landscape and whom will be winners and losers. DRM’s role as arbitrator of business models and revenue flow positions it as a key element determining cash flow for service providers and content owners.
An example of the strategic implications of DRM can be seen with Apple Computer Inc.’s proprietary Fairplay DRM for its iTunes music service, which it largely does not license to third parties, Kirstein noted. This lack of licensing both restricts interoperability and locks the customer into the iPod/iTunes platform.
“This is good for Apple for now, because it keeps customers in the fold, and it gives the company a distinct edge versus competitors. However, using a proprietary DRM raises the risk of undermining the long-term customer experience and inhibiting the broader market.” »
Ceux qui voudraient d’ores et déjà se préparer à ce futur changement de cap peuvent suivre au jour le jour la cure d’abstinence entreprise par Philippe Dumez depuis le 20 juin.
C’est tout de même épatant ! La presse américaine sait déjà ce qui sera décidé demain par la commission mixte paritaire.
Forbes publiait il y a quelques heures une dépêche de l’Associated Press donnant des précisions sur le compromis envisagé à propos de la clause d’interopérabilité des DRM : France Poised to Soften IPod Proposal :
« The draft adopted by the Assembly, France’s lower house, contained a blanket demand that companies share their exclusive copy-protection technologies with rivals, effectively free of charge.
But the compromise, due to be approved Thursday by a committee of legislators from both houses, maintains a Senate loophole that could allow Apple and others to sidestep that requirement by striking new deals with record labels and artists.
A new regulatory authority would be given the power to resolve disputes by ordering companies to license their exclusive file formats to rivals - but only if the restrictions they impose are "additional to, or independent of, those explicitly decided by the copyright holders."
This means that Apple and Sony Corp. could avoid having to share their FairPlay and ATRAC3 file formats, lawyers say, if they obtained permission from the artists whose music they sell. »
Et Wired News reprenait la même information augmentée de quelques commentaires dans un article intitulé : French Bend on ITunes Law
Mais le 20 juin, Yahoo Actualités publiait un article faisant apparemment référence au même entretien accordé par Mr Vanneste à l’agence Associated Press : Droits d’auteur : le casse-tête des députés et sénateurs. L’article était beaucoup plus flou sur la question de l’interopérabilité et ne délivrait pas tout à fait le même message :
« Au final, le texte qui sortira de la CMP pourrait ménager la chèvre et le chou. Selon le rapporteur et député UMP Christian Vanneste, il devrait imposer une interopérabilité "effective", comme le voulait l’Assemblée.
"C’est la première formule que j’ai tenu à réintroduire", c’est "absolument indispensable", a expliqué M. Vanneste à l’Associated Press. "On garantit le droit à l’interopérabilité plus fortement que le Sénat", a confirmé Dominique Richard, porte-parole des députés UMP sur ce sujet.
En échange, la création d’une "Autorité de régulation" serait maintenue. »
Bon, je sais, ces micro-informations ne sont pas très importantes pour l’instant, c’est du coupage de cheveux en quatre. Mais c’est amusant d’observer ces décalages. Il faut en conclure qu’on ne peut pas rassurer les américains et les français avec les mêmes mots.
J’ai l’habitude de remarquer ce genre d’écarts entre la presse iranienne et la presse française ou américaine. Des traductions légèrement distordues, des citations coupées à l’emporte-pièce, extraites de leur contexte et habilement entrelardées de commentaires. Il y a environ deux semaines à Bruxelles, aux journées Digitales, Catherine David qui étudie d’assez près les blogs de guerre sur l’Irak, faisait les mêmes observations.
Entre le Moyen Orient et l’Occident qui sont des mondes si éloignés, on ne s’étonne pas que les informations soient ainsi manipulées. Chaucun sa propagande, c’est de bonne guerre. Et puis on ne va pas prendre des gants pour les rares personnes qui sont capables de recouper les infos.
Mais entre les Etats Unis et la France, deux mondes qui sont si proches, ou prétendent l’être, c’est tout de même un peu gros non ?
Oh ! Pardon. Me voilà encore prise en flagrant délit de digression.
D’après les billets qui circulent ici ou là, il paraît que l’interopérabilité est bel et bien compromise, et que les internautes devront adopter des procédés de filtrage que les fournisseurs d’accès mettront à leur disposition.
Mais le texte adopté hier par la commission mixte paritaire n’est pas encore en ligne. Il faudra le guetter sur le site du Sénat sous le n° de rapport 419 et sur celui de l’Assemblée Nationale sous le n° de rapport 3185.
Donc, on ne sait rien de très précis, sinon que la majorité a pu imposer son point du vue sans difficulté étant donné que l’opposition a claqué la porte de la commission dès le matin. C’est vrai que pour l’opposition la partie était perdue d’avance, sachant que les membres de la commission avaient été soigneusement choisis de façon à écarter les membres UMP qui au sein de la majorité, défendaient des positions similaires à celles de l’opposition.
Le député socialiste Christian Paul explique que c’est en découvrant sur place les 55 nouveaux amendements déposés par la majorité, que les parlementaires socialistes ont décidé de quitter la séance après une heure de débat pour « ne pas cautionner ce nouveau simulacre de démocratie ». Perdu pour perdu, ils ont préféré le faire avec un semblant de panache.
Malgré tout, je ne comprends pas pourquoi les parlementaires socialistes n’ont pas fait l’effort de proposer eux aussi des amendements puisqu’apparemment c’était encore possible de le faire à ce stade. Ce n’est pourtant pas faute de compétence, car ils s’étaient montré très bien informés sur le dossier lors des débats parlementaires.
Question esthétique : qu’est-ce qui est plus beau ? Déclarer forfait en faisant de l’esbrouffe, ou perdre la partie en ayant tout tenté ?
Je préfère la seconde option parce que même si l’objectif est manqué, c’est un mouvement accompli.
Question médiatique : Qu’est-ce qui fait le meilleur bruit ? Claquer la porte ou gratter des amendements sur un coin de table ?
Je laisse cette question à ceux que ça intéresse.
Via Fred Couchet sur Mad’s blog.
EUCD.INFO vient de mettre en ligne la nouvelle version DADVSI (pdf) sous forme d’un tableau comparatif qui affiche côte à côte la version du Sénat et celle de la CMP.
Trop débordée jusqu’à Mardi ; j’éplucherai ça plus tard.
D’après les commentaires d’Eucd.info, ça n’a pas l’air brillant du tout.
Juste un coup d’oeil rapide sur la première page : je constate que l’exception pédagogique a encore changé. Les oeuvres courtes en sont exclues, ne restent que les extraits d’oeuvres à fin exclusive d’illustration. Impossible donc de reproduire une petite poésie ou un article en entier. Et comment faire pour ne reproduire qu’un extrait de tableau ? Par contre la CMP y a ajouté les partitions. Dommage pour les oeuvres courtes, tant mieux pour les partitions. L’exception pédagogique reste très pingre, et je suis curieuse de savoir comment sera fixée la rémunération forfaitaire. La petite bonne nouvelle c’est que cette exception pédagogique entrera tout de suite en application et non en 2009 comme prévu par le Sénat. Si je ne m’abuse, cela veut dire que les accords que le Ministère de la Culture avait fait signer par l’Education Nationale et les sociétés de perception des droits peuvent partir à la poubelle. Bon débarras.
Bonjour Isabelle,
les oeuvres peuvent-elles être utilisées en guise de citation dans le nouveau DAVDSI ?
tu sais que je suis un fou de littérature et je m’exerce à présent à l’exégèse et au commentaire. Je prends une oeuvre de la culture de masse mondiale, et je la décortique en y voyant des choses que son auteur n’y avait sans doute pas mises consciemment. C’est de la littérature de contrebande mais c’est très jouissif, d’autant que tous les commentateurs ont malmené leur texte. Par exemple http://bluemoon.anoptique.net/compilee/Exegese%3A%3Aaa1.html ou http://bluemoon.anoptique.net/compilee/Exegese%3A%3Aab1.html
mais l’exercice de mon nouveau jeu favori exige que je puisse citer une oeuvre d’autrui à titre de citation...
— esc
Bonjour Nicolas,
Contente de voir bluemoon à nouveau en ligne, même s’il s’agit d’une version light.
Désolée de réagir avec retard, j’avais prévenu que je serais débordée jusqu’à Mardi. Alors voilà on est Mercredi et je ne suis toujours pas juriste, donc tu peux te raccrocher à l’espoir que je me trompe dans mes réponses.
(Ma dernière erreur est d’ailleurs juste au dessus de ton post : je crains fort que ma lecture de l’exception pédagogique version CMP n’ait été cafouilleuse au soir de sa publication car contrairement à ce que j’ai dit sur le coup de la fatigue, les partitions sont également exclues du champ des exceptions pédagogiques. Quant aux accords ils devront bien entrer en application jusqu’à fin 2008 en attendant que cette exception pédagogique entre en vigueur. La précision a simplement été déplacée à la fin de l’article 122.5. Cette fois-ci je vais être sage et attendre la fin des valses hésitations avec le vote du 30 juin pour faire le point plus posément.)
Mais venons-en à ta question.
Au vu des exemples que tu pointes, il me semble que la réponse est non. Les oeuvres d’art ne peuvent pas être utilisées en guise de citation.
C’est non dans l’état actuel du droit d’auteur, et ce sera probablement encore non après le vote du projet de loi DADVSI.
La notion de citation ne s’applique pas aux oeuvres d’art.
Voir la FAQ de Murielle-Isabelle Cahen sur Avocat-online :
« Le droit de citation s’applique ordinairement aux textes littéraires. La jurisprudence ne reconnaît pas son application à une oeuvre d’art. En effet, copiée en entier, on a affaire à une reproduction condamnable ; copiée partiellement, il y a atteinte à l’intégralité de l’oeuvre d’art, qui ne peut être divisible. »
Voir aussi le petit article de Wikipedia sur le Droit de courte citation.
Par ailleurs, à supposer que les exceptions au droit d’auteur autorisent un jour la reproduction d’une image en guise d’illustration (plutôt que de citation) à des fins d’analyse ou de critique, cela serait nécessairement assorti de l’obligation de "mentionner clairement le nom de l’auteur ainsi que la source" ; c’est la moindre des choses.
J’ignore si l’usage que tu fais de ces images peut relever, aux yeux des juges, du genre de la parodie, du pastiche et de la caricature (4e de l’article 122-5 relatif aux exceptions au droit d’auteur). Si ton avocat réussit à défendre cette hypothèse, tu as encore une chance d’être dans la légalité à condition bien sûr d’avoir mentionné tes sources.
Dans cette hypothèse, avec l’introduction du principe du triple test par le DADVSI, il faudra encore prouver que tes reproductions ne portent pas "atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur".
Il y a un autre espoir qui reste à confirmer ou infirmer, avec cette nouvelle exception introduite par le projet de loi DADVSI :
« 9° La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d’une oeuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur.
« Le premier alinéa du présent 9° ne s’applique pas aux oeuvres, notamment photographiques ou d’illustration, qui visent ellesmêmes à rendre compte de l’information.
« Les reproductions ou représentations qui, notamment par leur nombre ou leur format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but exclusif d’information immédiate poursuivi ou qui ne seraient pas en relation directe avec cette dernière, donnent lieu à rémunération des auteurs sur la base des accords ou tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés.
« Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.
« Les modalités d’application du présent article, notamment les caractéristiques et les conditions de distribution des documents mentionnés au d du 3°, l’autorité administrative mentionnée au 7°, ainsi que les conditions de désignation des organismes dépositaires et d’accès aux fichiers numériques mentionnés au troisième alinéa du 7°, sont précisées, en tant que de besoin, par décret en Conseil d’État. »
La question reste ici suspendue à l’interprétation qu’il convient de donner aux expressions que j’ai soulignées. A titre indicatif, l’expression "dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière" est une formulation du Sénat qui corrige la formulation initiale de l’Assemblée Nationale qui était : "lorsqu’il s’agit de rendre compte d’événements d’actualité, dans la mesure justifiée par le but d’information poursuivi".
On comprend que ce que les législateurs avaient derrière la tête en rédigeant cet article c’était de permettre à la presse de couvrir des évènements culturels sans s’embarrasser avec des demandes d’autorisation. Il s’agit en somme de rendre légale une pratique déjà courante. Demande aux artistes dont les oeuvres se trouvent reproduites dans des magazines d’art si l’éditeur leur a demandé une autorisation : la grande majorité te répondra non. Et cela donne rarement lieu à un procès. D’abord parce que c’est souvent la galerie ou l’institution organisatrice de l’exposition qui donne les photos à la presse, ensuite parce que les artistes sont contents de figurer dans la presse, et finalement, quand la photo est mal reproduite, bizarrement détourée, ou mal contextualisée, le rapport de force est tellement inégal que la plupart du temps les artistes se contentent de rouspéter dans les coktails et ça ne va pas plus loin.
Mais une fois les brouillons oubliés, ceci ne peut préjuger de la façon dont à l’avenir seront interprétées les expressions "par voie de presse" et "un but exclusif d’information immédiate".
Je t’avoue que sur ces deux points je suis très perplexe. D’une part, il n’y a pas de définition légale de la presse, ou alors elle est très vague et peut inclure les sites personnels. Voir à ce sujet l’article de Me Anne COUSIN sur le Journal du Net : La diffamation sur Internet arrachée au tribunal d’instance, 22 juin 2004 :
« La définition même de la presse était bien sûr au cœur de la discussion. L’une des difficultés de la question, et non des moindres, venait de l’absence quasi totale de définition légale de ce terme pourtant utilisé par la loi et la jurisprudence. La seule qui soit à la disposition des interprètes est donnée à l’article I de la loi du 1er août 1986. Selon lui l’expression “publication de presse” signifie "tout service utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories de publics et paraissant à intervalles réguliers". »
Et puis qu’est-ce qu’une information immédiate ?!! Toi qui aimes l’étonnement philosophique, je supposes que tu trouveras de quoi t’occuper avec une question pareille. Surtout quand cela s’applique à l’éternelle immédiateté à laquelle aspirent les oeuvres d’art, même les plus modestes.
As-tu remarqué par exemple, que même la petite Miss Piggy à laquelle tu fais allusion et qui prétend aller très très vite avec sa Harley, passe moins vite que le paysage ? Le socle de fausse pierre sur lequel elle se tient a beau être de résine, cela ne lui confère pas moins la stabilité qui justifie sa prétention à l’atemporalité d’une oeuvre d’art. Et ce ne sont pas les amateurs de Jeff Koons qui nous diront le contraire.
Ainsi, comme le paysage, la valeur d’information passe, mais l’immédiateté de l’impact de l’oeuvre, son actualité intempestive, reste. Encore 10 ans après la publication de "l’information immédiate", la reproduction de l’oeuvre restera accessible sur internet. Je me demande ce que le législateur fera de cette immédiateté qui se pérennise. S’acharnera-t-il par quelque amendement encore, à entraver l’accès à ce reste pourtant essentiel ?