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D’un extrême, l’autre : extrémisme culturel et extrémisme religieuxLe 6 février 2006 à 02:03:41, par Isabelle Vodjdani ¦ Lien permanent
Parmi le flot d’opinions, invectives ou condamnations qui ont déferlé ces derniers jours autour de l’affaire des caricatures du prophète Mahomet, j’ai relevé une perle : "extrémisme culturel".
« Les Emirats arabes unis, par la voix du ministre émirati de la Justice, Mohammad Nakhira Al-Zahira : "Les offenses publiées relèvent de l’extrémisme culturel, et non pas de la liberté d’expression. Tout en les dénonçant, nous mettons en garde contre leurs conséquences imprévisibles". Il a appelé l’Onu et ses organismes à "réactiver les lois internationales de dissuasion, qui incriminent toute atteinte au caractère sacré des religions". Ces lois stipulent "la liberté de culte et de foi, la non discrimination sur une base religieuse", comme elles appellent à "la tolérance". (Déclaration, dimanche 29 janvier) »
Cité le 2 février, dans le Nouvel Observateur, article tenu à jour sur la page Les réactions dans le reste du monde.Qu’est-ce encore que ce nouveau concept ? On croyait l’extrémisme réservé au domaine du religieux ou de la politique tandis que le culturel devait être le champ des exceptions qui composent la diversité.
Mais voilà qu’entre les mains de quelques décervelés qui ignorent la nuance, notre cher principe de liberté d’expression qui est censé garantir cette diversité apparaît comme une nouvelle forme d’extrémisme qui paradoxalement, bafoue le respect de la diversité.
Il y a de quoi en perdre son latin ![1]
Soigner, adorer, honorer, pratiquer,...respect, crainte, scrupule, égards, attention, culte... Ces mots que l’on trouve dans la boîte à outils de l’étymologie de la culture et de la religion, n’ont vraisemblablement plus beaucoup de sens pour les extrémistes de tous bords qui se prêtent si inconsidérément, qui à l’instrumentalisation de la culture, qui à celle de la religion. Ces mots pouvaient laisser espérer un mixage plus heureux du religieux et du culturel, mais l’amalgame se révèle détonnant quand il est surdéterminé par les tensions politiques et économiques qui s’aggravent entre l’Occident et le Moyen Orient.
Loin du brasier, les Etats Unis peuvent aujourd’hui se réjouir de trouver dans cette escalade des extrémismes religieux et culturels où l’Europe s’est si bien embourbée, l’occasion de consolider leur prise sur un allié qui après avoir boudé l’hameçon du conflit Irakien s’est tout de même laissé ferrer au détour des jeux de pression avec l’Iran. Vu la tournure prise par les événements, ils pourront bientôt compter sur le soutien européen pour la mise au ban de la Palestine.
Si, parler d’"extrémisme culturel" relève d’un amalgame certainement discutable, surtout quand l’accusation vient de nations qui ne reconnaissent aucune liberté à la presse, l’hypothèse mérite néanmoins qu’on s’en péoccupe, sachant que la culture est devenue aujourd’hui le vecteur d’enjeux économiques et idéologiques considérables. On pourrait en tenir pour exemple les extrémités auxquelles veut nous contraindre le projet de loi DADVSI défendu par notre ministre de la Culture, projet qui enfonce le clou du consumérisme culturel en protégeant les intérêts de l’industrie.
Mais pardon, ayant un pied dans chaque camp, je suis sûrement très mal placée pour juger de l’opportunité de procéder à un examen de conscience en se laissant inquiéter par cette accusation sans doute abusive d’"extrémisme culturel". Le "d’où je parle" n’étant jamais bien clair, y compris pour moi-même, rien de ce que je dis ne peut être crédible.
Jusqu’à présent, je ne m’accomodais pas trop mal de mon désorientalisme. Mais par les temps qui courent, il ne fait plus bon être bi-national ou bi-culturel. Ce genre de bi-partition finit par vous hacher menu et vous laisse épuisé, en charpie. Depuis quelques mois, en fait, presqu’un an, c’est à dire depuis que l’Iran a recommencé à durcir ses positions, je ne sais plus sur quel pied danser. A mesure que le fossé entre l’Iran et le clan UE-US se creuse mon malaise va grandissant. Malgré les doses de mauvaise foi ou de stupidité que je trouve également réparties de part et d’autre, je ne peux m’empêcher de compatir avec l’un et l’autre. Etre "coupable" en deux me rend nécessairement coupable de sympathies mal placées qui me conduisent à dire des bêtises. Cet arbitrage affectif occupe toute mon énergie, pollue ma pensée, et brouille mon discernement. Rien d’étonnant à ce que Transactiv.exe soit dans un état de semi-hibernation. Rien d’étonnant non plus à ce que je sois fatiguée et si peu productive.
La raison voudrait que je m’invente un autre pays, une autre culture : ce serait une utopie. Et puis, comment tourner le dos à ceux que l’on a toujours chéris et parmi lesquels on a grandi ?
Alors je rumine et je traduis des bouts de poèmes. La démarche bancale de la traduction, tiraillée entre trahison et fidélité maladroite, dit à elle seule tout le malaise :
« Sous l’emprise de l’aimé,
Impossible de préserver mon intégritéQuel intérêt de faire passer le pieux pour un fourbe ?
Ignoré de l’aimé, il me faut ruserC’est dans la coupe d’espoir et d’union que l’échanson
Offre le vin coûteux, artisan de ma stupiditéLe pire, c’est que l’amour confronté à son hostilité, m’enivre
Quand il faudrait que son ivresse me pousse à la clairvoyanceJe suis las de ses agissements ; à chaque heure,
Il me faut démentir ses actes et dire mon dégoûtVois cette perplexité et la difficulté de l’amour
Comprends la cause de ma claudication et de mon égarement. »Anvari, poète persan du 12e siècle, in Persopedia>Anvari>divân-e ash’âr>ghazaliât>p5
[1] Ce que disent les dictionnaires :
culte : début XVIe s. (var.cult), du lat. cùltus, part. passé de colere, adorer. culture : XIVe s. Gloss. de Conches, XVe s. fig. ; du lat. cultura, de colere, cultiver ;...
(Dictionnaire étymologique Larousse) colo, colui, cultum, ere, [infitif : colere], tr., :
1- cultiver, soigner...
2- habiter,...
3- cultiver, pratiquer, entretenir...
4- honorer,.. entourer un sanctuaire de la plus grande vénération...,pratiquer avec respect,... entourer quelqu’un d’égards et d’attention...
(Gaffiot) religion, fin XIe s. Louis de Guill., du lat. religio ;...
(Dictionnaire étymologique Larousse) religio
1- attention scrupuleuse, scrupule, délicatesse, conscience...
2- scrupule religieux, sentiment religieux, crainte pieuse...
3- sentiment de respect, vénération, culte...
(Gaffiot)