de la cérémonie
du rite
« les invariants de la techno-utopie du réseau »
activation, hybridation, singularité
réseau-miroir, réseau-corps
techno-mobile
vitesse
commerce
« La cérémonie : flash mob »
Qui pourrait encore croire au déclin des cérémonies et des rites dans nos sociétés contemporaines ? Si leur reconduction ou leur permanence peuvent poser problème, leur invention ou plus précisément leur émergence semblent assurées. Certes, il y a un paradoxe à parler de rite si celui-ci n’est pas reconduit ou insuffisamment reconduit et la question même de son émergence ne se pose pas. La question se reporte alors sur la fréquence et la permanence du rite. Y-a-t-il un seuil de répétition minimum en-deçà duquel un rite ne saurait exister ? Y-a-il une fugacité rituelle propre à la société occidentale contemporaine ? La puissance rituelle est-elle directement corrélée à sa fréquence, aux nombres de personnes concernées et à son ancienneté ?
Cérémonie
Après ces remarques, en voici encore une : pourquoi intituler ces quelques lignes « cérémonie » et dévier aussitôt sur la question du rite ? C’est qu’il s’agit ici avant tout d’une cérémonie particulière intitulée « Flash mob », qui bien que l’historique et la description en aient aussitôt été faites, n’est pas encore clairement rattachée à une fonction sociale primitive. (Par ailleurs, qui oserait parler ici de « fonction sociale primitive » alors qu’il semblerait que nous ayions affaire à une classe d’individus « high-tech » à la fois évoluée et « branchée » ? Une classe à la fois doublement relayée et mobile, forcément fugace et rapide ?) Bref, la cérémonie se pratique et/ou se décrit, le rite s’analyse. Il faut donc me concentrer d’abord sur la cérémonie. Celle-ci est « presque » parfaite et cette quasi perfection est à la fois sa motivation et sa raison d’être. L’internet est ici, à travers une liste ouverte/fermée (je peux m’abonner à cette liste mais en m’adressant ailleurs que chez mon épicier) à la fois le premier et le dernier lieu de rendez-vous, c’est-à-dire d’abord le lieu de la communication du rendez-vous physique et enfin le lieu du commentaire de l’action réalisée.
Tout le monde l’a tout de suite compris, le réseau - la communication dans le réseau - est l’origine et la fin de la cérémonie et très probablement l’objet même de la célébration. Entre le début, la fin et l’objet lui-même il y a la rencontre des corps et toujours en des proportions variables, ce relais incontournable du corps en déplacement : le mobile avec ou sans photos et désormais avec ou sans vidéos. Dans ce cas précis, le relais sur internet est devenu grâce à l’expérience dactylographique d’Isabelle et à l’abonnement téléphonique gratuit de Jef, quasi-instantané, une sorte de miroir subjectif redoublé auquel manquaient bien sûr les images. On ne s’étonnera donc pas que cette cérémonie-de-la-communication-dans-le-réseau conjugue la rencontre physique des corps - que celui-ci absente normalement - et réfléchisse la rencontre en temps réel. A quelques détails près, la cérémonie s’est répétée en différents lieux et puisqu’il s’agit de la terre interconnectée, la première cérémonie, forcément, a débuté à New-York. La cérémonie a joué avec quelques unes de ses données intrinsèques toutes reliées entre elles : sa vitesse, son autoreprésenation et sa célébration.
Rite
Beaucoup, semble-t-il, se sont étonnés de constater le côté adolescent de l’entreprise, sa gratuité (confondant donc rassemblement adolescent et rassemblement « gratuit », ce qui est bien sûr une énormité), s’interrogeant inévitablement sur le côté artistique de la manifestation. Cet aspect, dénié par les organisateurs, engagerait donc une liberté (enfin) retrouvée (à moins que le déni artistique soit la meilleure façon de le garantir). En ce qui me concerne, contribuant à ma façon à la célébration, j’y retrouve la définition courante du rite selon Jean Cazeneuve (EU2000) : « Dans le langage courant, ce terme désigne toute espèce de comportement stéréotypé qui ne semble pas être imposé par quelque nécessité ou par la réalisation d’une finalité selon des moyens traditionnels ». Après un rapide aperçu des avantages et des inconvénients des fonctions du rite selon Malinowski, Bergson, Freud ou Durkheim, Cazeneuve aboutit au propos suivant : « En définitive, il semble préférable de chercher la fonction du rite non pas dans des finalités qui lui sont extérieures, mais dans ses caractéristiques propres, à savoir celles qui le font apparaître comme un moyen de régler les rapports entre ce qui est donné dans l’existence humaine et ce qui paraît la dépasser, puisqu’on a affaire précisément ici à des conduites qui ne trouvent pas leur explication dans la condition matérielle de l’homme mais qui pourtant lui sont étroitement liées ». Une conduite sans explication matérielle mais qui pourtant lui est étroitement
associée, voilà me semble-t-il une généralité qui correspond assez bien au rite de la rencontre-éclair. Difficile désormais d’imaginer une condition matérielle de l’homme en dehors des réseaux et de leurs instrumentations techniques. Comment actualiser ceux-ci à travers leurs représentations optimum que sont internet et le mobile et comment les mettre en scène ? Si ces deux instruments éludent les corps tout en démultipliant les rencontres, il s’agit précisément de célébrer « gratuitement » ce qui a été éludé : circonscrire la rencontre des corps et les représenter (« apportez votre appareil photo » indique le message de Parismob). Pour quel objet, pour quelle pratique ? Aucune importance, pour autant que cet objet ou cette pratique soit gratuit(e). Mieux, si la gratuité est mesurable, plus celle-ci sera forte, plus le rite sera efficace.
Régler les rapports entre ce qui est donné dans l’existence humaine et ce qui paraît le dépasser, voilà une deuxième généralité qui rend bien compte de la pratique et de l’immersion dans le réseau, car ne l’oublions pas, « la machine se suffit à elle-même, à défaut elle se suffit du branchement avec d’autres machines » (Gauthier, 2002). Mais comme Cazeneuve l’a également bien repéré à propos du rite et du « numineux » : « [l’homme] Son action, son existence même lui semblent comporter une marge d’indétermination, par là même d’insécurité. [...] Quand (il) a le sentiment du numineux, de ce qui lui échappe, il est tenté à la fois de s’en écarter et de s’en servir, ou bien, tout à la fois, de se préserver de ses dangers et de se mettre sous sa protection ». N’est-ce pas là une version bien dramatique de ce qui se veut avant tout ludique, festif et gratuit ? Eh d’abord tu l’as fait, toi, la flash mob avant d’en parler ?
Développant les réflexions entamées sur ce forum, dans le billet qui précède, Bernard Guelton vient de publier une intéressante analyse des Cérémonies éclairs sur le site d’ Agglo.
Le même article, cette fois illustré, et avec une navigation plus aisée, vient d’être publié dans la très bonne revue en ligne canadienne archée.
L’analyse de Bernard Guelton, fort argumentée, met en avant la fonction d’auto-représentation du réseau dans la cérémonie des foules éclair. Un point de vue pertinent, avec lequel il faudra compter pour qui veut pousser plus avant une réflexion sur le phénomène des flash mobs.
Merci à Bernard Guelton pour ses nombreuses références à Transactiv.exe. On peut seulement regretter l’absence de références à des ressources quasi exhaustives telles que mediatic qui pointe au jour le jour toutes les nouvelles concernant les flash mobs en France (et parfois à l’étranger), ou encore CraoWiki et les nombreuses pages qui recensent sur ce site les témoignages et compte-rendus des différents flash mobs parisiens.