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Un petit cabanon se voit changé en laboratoire d’expériences visuelles, sonores et fantastiques. Adrien et Thomas recyclent un espace à l’abandon. Une structure en grillage évoque la flore luxuriante de mauvaises herbes entrelacées dans lesquelles toutes sortes d’objets se trouvent prisonniers. Les tuiles régulièrement disposées au sol font des cliquetis sous les pas. Des lignes graphiques murales poursuivent les enchevêtrements extérieurs de branches d’arbres dégénérés ; un espace intérieur graphique, reflet d’un paysage accidenté.
C’est à ce stade que je les ai rejoints pour de futures aventures.
Un soir, non loin de la Porte d’Orléans, un chantier s’offre comme terrain de jeux. Chacun, armé d’un sac contenant briquets et bougies, entre dans l’aire que nous venons de découvrir après une courte marche rythmée par les lumières pâles de la rue. Nos pas foulent béton et terre et nous échouons dans une rigole de dix mètres de profondeur.
La lueur oscillante de notre bougie révèle la scène d’un rituel mystérieux dont nous sommes les acteurs. Des petits tas de pierres, tumulus ou embryons de figures archaïques, se forment sous nos mains.
Ces images me reviennent en mémoire et l’écran blanc de l’ordinateur se transforme en tampon de ces clichés presque noirs et blancs. Tandis que mon regard se perd sur les fleurs colorées du balcon, mon esprit s’évade à nouveau.
Les chaussures d’Adrien glissent sur la façade d’une maison abandonnée et disparaissent de ma vue après avoir franchi la fenêtre du premier étage, à quelques mètres du sol. Pendant que Thomas entre par la fente du mur que quelques instants auparavant j’ai franchi, mes yeux s’habituent à l’obscurité environnante et découvrent le chaos qui y règne.
Les araignées et les mouches de la cave s’offrent à nous telles des chimères d’un univers inconnu et étonnant.
Adrien, Thomas et moi, peignons de couleurs vives des objets à l’abandon recueillis dans une pièce. L’espace de quelques minutes, cette cuisine se montre sous le regard d’une mouche ; vision psychédélique du réel, les meubles se présentent comme autant de filtres colorés nous ouvrant les portes d’un espace imaginaire.
Trois intrusions plus ou moins dangereuses.
La première, c’était la découverte, l’aventure, un saut du grand plongeoir avec Adrien. La seconde, un saut à l’élastique sans élastique avec Sylvain. Plus j’y pense et plus je me dis que nous avons bien fait de ne pas réfléchir et de foncer sinon nous ne l’aurions jamais fait. Pour le troisième, ce fut un entrechat de réflexes, de techniques et d’habitudes improvisées à trois.
Ce qui me vient à l’esprit en repensant à tout cela, ce sont toutes les acrobaties effectuées. Et puis on refait comme avant, on sort du RER, on descend sur la gauche vers le parc, on regarde s’il n’y a pas trop de monde et on franchit le mur... De l’autre côté on se sent coupé de l’extérieur, c’est beaucoup plus calme.
Pour la visite de chantier avec Sylvain, je ne sais pas pourquoi, mais dès que nous avons franchi la barrière nous jouions ce rôle de commando-espion ; peut-être vis à vis de l’illégalité, ou alors simplement du fait que nous nous filmions. Je ne dis pas que nous jouions un rôle, du moins pas consciemment ; en effet, si je devais réfléchir à ce que dois dire ou faire lorsque je suis filmé ou si je devais faire attention à bien passer devant la caméra, franchement, j’arrêterais de me filmer et je n’apparaîtrais plus à l’écran. La vidéo n’est plus seulement un document témoin ; elle devient forcément un mode d’expression visuelle en même temps qu’un mode d’exploration à part entière. Elle nous permet d’agir tout en construisant la mémoire de l’action.
Notre collaboration, sorte d’organisation secrète sans prétention, rythmée par l’improvisation, pourrait se développer à l’avenir sur de nouveaux terrains. Nos interventions essayent de s’adapter à ces lieux comme révélateurs d’une rencontre où se conjugent la réalité parfois sordide du site et l’ébauche de ce que nous aurions aimé y trouver.
L’histoire de trois individus qui se rencontrent et partagent une vision fantastique et utopique d’un lieu interdit, sacré à leurs yeux. Un boulet de canon qui, en terrain ennemi se briserait et répandrait d’inoffensifs rayons colorés sur ses cibles.
NDLR : Cet article et les photographies qui y sont incorporées ne sont pas sous Licence Art Libre. Pour tout droit de reproduction, vous êtes prié de contacter les auteurs.
bravo travaux tres interressant !
peintre moi meme je voudrais savoir ou se trouve votre collectif afin de vous rencontrer. continuez ... merci
Ce que j’aime dans les infractions poétiques c’est qu’elles produisent des petits moments de beauté dans les recoins les plus sinistres, sans être infligées au public.
Le meilleur de l’art, c’est celui que l’on fait ou que l’on découvre. Pas celui dont on impose le spectacle de façon intrusive dans les espaces publics.
Le travail du collectif IP ne fait de tort à personne, il n’en demeure pas moins que ce sont des infractions.
J’attire votre attention sur l’article du 7 septembre du journal Libération qui nous apprend qu’un cinéma clandestin vient d’être découvert dans les catacombes de Paris, sous le Trocadéro. Frédérique Roussel et Ludovic Blecher en profitent pour évoquer différentes facettes de la vie "underground" du sous sol parisien, et tout n’y est pas forcément aussi sympathique que le travail du collectif IP.
Suite à cette découverte, les chantiers et les espaces sousterrains font l’objet d’une surveillance accrue par les forces de l’ordre. Il convient donc d’être prudent et d’éviter ce genre de lieux. Le monde est grand, vous pourrez sûrment trouver d’autres terrains pour exercer vos talents.
Netlex (encore lui !) nous apporte aujourd’hui des compléments d’information sur la vie culturelle sousterraine de Paris, en pointant notamment sur un article d’Alexandre Bayen qui retrace l’histoire des catacombes.
Ne ratez surtout pas l’article de Netlex, car il pointe également sur nombre d’activités culturelles ou curiosités savoureuses qui surviennent dans les sousterrains.
La magie des lieux, le plaisir de l’exploration, et sans doute la petite excitation que l’on associe à l’acte transgressif, apportent indéniablement une plus value esthétique à ces expériences. Pour certains, cette plus value esthétique suffit en elle-même. A titre d’exemple, on pourrait évoquer les activités du groupe Infiltration ou celles de Jinxmagazine (qui ne se cantonnent pas aux sousterrains).
Ces explorateurs créent leur propre spectacle en découvrant l’in-vu sous un autre jour, et dans un contexte qui par son histoire, est déjà riche de connotations. Le fait que cette histoire soit en grande partie inconnue est un facteur extrêmement stimulant pour l’imagination qui pour combler les lacunes d’une mémoire dont il ressent pourtant le poids, doit inventer ses propres fictions, et ce faisant, d’autres regards.
Se pourrait-il que la richesse du "gruyère" sousterrain de Paris, réside autant dans nos trous de mémoire que dans l’histoire ?