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il y a cette solitude / du titre de l’œuvre

Publié le lundi 15 juin 2009 à 11:07:17 par Caroline Hoctan , John Cornu

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Francis Bacon, Trois personnages dans une pièce, 1964, Centre Georges Pompidou

il y a cette solitude / du titre de l’œuvre / je sais / qu’on fuit devant la ligne de fuite de la peinture / on retiendra le principe du triptyque / que ce que j’aime vraiment faire / comme si nous pouvions nous retrouver un peu en nous-mêmes / lié à l’héritage de la peinture religieuse / ce sont les triptyques / et à travers elle / à l’unité de la lumière et des couleurs / ce sont les choses que j’aime le plus / ainsi, une fois de dos / mais surtout / et je crois que peut-être cela a quelque chose à voir avec l’idée que j’ai parfois eue / on pense presque en son corps défendant / à cette volonté de Bacon de produire / de faire un film / au drame abstrait de trois corps peints dans leurs ressorts secrets sur trois grands panneaux / des tableaux qui ne soient pas isolés les uns des autres / j’aime la juxtaposition des images séparées / et, notamment / tout en étant néanmoins séparés / sur trois toiles différentes / aux muscles contractés d’une jambe repliée / afin de conjurer le caractère figuratif, illustratif et narratif / si tant est que mon œuvre ait la moindre qualité / dont la chair nous attire et nous révulse tout à la fois / que les personnages auraient nécessairement / alors / c’est ce détail / s’ils étaient rassemblés / c’est
peut-être dans ces triptyques / que nous emporterons comme cette part de nous-mêmes révélée à notre regard / sur la même toile / qu’elle est la meilleure / depuis 1964 sous le titre « Trois personnages dans une pièce »

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Jean-Baptiste Carpeaux, Le Prince impérial et son chien Néro, 1865, Musée d’Orsay

j’ai d’abord regardé cette sculpture / alors que Carpeaux jouait un rôle majeur / en entrant dans la carrière artistique / en me demandant ce qu’elle pouvait bien encore représenter / dans le développement du réalisme de la seconde moitié du XIXe siècle / je suis tombé entre les
mains de la Fatalité / aujourd’hui / la seule question qui l’obsédait était de savoir / qui n’a cessé de me renverser / puis, je l’ai regardée différemment / s’il valait mieux mourir / à chaque pas / peut-être parce qu’il s’agit d’un enfant / ou manger ses enfants / qu’est-ce ce que j’ai fait /
peut-être aussi parce qu’il enlace son chien / le Prince impérial se doutait-il alors que la mort l’emporterait / à Dieu / avec tant d’affection que l’on est saisi d’un sentiment étrange / dès sa vingt-troisième année / pour mériter de semblables épreuves / ou bien alors / mais il n’existe aucune relation / faut-il que je ne meure à la tâche / à cause de son apparente fragilité / entre ces faits / ou suis-je marqué / enfin / peut-être juste / au front / j’ai essayé d’imaginer à quoi pouvait bien penser un tel enfant qui / en 1865 / une certaine concordance / du mot malheur / se présentait comme « Le Prince impérial et son chien Néro »

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Fra Angelico, L’Annonciation du Corridor, approx. entre 1438 et 1450, Musée de San Marco

au beau milieu / Fra Angelico / lorsque / d’un après-midi chaud / fut le premier peintre / tu viendras / les personnages anciens / béatifié par le Pape en 1982 / devant la figure / de ce Paradis promis / il avait également été / de la Vierge intouchée / auquel je rêvais d’accéder / entre 1438 et 1450 / en passant / sans trop y croire pourtant / le premier peintre à utiliser pour cette fresque / veille à ce que / se révélèrent à moi / les nouvelles techniques inspirées par Masaccio / l’Ave ne soit pas passé sous silence / dans « L’Annonciation »

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Fra Angelico, Le Couronnement de la Vierge, approx. entre 1430 et 1435, Musée du Louvre

il y avait / Fra Angelico / que ma gloire ne soit pas d’avoir été / tous ces saints et ces anges / peintre de renommée / comme un second Apelle / qui assistaient au triomphe / exerçait également comme prêtre / mais de t’en avoir donné / de la splendeur divine / observant la règle originelle de saint Dominique / ô Christ / et puis / cette double activité fit de lui / tout le bénéfice / une demie-douzaine de siècles plus tard / un personnage « angélique » / j’ai laissé des œuvres sur la terre / moi-même / dont la mythologie raconte / et d’autres au ciel / dans cette foule étonnante / qu’il ne prenait jamais ses pinceaux / je suis Jean / qui regardais sans comprendre / avant d’avoir fait / né de la ville / cette même célébration / ses oraisons / qui est la fleur de la Toscane / désignée comme « Le Couronnement de la Vierge »

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Franciabigio, Portrait d’homme, approx. 1510, Musée du Louvre

il y a ce regard de l’homme / Florentin de naissance / il aimait la tranquillité ; aussi / porté au loin / cet artiste également surnommé Francesco di Cristofano / ne voulut-il jamais prendre femme / comme au-dedans de lui-même et qui / était attentif à la correction anatomique et à la perspective / et ne voulut jamais sortir de Florence / donne à son visage cette expression / dans ses peintures / car il avait vu des œuvres de Raphaël d’Urbin et / de résignation ou d’apaisement / à ce titre / croyait ne pas être l’égal d’un tel homme / mais à quoi songeait-il / il était fort apprécié / ni des autres maîtres de grands renom / vers 1510 / pour son habilité dans les fresques / aussi refusa-t-il / sinon aux lumières de ces contrées / et passait même / toujours la confrontation / où il déclinait de se rendre / pour être le meilleur fresquiste / avec des artistes / ou bien à l’une de ces femmes pour laquelle il peignit / de son temps / d’une si
rare perfection / ce « Portrait d’homme »

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Kasimir Malevitch, Croix noire, 1915, Centre Georges Pompidou

de temps en temps / je repense à Saint-Petersbourg / quand disparaîtra l’habitude de la conscience / et c’est parce qu’on se retrouve au musée / au suprématisme qui naît alors / de voir dans les tableaux la représentation / reviennent des souvenirs comme des images en pagaille / et subvertit la notion de composition traditionnelle / de petits coins de la nature, de madones ou de Vénus impudiques / qui traversent le temps / je repense à aujourd’hui où / alors seulement nous verrons l’œuvre picturale / cela pourrait être beaucoup plus que des souvenirs de 1915 / hormis les regrets / je me suis transfiguré en zéro des formes / toute une œuvre aussi bien / on peut y voir aussi les reflets comme des souvenirs en pagaille / et je me suis repêché / d’un seul geste / qui traversent le temps / une toile de Malevitch par exemple / mais qui s’effacent pourtant / du trou d’eau des détritus de l’Art académique / le « Quadrangle noir » dont aucun angle ne fait 90°, sur fond blanc

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Francis Bacon, Trois personnages dans une pièce, 1964, Centre Georges Pompidou

Il y a cette solitude qu’on fuit devant la ligne de fuite de la peinture, comme si nous pouvions nous retrouver un peu en nous-mêmes et à travers elle. Ainsi, une fois de dos, on pense presque en son corps défendant, au drame abstrait de trois corps peints dans leurs ressorts secrets sur trois grands panneaux et, notamment, aux muscles contractés d’une jambe repliée dont la chair nous attire et nous révulse tout à la fois. C’est ce détail que nous emporterons comme cette part de
nous-mêmes révélée à notre regard depuis 1964 sous le titre « Trois personnages dans une pièce ».

Du titre de l’œuvre, on retiendra le principe du triptyque lié à l’héritage de la peinture religieuse, à l’unité de la lumière et des couleurs mais surtout à cette volonté de Bacon de produire des tableaux qui ne soient pas isolés les uns des autres tout en étant néanmoins séparés afin de conjurer le caractère figuratif, illustratif et narratif que les personnages auraient nécessairement s’ils étaient rassemblés sur la même toile.

« Je sais que ce que j’aime vraiment faire, ce sont les triptyques. Ce sont les choses que j’aime le plus et je crois que peut-être cela a quelque chose à voir avec l’idée que j’ai parfois eue de faire un film. J’aime la juxtaposition des images séparées sur trois toiles différentes. Si tant est que mon œuvre ait la moindre qualité, alors c’est peut-être dans ces triptyques qu’elle est la meilleure » (Bacon).

Jean-Baptiste Carpeaux, Le Prince impérial et son chien Néro, 1865, Musée d’Orsay

J’ai d’abord regardé cette sculpture en me demandant ce qu’elle pouvait bien encore représenter aujourd’hui. Puis, je l’ai regardée différemment, peut-être parce qu’il s’agit d’un enfant, peut-être aussi parce qu’il enlace son chien avec tant d’affection que l’on est saisi d’un sentiment étrange ou bien alors, à cause de son apparente fragilité. Enfin, j’ai essayé d’imaginer à quoi pouvait bien penser un tel enfant qui, en 1865, se présentait comme « Le Prince impérial et son chien Néro ».

Alors que Carpeaux jouait un rôle majeur dans le développement du réalisme de la seconde moitié du XIXe siècle, la seule question qui l’obsédait était de savoir s’il valait mieux mourir ou manger ses enfants. Le Prince impérial se doutait-il alors que la mort l’emporterait dès sa vingt-troisième année ? Mais il n’existe aucune relation entre ces faits. Peut-être juste une certaine concordance.

« En entrant dans la carrière artistique, je suis tombé entre les mains de la Fatalité, qui n’a cessé de me renverser à chaque pas. Qu’est-ce ce que j’ai fait à Dieu pour mériter de semblables épreuves ? Faut-il que je ne meure à la tâche ou suis-je marqué au front du mot malheur ! » (Carpeaux).

Fra Angelico, Le Couronnement de la Vierge, approx. entre 1430 et 1435, Musée du Louvre

Il y avait tous ces saints et ces anges qui assistaient au triomphe de la splendeur divine et puis, une demie-douzaine de siècles plus tard, moi-même, dans cette foule étonnante, qui regardais sans comprendre cette même célébration désignée comme « Le Couronnement de la Vierge ».

Fra Angelico, peintre de renommée, exerçait également comme prêtre observant la règle originelle de saint Dominique. Cette double activité fit de lui un personnage « angélique » dont la mythologie raconte qu’il ne prenait jamais ses pinceaux avant d’avoir fait ses oraisons.

« Que ma gloire ne soit pas d’avoir été comme un second Apelle [1], / mais de t’en avoir donné, ô Christ, tout le bénéfice ; / j’ai laissé des œuvres sur la terre, et d’autres au ciel. / Je suis Jean, né de la ville qui est la fleur de la Toscane » (épitaphe sur sa tombe) [2].

Fra Angelico, L’Annonciation du Corridor, approx. entre 1438 et 1450, Musée de San Marco

Au beau milieu d’un après-midi chaud, les personnages anciens de ce Paradis promis auquel je rêvais d’accéder, sans trop y croire pourtant, se révélèrent à moi dans « L’Annonciation ».

Fra Angelico fut le premier peintre béatifié par le Pape en 1982. Il avait également été entre 1438 et 1450 le premier peintre à utiliser pour cette fresque les nouvelles techniques inspirées par Masaccio.

« Lorsque tu viendras devant la figure de la Vierge intouchée, en passant veille à ce que l’Ave ne soit pas passé sous silence » (Fra Angelico) [3].

Franciabigio, Portrait d’homme, approx. 1510, Musée du Louvre

Il y a ce regard de l’homme porté au loin comme au-dedans de lui-même et qui donne à son visage cette expression de résignation ou d’apaisement. Mais à quoi songeait-il, vers 1510, sinon aux lumières de ces contrées où il déclinait de se rendre ou bien à l’une de ces femmes pour laquelle il peignit, ce « Portrait d’homme ».

Florentin de naissance, cet artiste également surnommé Francesco di Cristofano, était attentif à la correction anatomique et à la perspective dans ses peintures. À ce titre, il était fort apprécié pour son habilité dans les fresques et passait même pour être le meilleur fresquiste de son temps.

« Il aimait la tranquillité ; aussi ne voulut-il jamais prendre femme [et] ne voulut jamais sortir de Florence car il avait vu des œuvres de Raphaël d’Urbin et croyait ne pas être l’égal d’un tel homme, ni des autres maîtres de grands renom ; aussi refusa-t-il toujours la confrontation avec des artistes d’une si rare perfection » (Vasari).

Kasimir Malevitch, Croix noire, 1915, Centre Georges Pompidou

De temps en temps, et c’est parce qu’on se retrouve au musée, reviennent des souvenirs comme des images en pagaille qui traversent le temps. Cela pourrait être beaucoup plus que des souvenirs de 1915, toute une œuvre aussi bien, d’un seul geste, une toile de Malevitch par exemple, le « Quadrangle noir » dont aucun angle ne fait 90°, sur fond blanc.

Je repense à Saint-Petersbourg, au suprématisme qui naît alors et subvertit la notion de composition traditionnelle. Je repense à aujourd’hui où, hormis les regrets, on peut y voir aussi les reflets comme des souvenirs en pagaille qui traversent le temps mais qui s’effacent pourtant.

« Quand disparaîtra l’habitude de la conscience de voir dans les tableaux la représentation de petits coins de la nature, de madones ou de Vénus impudiques, alors seulement nous verrons l’œuvre picturale. Je me suis transfiguré en zéro des formes et je me suis repêché du trou d’eau des détritus de l’Art académique » (Malevitch).

[1Portraitiste d’Alexandre-le-Grand (IV siècle av. J.C.) et l’un des plus célèbres peintres de l’Antiquité. Aucune de ses œuvres n’a été conservée.

[2Fra Giovanni Angelico da Fiesole fut enterré par ses frères à Rome à la Minerva. À côté de la porte latérale près de la sacristie, sous un médaillon de marbre où l’on peut voir son portrait, est gravé cette épitaphe : « Non mihi sit laudi quod eram velut alter Apelles / Sed quod lucra tuis omnia Christe dabam / Altera nam terris opera extat alterra coelo / Urbs me Joannem flos tulit Aethruriae ».

[3L’inscription « Virginis in tacte cum veneris ante figuram pretereundo cave ne silea tur Ave » qui figure au bas de l’œuvre avait pour vocation d’inviter le dévot à faire une prière lorsqu’il passait devant le tableau.


 
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