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Un petit tableau très banal

Un rêve
Publié le jeudi 21 décembre 2006 à 23:50:21 par Isabelle Vodjdani

« Talhak racontait qu’il avait fait un rêve à moitié vrai, à moitié faux.
Comment à moitié vrai ? lui demanda-t-on.
J’ai rêvé que je portais un trésor si lourd sur mes épaules que je me suis soulagé dans mon pantalon. A mon réveil, j’ai vu que le pantalon était bien mouillé mais le trésor envolé. »

Obeyd Zâkâni. [1]

Parce qu’affranchi des contraintes du réel, on attend du monde onirique qu’il présente des situations énigmatiques, merveilleuses ou absurdes. L’imagerie surréaliste, et plus encore, l’usage que l’on fait du mot surréaliste pour qualifier les situations extravagantes, a si bien confirmé ce lieu commun qu’on en oublie la simplicité des rêves de confort dont tout un chacun a déjà fait l’expérience : l’affamé rêve de ripaille ou, quand le réveil sonne, le dormeur se croit en chemin pour le travail. Certes, c’est moins spectaculaire que les rêves exorbités où la houle du désir façonne des créatures en perpétuelle métamorphose qui s’ébattent dans une érotique apesanteur. Mais quand l’allure trop chaloupée du monde devient nauséabonde n’est-il pas concevable de s’en remettre au rêve pour imaginer quelque chose de parfaitement anodin ? C’est ce qui m’est arrivé il y a quelques temps, lorsqu’en me réveillant, je me suis aperçue que le petit tableau qu’un amateur venait d’acquérir presque sous mes yeux, était un rêve.

C’est à peine si j’ose le décrire tant je redoute de vous décevoir, car c’était un tableau très banal. Il représentait un coin de ville ensoleillé. Le premier plan était presque vide ; une bordure de trottoir, barrée en oblique par l’ombre portée d’un immeuble, formait dans le quart inférieur gauche une composition presque abstraite de gris plus ou moins nuancés d’ocres ou de mauves. Depuis l’angle inférieur droit, tronqué par le bord du tableau, un square verdoyant entouré de ferronneries ornementales fuyait en arrondi vers le centre pour rejoindre le second plan où quelques passants sommairement peints se détachaient sur la façade en pierre d’un immeuble baigné de lumière. Un peu à gauche, une rue animée de minuscules passants et d’enseignes colorées, creusait la perspective vers un lointain rapidement interrompu par un bout de ciel bleu coïncé entre les bâtiments. A gauche, les demi teintes gris-beiges d’un immeuble d’angle qui fermait la perpective, ramenaient le regard dans la zone des clair-obscurs géométriques du trottoir au premier plan. Le dépouillement de cette zone contrastait avec le naturalisme de l’ensemble ; c’était presque un tableau dans le tableau. La facture, plutôt sobre, évitait les prétentions déclaratives d’une touche trop expressionniste ou didactique. La décomposition des couleurs déployées dans les tons locaux des façades ou du trottoir était estompée par le choix d’une matière assez mate et d’une gamme étendue de nuances qui se chevauchaient en douceur.

Comme il arrive souvent dans les rêves, les circonstances dans lesquelles le tableau prenait forme sous mes yeux révélaient peu à peu des détails qui rendaient sa banalité remarquable.

Je ne sais pas à quel titre j’assistais aux préparatifs de cette vente. Nous étions dans une sorte d’entrepôt. L’antiquaire faisait le tri dans un lot pléthorique qu’un particulier lui soumettait en vrac. Il s’agissait d’un héritier pressé d’en finir avec le bric a brac d’une aïeule fraîchement trépassée dont chaque objet était encombré d’histoires à tiroir et à rallonge, souvenirs figés ou enjolivés qui vous balladent aux quatre coins du monde, anecdotes mille fois ressassées, de celles qu’on vous inflige au moment où vous vous apprêtiez justement à prendre congé, et dont les détails, parfois inédits, vous retiennent jusque sur le pas de la porte. Tout cela était beaucoup trop compliqué pour une vie moderne qui exige surtout des liquidités. L’héritier avait en effet le projet de se faire construire une maison d’architecte certes coûteuse, mais élégante et fonctionnelle. C’est ce qu’il essayait de nous raconter avec effusion mais son récit était souvent interrompu par les explications digressives dont il assommait l’antiquaire lorsque ce dernier lui demandait des précisions sur la provenance de certains objets. Paradoxalement, l’urgence de cette liquidation l’inclinait à un bavardage intarissable, comme s’il lui fallait vider son sac pour garnir sa bourse.

Nullement exaspéré, l’antiquaire absorbait le flot de paroles avec un intérêt courtois, car il savait que ce genre d’homme comptera bientôt parmi ses clients. Dans quelques années, une fois repu des surfaces satinées et des lignes sans bavure de sa nouvelle demeure, une fois remis à flot dans ses comptes surtout, il se mettra en quête de profondeur. Et c’est dans la patine des objets qui ont vécu qu’il viendra chercher, telle une denrée contenue, le facteur temps dont le fil, malgré sa propension au bavardage, aura été rompu par cette vente. Il cherchera des objets au pedigree certifié par des professionnels plus ou moins scrupuleux, des oeuvres inscrites dans l’histoire qui ont le bon goût de ne pas en faire.

L’antiquaire flânait. Il ouvrait et refermait les tiroirs, tâtait les objets, les soulevait parfois, puis les reposait très méticuleusement au même endroit. Son oreille était peut-être distraite, mais ses mains gardaient le contact. C’était presqu’un tic cette façon qu’il avait de replacer les objets comme on rajuste une tenue.

- Qui est ce « SAM » ? demanda-t-il en retournant le petit tableau comme s’il espérait trouver la réponse au verso.
- Sam ? Eh bien c’est l’ami de Bakou dont je vous parlais tout à l’heure, celui dont elle m’a tant rebattu les oreilles. Ce tableau, elle l’appelait « Le Bakou », parfois « Mon petit Orient ». A partir de ce tableau, elle se remémorait les promenades faites avec Sam. Elle parlait souvent de la librairie dans l’avenue bordée de platanes ; elle me décrivait l’itinéraire pour s’y rendre depuis le square, mais je m’y perdais, c’était hors champ. Vous savez, elle divaguait un peu la grand-mère à la fin. A la fin, tout ce qu’elle faisait ou voyait la ramenait à Sam : Sam aurait apprécié ce film, Sam lui avait fait découvrir tel écrivain ou tel peintre, Sam non plus, n’aimait pas le caviar, Sam adorait entendre parler l’italien... C’était devenu une obsession, elle voulait même qu’on lui épluche son orange en spirale comme Sam qui savait si bien le faire !
- Oui, mais cette signature, c’était quoi son vrai nom à Sam : Samuel, Samir,... [2] ? Elle ne vous l’a pas dit ?
- Aucune idée, elle l’appelait Sam, c’est tout. Je n’ai jamais cherché à en savoir plus vu qu’elle m’en disait déjà tant.
- Alors, si je comprends bien, votre grand-mère a bien connu le peintre, elle vous en a beaucoup parlé, mais vous ne savez pas qui il était.

Le soupçon de panique qui surgit à l’évocation de ce gouffre d’ignorance fit vaciller le rêve. C’était un caillou jeté dans la mare, ouvrant la surface du miroir sur l’abîme. Le rêve menaçait de tourner au cauchemar. J’ai failli me réveiller !

Un épisode a dû m’échapper alors. Quand j’ai replongé dans le sommeil, l’héritier avait disparu et l’entrepôt avait rapetissé pour devenir la réserve ou arrière boutique d’une galerie. L’antiquaire faisait des allers et retours vers la salle d’exposition : il traversait l’épais rideau de velours rouge qui séparait les deux espaces, en transportant des objets, parfois un simple bout de papier. A chacun de ses passages, une brassée de lumière envahissait le réduit et j’apercevais la vitrine donnant sur rue. Puis le rideau retombait et on replongeait dans la pénombre. Le petit tableau était encore là. Je le voyais dans cet éclairage alternatif, tantôt comme un banal tableau d’amateur, tantôt comme l’oeuvre d’un personnage sophistiqué qui trouve un malin plaisir à déjouer les clichés attendus sur l’Orient. L’antiquaire ronchonnait, j’essayais de lui remonter le moral :

- La tache bleue du ciel pourrait bien s’assortir avec vos céramiques koufiques, et puis les beiges et les gris avec le meuble en marquetterie, vous ne trouvez pas ?
- C’est bien son seul mérite, parce que franchement, qui peut croire à l’hypothèse d’un tableau orientaliste ?
- Je croyais que vous l’aviez cru.
- Bah !
- Il a pourtant bien dit que c’est une vue de Bakou.
- Je ne demande qu’à le croire, mais où est le fort ? Où est le port ? Il n’y a même pas un bout de minaret dans ce fichu tableau ! Où sont les Perses, les Arméniens et les Tatares décrits par Dumas [3] ?
- Eh bien ce n’est pas le Bakou d’Alexandre Dumas, c’est autre chose, un autre temps, un autre regard. J’imagine que Bakou ne se résume pas au fort et au port. Est-ce que vous voyez la Tour Eiffel à tous les coins de rue de Paris vous ? Bakou a bien le droit d’être une ville comme les autres.
- C’est bien là le problème...
- Tenez, voilà quelque chose qui vous fera plaisir. Vous voyez la petite silhouette qui est à l’entrée de la rue, là ? Regardez la tournure sinueuse de la touche de noir qui forme sa coiffure : n’est-ce pas le mouvement de torsion qu’on donne aux turbans ?
- Difficile de se prononcer.
- Il me semble à moi que c’est un turban.
- Votre turban, je le trouve un peu subliminal, mais si vous y tenez...
- Si ça ne tenait qu’à moi je vous planterais le Combat du Giaour et du Pacha au milieu du carrefour, comme ça vous seriez content. Mais vous voyez bien que ça ne va pas dans le décor.
- Oui, ça ne va pas, le décor.
- Allez, ne vous en faites pas, les tableaux orientalistes sont tellement demandés en ce moment que les amateurs sont prêts à se raccrocher à n’importe quoi pour y croire, exactement comme vous l’avez fait [4].
- Humm...
- Et puis il faut bien renouveler le genre. Au lieu de vous morfondre, vous devriez avoir l’audace d’assumer un rôle novateur. Présenter ce tableau comme orientaliste, c’est pulvériser les limites du genre.
- La belle affaire ! Ce serait scier la branche sur laquelle je me tiens.
- Pas tout à fait, il reste une catégorie, purement nominale. C’est l’essentiel [5].
- Vous oubliez que je suis antiquaire, je ne fais pas de l’art conceptuel, moi !
- Soit, continuez comme ça, bientôt vous vendrez des cartes postales.

Pour le coup, il était furieux. Furieux ! Il s’est levé brusquement, m’a repris le tableau des mains, puis il est parti bricoler dans sa galerie en me laissant seule dans l’obscurité. C’était triste et cocasse. Confinée, j’éprouvais malgré tout, une certaine jouissance à l’avoir poussé hors de ses gonds. Je l’entendais remuer de l’autre côté du rideau, je savais qu’il travaillait à ses arrangements, ses « quatuors » comme il disait. Je le voyais comme si j’y étais, je le connaissais par coeur.

Quelle que soit l’importance des stocks dont il disposait, l’antiquaire y choisissait 4 objets, ni plus ni moins. Sa stratégie était de créer un compromis entre rareté et cohérence. C’est qu’il ne voulait pour rien au monde passer pour un vulgaire brocanteur. Il fixait d’abord son choix sur la meilleure pièce de la collection puis, par un jeu d’associations plus ou moins intuitif, cherchait 3 autres pièces avec lesquelles il pourrait assortir la première de façon à ce qu’elles se mettent mutuellement en valeur. Ensuite, il exposait cet ensemble dans sa galerie. La configuration de son espace d’exposition lui permettait de présenter simultanément 3 ensembles sans que ceux ci n’interfèrent trop les uns avec les autres. La zone réservée à son bureau formait un quatrième pôle dans l’espace.

Le rêve s’attardait sur des considérations méthodologiques : pourquoi 4 objets plutôt que 3, 6 ou 7 ? La raison ultime, arbitraire du sort, fut promptement écartée pour son manque d’intérêt. D’ailleurs l’antiquaire préférait s’étendre sur les justifications a posteriori qui lui permettaient d’assumer cette fatalité comme un choix délibéré. Ainsi élevait-il sa manie au rang de méthode en l’expliquant par une théorie du défi. Il trouvait que disposer 4 éléments était la chose la plus difficile qui soit. Cette contrainte lui paraissait stimulante du point de vue compositionnel car elle l’obligeait à inventer nombre de ruses pour créer l’harmonie tout en évitant la symétrie. Il méprisait le principe du nombre impair, harmonie du pauvre, tout juste bon pour les fleuristes. Les ensembles impairs trouvent trop facilement un centre dans l’objet surnuméraire, c’est lourd, c’est totalisant, ça retourne à l’unité et tue l’individualité de chaque élément, jugeait-il avec la plus parfaite mauvaise foi. Tandis que le 4, ah ! le 4 ! Quel joli nombre ! Le plus petit multiple de la paire, le croquignolet, le carré, le divisé, le réfléchi, le seuil de l’abyme... quelle excitation de défier cette double symétrie abyssale ! Le 4 c’est retors, c’est une gageure et un réservoir de possibles prodigieux qui le mettait presque en extase. Son second principe était qu’une composition digne de ce nom doit trouver son centre de gravité en dehors des unités qui la constituent ; dès lors, la distance entre les éléments n’est plus une zone morte de convention, le vide devient un agent actif, aussi déterminant que la taille, la couleur et la forme des éléments.

Aussi fumeuse et discutable que fut sa théorie du quatuor, le désir d’en démontrer la validité avait au moins le mérite de pousser l’antiquaire à faire preuve d’une grande exigence dans l’élaboration de ses compositions, ce qui finissait bien par produire quelques réussites de temps en temps.

Il arrivait, parfois, qu’un de ces quatuors soit suffisamment attachant pour qu’un acheteur veuille emporter l’ensemble. C’était alors un motif de grande satisfaction pour l’antiquaire qui, à l’instar de ceux dont le travail touche de près ou de loin à la sphère de l’art, cultivait en sourdine l’ambition d’être lui aussi un artiste et même un méta-artiste puisque son talent consistait à créer d’heureuses combinaisons avec des oeuvres qui sans lui, n’auraient jamais révélé toute leur valeur. Cependant, sachant qu’une telle prétention est incompatible avec son commerce, il réservait les manifestations de sa petite fierté à la pénombre de son arrière boutique, là où, précisément, je me trouvais confinée. En effet, s’il avait fallu qu’il s’encombre du droit moral de l’auteur sur l’intégrité de ses compositions, il lui aurait été difficile de vendre les pièces à l’unité quand son quatuor d’objets n’avait pas l’heur d’emballer suffisamment le client. Après tout, je suis un commerçant se disait-il, et c’est déjà bien heureux que je puisse m’amuser un peu avec la marchandise au passage [6].

Après avoir croupi dans cette atmosphère d’investigation qui semblait vouloir se prolonger indéfiniment, le rêve s’est d’un seul coup accéléré. Un type est entré dans la galerie, il a acheté le tableau et puis il est parti, tout content.

L’antiquaire était de retour dans la réserve, encore une fois, démoralisé. Il n’était plus fâché, il me parlait à nouveau :

- Il a emporté « le Bakou ».
- Je sais.
- Il n’a même pas discuté le prix !
- Le tableau devait bien lui plaire.
- C’est à peine s’il écoutait mon petit laïus sur Sam et Bakou, il disait « oui, oui », il hochait la tête et il souriait. Tout le temps, il souriait.
- Peut-être savait-il qui est Sam, peut-être reconnaissait-il un coin de Bakou. Il connaissait la valeur du tableau.
- Il savait ! Il a dû bien se moquer de moi. A l’heure qu’il est il doit encore en rire.
- Peut-être pas. Si ça ce trouve, il n’en savait rien et se fichait de vos explications ; il aimait simplement le tableau.
- En tout cas, il avait l’air content.
- Oui, il avait l’air content.
- Mais enfin, qu’est-ce qu’il avait ce tableau pour valoir un tel contentement ?

[1Obeid Zâkâni, Traité de la joie de coeur, traduit du persan par Jalal Alavinia, Lettres persanes, Paris, 2005.

[2Au réveil, en repensant à l’ambiguïté de Sam, la première chose qui m’est revenue à l’esprit, était bien sûr le livre de Tom Reiss, L’Orientaliste. Il était encore sur ma table de chevet, sous la petite pile des livres lus, en attente de rangement. Les romans ou essais que j’avais avalés entre temps n’avaient pas réussi à faire passer le goût de cet ouvrage. L’auteur y entreprend une enquête très fouillée pour établir la véritable identité de Kurban Saïd et Essad Bey qui sont les noms de plume d’un seul et même personnage, Lev Nussimbaum (1905-1942), un juif d’Azerbaïdjan qui a fui Bakou à l’arrivée des bolchéviks pour s’installer à Berlin en se présentant comme un orientaliste mahométan. Tom Reiss mêle son histoire personnelle, le récit de son enquête, et la biographie de Lev Nussimbaum. Ce faisant, il retrace l’histoire du Proche et Moyen Orient et de l’orientalisme depuis l’époque victorienne. Pour les besoins de son enquête, Tom Reiss a voyagé, rencontré des témoins, des oncles et des vieilles dames, qui lui ont parfois livré des valises entières de documents. C’est un livre à « tiroirs et rallonges » qui laisse tout le temps planer un doute sur la dose d’affabulation ou d’objectivité avec laquelle Lev Nussimbaum décrivait Bakou et l’Orient en général.
Tom Reiss, L’Orientaliste, traduit de l’américain par Françoise Jaouën, Buchet &Chastel, 2006 (Random House, 2005 pour la version originale)

[3Alexandre Dumas, Le Caucase, chapitres XXII à XXIV, Bakou (récit du voyage effectué en Russie et au Caucase de 1858 à 1859), texte intégral sur le site de la Bibliothèque Dumas.

[4Au début des années 80, dans une galerie d’art conceptuel avec laquelle j’ai parfois travaillé, j’avais sympathisé avec un jeune homme marocain qui fréquentait la même galerie. Un jour, il m’a dit qu’il travaillait pour un courtier et qu’il cherchait des tableaux orientalistes, il m’a demandé si je n’en connaissais pas à vendre dans mon entourage. Je lui ai demandé : qu’est-ce que tu entends par tableau orientaliste ? Il m’a dit : n’importe quoi qui ait un rapport avec l’Orient.

[5Tzvetan Todorov, préface de l’édition française à L’Orientalisme, d’Edward W. Said :

« Le concept est la première arme dans la soumission d’autrui -car il le transforme en objet (alors que le sujet ne se réduit pas au concept) : délimiter un objet comme "l’Orient" ou "l’Arabe" est déjà un acte de violence. Ce geste est si lourd de signification qu’il neutralise en fait la valeur du prédicat qu’on ajoutera : "l’Arabe est paresseux" est un énoncé raciste, mais "l’Arabe est travailleur" l’est presque tout autant : l’essentiel est de pouvoir ainsi parler de "l’Arabe". Les actes du savant ont ici une portée politique inévitable (la même chose est vraie, à des degrés différents, de toute connaissance historique) ; et, de ce fait l’Orientalisme est explicitement engagé dans un combat, mais son mérite est de nous faire voir que ne sont pas moins fortement engagés les savants et les érudits qui, naguère comme aujourd’hui, se croient au-dessus de tout choix idéologique. »

Edward W. Said, L’Orientalisme, l’Orient créé par l’Occident, traduit de l’américain par Catherine Malamoud, Edition du Seuil, 1980-2005

[6L’exposition que la galerie J.Kugel avait réalisée avec la collaboration d’ Axel Vervoordt cet automne en Hommage à Nicolas Landeau (18887-1979) mettait l’accent sur l’originalité des dispositions et associations d’objets réalisées par ce « prince des antiquaires ». L’exposition reconstituait pour une bonne part, les dispositions orginales de la collection Landeau à partir de documents photographiques. Lorsque j’ai visité cette exposition, un homme qui s’est présenté plus tard comme un confrère, un antiquaire exerçant en Bavière je crois, discutait avec la responsable de la galerie et bien indiscrètement, je prêtais l’oreille à leur conversation. Il utilisait beaucoup de superlatifs pour essayer d’exprimer l’ineffable qualité de cette exposition et louait les talents d’Axel Vervoordt qui s’était chargé de l’installation. A un moment, il a tout de même glissé que certains confrères abusaient des artifices de l’installation, que cela confinait parfois à la supercherie, quand cela débouchait sur une surévaluation des qualités intrinsèques d’un objet. Il a néanmoins précisé aussitôt qu’on ne pouvait certainement pas faire un tel reproche à l’exposition de la collection Landeau qui était à ses yeux exemplaire. Lorsqu’il est parti, j’ai bavardé à mon tour avec la responsable de la galerie Kugel. Je voulais savoir si, dans la mesure où l’exposition mettait l’accent sur la qualité des dispositions réalisées par Nicolas Landeau, ils vendaient les pièces sous forme d’ensembles pré-installés ou s’ils consentaient à les vendre à l’unité. Elle m’a répondu qu’ils pratiquaient les deux formes de vente. Par exemple, un ensemble de rayonnages présentant une composition de coupes et de vases anciens, meuble compris, avait été vendu comme un tout, mais c’était là quelque chose d’assez rare. La majorité des pièces sont vendues à l’unité.


 
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