Peut-on être joué par la peinture ?
Cela se passait avant-hier, dans une salle du Kröller-Müller Museum. Des rires et des éclats de voix m’ont attirée dans la salle d’à côté. Voilà un couple qui se découvre (ou re-découvre ?) une complicité à la faveur d’une rencontre fortuite avec un tableau de Ellsworth Kelly.
Qui a remarqué en premier cette coïncidence des couleurs ? Le couple lui même, le gardien du musée qui s’en amusait aussi, ou bien l’autre visiteur qui était déjà entrain de photographier ? Je ne saurais le dire, j’arrivais, alors que la relation était déjà établie. J’imagine que comme dans la description du processus intersubjectif donnée par Lacan, il fallait le regard d’une tierce personne pour souligner l’identité entre le couple et l’image, et puis le regard d’un second tiers pour confirmer le regard du premier. Mais à ma connaissance, Lacan n’a pas envisagé ce cas de figure bi-dyadique. Est-ce qu’un des éléments du couple peut se constituer comme l’autre d’une entité dont il fait partie ?
Tout à l’excitation de sa récente découverte, le couple a bien voulu prolonger cette petite séance de pose afin que je les photographie aussi. Le gardien du musée s’est improvisé pour l’occasion, une vocation de metteur en scène ; il plaçait le couple tantôt en ton sur ton, tantôt en complémentarité par rapport au tableau. La pose est un peu guindée, car le couple, on le comprend, ne voulait pas que l’on photographie leurs visages. On ne sait jamais, avec des indiscrètes dans mon genre qui iraient publier leur photo sur le web... Mais entre les prises de vue, il fallait les voir ! ils ne se lassaient pas de se regarder l’un l’autre et d’éclater de rire.
Nous avons été témoins d’un beau moment, un mariage célébré par la peinture, et je souhaite une belle lune de miel à ce couple enjoué.