Plus qu’à une avant première du spectacle Le Cas de Sophie K, qui sera créé prochainement au Festival d’Avignon, c’est à une répétition interactive que nous proposent d’assister la Compagnie TF2 de Jean François Peyret et le groupe de travail ELASTIC dirigé par Annie Gentes à l’ENST :
"Le concept en est tout à fait original puisqu’il permet de suivre sous l’oeil d’une caméra mobile le travail des comédiens et du metteur en scène d’une pièce de théâtre et de le diffuser en direct sur un site Web. Chaque internaute peut ainsi réagir et faire des propositions d’évolution du spectacle." nous explique Annie Gentes.
Cette répétition aura lieu au Centre Culturel Suédois le 22 juin de 20h à 22h. Pour se connecter et participer, c’est ici qu’il faut se loguer.
Le dispositif web a été conçu par Agnès de Cayeux qui avait déjà mis en place, avec Olivier Chauvin, sous forme locale, un dispositif similaire pour le Hamlet Machine de Heiner Müller mise en scène par Clyde Chabot et la compagnie de la communauté inavouable :
Hamlet Machine mise en scène par Clyde Chabot(communiqué, rtf)
"Hamlet-machine a été écrit en 1977 par Heiner Müller qui prévoyait la faillite des idéologies politiques et du communisme. Hamlet et Ophélie entrent dans une ère glaciaire, marchande et médiatique. L’auteur invente avec ce texte une écriture polysémique d’une densité et d’une poésie extrêmes. L’énigme de cette écriture a conduit Clyde Chabot depuis 2000 à développer un dispositif qui propose aux acteurs et spectateurs d’explorer personnellement et collectivement le sens et les échos de cette pièce aujourd’hui.
Le principe
À partir de ce qu’il voit et entend, le spectateur peut écrire sur un ordinateur relié à un écran, diffuser l’extrait d’un CD qu’il aura apporté ou encore manipuler une caméra avec retour sur un moniteur vidéo. Le spectateur est libre d’occuper une position d’observation ou d’action. Deux acteurs, un musicien, un vidéaste et - à partir de cette année - un informaticien, peuvent à tout moment réinventer leur jeu ou leur activité en fonction de ces interventions. Le sens du texte se réinvente sans cesse selon le contexte littéraire, musical et vidéo dans lequel il intervient. Cette création interroge aussi la possibilité concrète et sensible de réalisation d’une communauté éphémère."
Un de mes étudiants, Florian Fouché (fort brillant soit dit au passage), qui avait assisté à une représentation de Hamlet Machine m’avait raconté que c’était quelque chose d’assez étonnant. Loin de se réduire à une interaction presse-bouton ou à une figuration plus ou moins réactive, la participation du spectateur est à la mesure de son investissement. Souvent, les dispositifs participatifs font du spectateur un simple exécutant. Dans ce cas, selon que le spectateur apporte une contribution plus ou moins importante ou intéressante, la situation peut presque s’inverser pourvu que les acteurs et les autres opérateurs soient disposés à modifier leur jeu en fonction de ce que le spectateur apporte. Selon Florian, le spectateur pouvait s’il le voulait, se mêler aux acteurs. L’état de disponibilité qu’une telle méthode de travail demande aux acteurs est peut-être l’élément le plus remarquable :
"Les acteurs évoluent dans cette zone fluctuante avec un calme et une écoute extrêmes, solides sur leurs positions et parés à l’improvisation, libres de reprendre ou non les propositions des spectateurs au vol." ( Maïa Bouteillet, Libération, 9 février 2001)
La contrepartie, c’est que le spectateur ne peut pas se contenter d’arriver les mains dans les poches et de réagir à la légère. Pour interagir et contribuer de façon consistante au déroulement du spectacle, il doit adopter une démarche plus studieuse. Car si les acteurs ont le mérite d’être ouverts à l’improvisation, ils sont déjà imbibés par l’univers littéraire, visuel et musical qui constitue le matériau du spectacle. Pour le spectateur qui débarque en fin de parcours, c’est plus difficile d’entrer dans le jeu, car il doit d’abord se documenter.
Par exemple, avant de participer à la répétition du 22 juin, on peut s’intéresser au personnage de Sophie Kovalevskaïa. On trouvera une bonne biographie dans la préface que Michel Niqueux a rédigé pour sa tracuction de Une Nihiliste où il résume également l’histoire du nihilisme russe. Lui même, dans sa préface recommande la biographie rédigée par Ann Hibner Koblitz A convergence of Lives : Sofia Kovaleskaia, Scientist, Writer, Revolutionary (Rutgers University Press, 1993). Mais on peut surtout saluer l’effort de La Compagnie TF2 de Jean François Peyret qui nous facilite la tâche en mettant leurs documents de travail en ligne :
Matériau dramaturgique : extraits de textes,
Partitions : première et seconde mouture du texte-partition du spectacle,
Captations (vidéos)
Matériaux musique (piano)
Est-ce que j’aurai le temps de me plonger dans tout ce matériau pour apporter un feed-back intéressant ? A distance, l’assimilation est toujours plus lente ; même avec une connexion haut débit, les éléments auxquels on accède paraissent un peu déconnectés. La seule chose que je suis sûre de pouvoir faire, parce que je l’ai déjà fait toute ma vie, c’est de jouer ce passage qui n’a pas eu le bonheur d’être retenu parmi les matériaux dramaturgiques :
"elle a toujours l’impression qu’il lui faut rester seule pour pouvoir réfléchir sérieusement. Et dès qu’on la laisse en paix, elle se met effectivement à réfléchir, c’est-à-dire à rêver fébrilement, passionnément." Une nihiliste, p.120
Communiqué : Le Cas de Sophie K
"Le théâtre ici n’est pas au service de l’illusion biographique : nous avons des doutes, plus que des doutes, sur la validité (artistique ou non) de tout projet biographique, projet d’une intenable maîtrise de la part du biographe qui veut qu’une vie obéisse à un plan, qu’une vie soit de part en part intelligible. Nous ne voulons pas réintroduire sournoisement un déterminisme à qui la science à cette époque est en traind e tordre le cou. Nous ne posons pas que la vie de cette femme disparue il y a 125 ans, ni que son œuvre mathématique par nature hors des prises d’un théâtre peu au fait des équations aux dérivées partielles ou des intégrales abéliennes dégénérées nous soient intelligibles et que nous pourrions rapprocher Sophie K de nous ; non, nous chercherons plutôt à nous approcher d’elle. Ce travail théâtral est un travail d’approche par les moyens propres du théâtre (trois comédiennes et un comédien en quête de Sophie K) prolongés par l’apport d’autres pratiques artistiques, comme ceux de la vidéo, de la musique électro-acoustique ou internet."
Le 14 Juillet 2005 Jean-François Peyret sera l’invité de
Radio France : Penseurs de théâtre (par Bruno Tackels, réalisation : Anne Fleury)
Quelques oeuvres d’Agnès de Cayeux :
Not to be,
In my room,
I’m just married
Hamlet Machine par la compagnie de la communauté inavouable : diaporama
Agenda des prochains spectacles de la Compagnie de la communauté inavouable :
Le corps des rivières : 3 au 13 juillet, Théâtre du Colombier, Bagnolet,
Comment le corps est atteint, 8 septempbre, La Chaufferie, Saint Denis.
Jean-Luc Nancy à propos de "La communauté inavouable" de Maurice Blanchot (Remue.net) :
"L’écrivain et le lecteur se font l’un l’autre, et se faisant l’un l’autre, ils se déplacent l’un l’autre et ils se déplacent l’un par rapport à l’autre. Ils n’ont pas quelque chose à se communiquer, ils n’ont pas un message à se transmettre, ce qu’ils partagent, l’écrivain et le lecteur, c’est à dire aussi l’un et l’autre en général dans la communauté, ce qu’ils partagent c’est la puissance et la passion de se communiquer et à ceux qui attendent de l’écriture en ce sens une signification déterminable et communicable."
[-]
"Lorsque Blanchot parle dans la communauté inavouable (éd. Minuit, 1983), du fond sans fond de la communication, il n’y a là aucune acrobatie verbale, aucun mysticisme. Ce fond sans fond de la communication nous savons tous très bien ce que c’est, c’est ce sans fond auquel tout échange aboutit non pas comme à une impasse mais comme à l’ouverture qui est précisément l’ouverture de l’un de sur l’autre ou l’ouverture de l’un à l’autre."