Bon voilà, j’ai lu le texte avec une certaine attention. Il est intéressant. Je me demande s’il faut aller voir les expos "dont on parle" (?) Donc, d’après Isabelle, Hirshorn c’est intéressant. Le spectacle de Gwenaël Morin, on sait pas trop. Par contre, les gens qui boivent dans les canettes de bière décorées du portrait de Le Pen, effectivement c’est plutôt malsain. Mais alors quelle est l’intention de Morin et par ricochet d’Hirshorn dans tout ça ? Isabelle, tu peux expliquer ? Merci. Bernard
Bernard, tu as le don de mettre le couteau dans la plaie ; je veux dire bien sûr, que tu poses de bonnes questions ;)
Je les reprend dans l’ordre.
« Faut-il aller voir les expos dont on parle ? »
Ta question laisse sous-entendre beaucoup d’autres questions.
Les expositions dont on parle sont-elles forcément mauvaises ?
Faut-il parler des expos (même quand on ne les a pas pas vues) ? Qui est « on » ? (les médias, les politiques, les critiques, les artistes, les étudiants, le public ?) Qui a légitimité pour en parler ? Quand n’importe qui peut s’exprimer publiquement sur internet sans l’aval de quiconque, comme je le fais ici, ce « on » englobe des responsabilités à tous les niveaux.
Faut-il boycotter les expos trop médiatiques ? Quelles expos faut-il aller voir ? Suffit-il de les voir ?
Faut-il encore faire des expos ? L’exposition n’est-elle pas comme le soulignait Pierre Leguillon[1] une forme discutable en ce qu’elle suppose l’existence d’un « public » (c’est qu’on commence à douter de son existence) ? Ou bien en ce qu’elle suppose un modèle de relation au public qui doit être dépassé ?
Toutes ces questions se posent, mais je ne veux pas les traiter de façon générale. Selon les cas et selon les contextes, il y aura toujours de bonnes raisons pour faire ou ne pas faire des expositions, pour en parler, ou pour y aller. Pour ma part, je tenais à aller voir l’exposition de Hirschhorn parce que j’avais fait la bêtise de donner un écho au « on » qui en parlait. Tout ça pour une blague potache de chien qui pisse. Ca m’apprendra !
Vu la mauvaise tournure prise par cette affaire, je m’en suis voulue d’avoir ri [2]. Donc, la moindre des choses était d’aller voir l’expo et d’écouter Hirschhorn avec un minimum d’attention et de bienveillance pour faire la part du « on » dit et de ce que j’étais en mesure de voir et d’entendre[3]. Mais tout compte fait, je pense que cette affaire ne méritait pas autre chose qu’une blague. Pour expliquer ça correctement, il faudrait un livre entier, ce qui reviendrait à s’attarder encore plus dans ce bourbier. Non, ça suffit !
« d’après Isabelle, Hirschhorn c’est intéressant » :
Oui, malgré sa confusion et ses contradictions[4], c’est quand-même un artiste intéressant. Il s’agite beaucoup, c’est à la fois sa qualité et son défaut. Je garde de la sympathie pour son travail à cause des cartons que j’aime (même si je n’aime pas la façon dont il les brutalise), à cause du caractère pauvre et « non intimidant » de sa facture et à cause du Schwitters qui transparaît dans son travail. Il a fait quelques pièces que j’ai trouvées très bonnes (Jeu de Paume au début des années 90 puis Munster en 97, et puis son papier peint en parpaing pour 24h Foucault était peut-être moche, mais trop drôle dans le contexte de fausse friche industrielle du Palais de Tokyo, encore ma faiblesse pour les blagues, ça me perdra !). Cela dit, le fait qu’il prenne maintenant pour modèle les étalages que Rodchenko[5] réalisait en 1925 pour présenter le pavillon soviétique à l’exposition des arts décoratifs de Paris , me plaît beaucoup moins. C’est bien le parti-pris de son expo au CCS, et cela montre qu’il est résolu de jouer l’art sur le registre de la propagande. Et c’est à partir de là que les choses se gâtent[6]. Peut-on agiter sur le mode de la propagande une critique de la guerre démocratique qui elle même, utilise la propagande comme ligne de front ?
« les gens qui boivent dans les canettes de bière décorées du portrait de Le Pen, effectivement c’est plutôt malsain »
Le spectacle en lui même, c’était comme aux guignols de l’info, un comédie cynique comme on en voit tous les jours. La mise en scène est bien, rondement menée à la manière brechtienne, les acteurs sont bons, tout va bien. En soi, le fait de distribuer ces canettes n’était pas choquant, c’était cohérent par rapport à l’histoire, ça faisait partie de la « fiction ».
Mais est-ce que tu imagines ? Tenir ça dans la main avec le portrait d’un affreux dessus ! ça brûle les doigts, c’est sale, c’est le genre de choses qu’on lâche vite vite et puis on se lave les mains avec beaucoup de savon. Mais ce qui m’a soufflé, c’est que les gens gardent la canette, et en plus ils boivent ! C’est ça qui est scandaleux. Je n’en reviens toujours pas. Le sens du réel s’écroule en même temps que le symbolique. Dans ces conditions tout est possible ; les pires horreurs. Le passage à l’acte est banalisé. Tout ce que l’exposition veut dénoncer est là en acte.
Mais le problème, c’est que malgré les Hannah Arendt qui sont affichés là haut dans la bibliographie (mais les livres ont évidemment disparu), malgré la mauvaise conscience assénée par le spectacle, malgré l’affiche qui expose un torturé irakien crucifié, malgré les bon sentiments et le dévouement des artistes et des philosophes qui orchestrent tout ceci, les gens ne se rendent pas compte que ce qu’ils touchent, ils le touchent vraiment. Ils boivent de la mauvaise bière gratis, ils collectionnent une relique gratis, et c’est tout ce qui compte. C’est gratis !
« quelle est l’intention de Morin et par ricochet d’Hirshorn dans tout ça ? »
Va savoir ! En tout cas le résultat est nul. Toutes ceci est tranquillement relégué dans une distrayante fiction soigneusement distanciée à laquelle le spectateur apporte sa petite participation.
Saadi disait : « je désespérais de tenir le miroir aux aveugles et de parler aux sourds, quand au fond de l’assistance un énergumène s’est mis à brailler : Oh ! l’Ami était si près de moi et je ne le savais pas ! »[7]
C’est un problème de distance.
[1] « Oublier l’exposition » Art-press, octobre 2000
[2] La légende dit que Napoléon est né avec des dents. Une autre légende dit que Zoroastre est né en riant. A tout prendre, je préfère encore la naissance par le rire que la dent longue.
[3] Conférences de Hirschhorn : à la Sorbonne, le 15 décembre, et à Maison Rouge le 6 janvier.
[4] Lors du débat qui a suivi sa conférence à Maison Rouge le 6 janvier, Hirschhorn reconnaissait qu’il avait eu tort d’accepter une exposition au Centre Culturel Suisse alors qu’il avait déclaré un an avant ne plus vouloir exposer en Suisse. Ensuite, il disait Oui-mais, les pourparlers pour cette exposition avaient commencé il y a deux ans...
[5] A la Sorbonne, Hirschhorn évoquait ses débuts dans le graphisme publicitaire, et son admiration pour le travail de Rodchenko en tant que graphiste et ordonnateur des stands et pavillons soviétiques dans les grandes expositions internationales.
Voir le site de la rétrospective Rodchenko sur le site du MOMA (dommage, en ligne, je ne trouve aucune photo de l’intérieur du pavillon soviétique)
[6] Il n’y a pas de mal à relire le fameux manifeste de l’art prolétarien de 1923 qui contrairement à ce que son nom semble indiquer, est un manifeste anti-politique (et non a-politique). J’en avais reproduit des extraits sur le wiki-artlibre, il y a un an.
[7] Commentaire d’un passage du Coran qui dit « Il est plus près de toi que la carotide »
Si personne n’a perçu la violence distillée par les artistes c’est peut-être que la violence est à ce point intégrée comme mode d’actions et d’échanges dans notre société. Nous l’avons atomisée en multiple facettes pour mieux nous aveugler et nous masquer la matrice qui produit cette entité gobalisante et oppressante.
Donc pour répondre à la question faut il parler des expositions ?
Je répondrai Oui, puisque c’est à cette distance, il me semble, que peut se révéler ce qui ne peut l’être lors de la rencontre ’frontale’, par manque de distance.
La question fondamentale est celle-ci : est-ce qu’un art, autant centré sur l’apparence, sur la forme des choses, sur une réalité de surface que peut l’être l’art occidental, présente une pertinence quelconque vis à vis de notre culture basée sur les systèmes, pour lesquels apparition, émergence, transformation sont des concepts génériques ? La représentation peut-elle coexister avec le constructivisme ? C’est la préoccupation suprême pour l’apparence et la représentation qui a caractérisé l’art occidental et, ainsi, en a fait le serviteur des idéologies, à la fois d’Eglise et d’Etat.
De l’apparence à l’apparition : communication et conscience dans la cybersphère - Roy Ascott
Mais le problème, c’est que malgré les Hannah Arendt qui sont affichés là haut dans la bibliographie (mais les livres ont évidemment disparu), malgré la mauvaise conscience assénée par le spectacle, malgré l’affiche qui expose un torturé irakien crucifié, malgré les bon sentiments et le dévouement des artistes et des philosophes qui orchestrent tout ceci, les gens ne se rendent pas compte que ce qu’ils touchent, ils le touchent vraiment. Ils boivent de la mauvaise bière gratis, ils collectionnent une relique gratis, et c’est tout ce qui compte. C’est gratis !
Oui Isabelle, je suis entièrement d’accord avec ce que tu exprimes, malgré l’affection que tu peux avoir pour Hirschhorn et que je partage également. Que nous avons affaire dans cette affaire là à l’anéantissement même de ce qui peut avoir lieu comme surgissement de vérité (c’est à dire du processus qui y mène). Car rien n’a lieu dans le territoire de l’art tel qu’il s’affiche voulant démontrer la superbe morale de son sacre, sauf cette affiche là précisément : une annonce à la gloire de l’acteur et qui veut entraîner à sa suite des spectateur agis et déférents. Rien n’a lieu sur le terrain de jeu des intérêts non dits, la prise de pouvoir, la jouissance à dominer la question et à soumettre à la question les publics médusés. Jusqu’à la lie, ainsi boivent-ils et pas seulement des yeux, la bière à l’effigie du méchant pointé du doigt, ainsi sont-ils dévorés par les images des méchancetés faites et dénoncées. Mais rien, absolument rien ne se passe sauf effectivement la gratuité, l’acte gratuit, aussi gratuit qu’un crime peut l’être quand il veut s’affirmer libre. C’est très cher payé.
Pour que quelque chose ait lieu, il faut un lieu. C’est à dire se défaire du territoire et du droit de terrifier qui lui est afférant (Territoire = droit de terrifier (jus terrendi), d’après l’étymologie classique, diffusée par l’empereur Justinien. Rapporté par Pierre Legendre, "Jouir du pouvoir, traité de la bureaucratie patriote", editions de Minuit, 1976, p.246). Se défaire du Terroir Contemporain, du Folklore actuel immonde qui s’expose à la face du monde comme culture en raison d’Etat, de contre-Etat et qui trace une Histoire lamentable pleine de pathos, de héros aussi inconséquents que leurs oeuvres. Mais lourdes, bien visibles, bien audibles que ça en est criant et qu’on se boucherait les oreilles, le nez, la bouche et tous les pores pour n’être pas affectés par tant d’objets qui crèvent les yeux.
L’exposition doit, si nous voulons être opérants, conséquents, raisonnables et justes, devenir position. Prendre position sans exposition (cette avancée obscène qui est la marque même de la régression d’une position, quand bien même elle apparaîtrait aux yeux crevés comme une progression).
Position de principe : c’est à dire définie selon une politique de fond, celle dont les choix ne sont pas de façade, mais des choix qui fondent et instituent ce qui est et ce qui a lieu. C’est à dire une technique des langages qui ne prend pas l’actualité pour son propre présent. Technnique qui comprend le passé lointain et le futur aussi lointain. Des racines étymologiques aux ramifications insoupçonnées vers l’infini.
Foin de l’acte qui se veut actuel, actif, réactif et présence au monde : il est immonde de toutes les manières possibles de toutes les étiquettes possibles. Il est l’anéantissement même du présent qui est l’infini du temps, de tous les temps.
Position dans le lieu où "rien n’aura eu lieu que le lieu" (Mallarmé) et où "je est un autre" (Rimbaud). Etre en lieu d’avoir lieu. Position inactuelle sans doute, invisible aux yeux crevés. Et si c’était dans cet invisible là que nous serions opérants ? En tâche de fond. Que révèlent quelques bornes posées là en évidence pour orienter les regards, histoire de mettre la puce à l’oreille. Sussurer quelques mots clefs et qui ouvrent.
L’internet, au fond, procède du lieu de l’événement. Faut voir comme.
Merci Sylvie et Antoine pour la qualité de vos commentaires. Transactiv.exe a bien de la chance de bénéficier de telles contributions.
Après mûre réflexion (trois jours quand même ! encore une fois toutes mes excuses pour cette lenteur) je me dis que pour l’instant, mieux vaut laisser courir le chat de Schrödinger plutôt que de prendre le risque d’ériger son invisibilité même, en affiche.
La question de la distance, on pourrait y revenir (et c’est bien ce qui occupe la transactivation). Je ne suis pas certaine que le "spectateur agi et déférent" dont parle Antoine, celui qui se laisse infliger le spectacle de l’acutalité, manque de distance. Au contraire ! Il en a peut-être trop. Du moins, il le présume. Il se croit à distance (ironique ou fictionnelle) de ce qui le touche. Il se croit à l’abri. D’où sa bonhomie, sa condescendance à se laisser agir. Et pourtant, il est touché, et pourtant, il boit.
Mais la distance n’est pas donnée par une présomption d’ironie ou de fantaisie, elle se construit. En cela, il me semble que la responsabilité du spectateur n’est pas moindre que celle de l’artiste ; il n’y a aucune raison d’attendre plus de lucidité de la part de l’un que de l’autre.
Oui je suis d’accord avec toi Isabelle sur l’idée de construction partagée de la distance, enfin je crois :). La distance est une question d’appréciation tout à fait relative qui permet à chacun de tenter de se positionner vis à vis des autres. On voit toute l’ambivalence de cette notion de distance qui quand elle apparait importante entre un individu et un "évènement" peut-être à la fois interprétée comme un manque d’implication du dit individu, voire de son inconséquence mais d’un autre point de vue on peut voir dans cette apparente grande distance la volonté de masquer une trop grande proximité,voire un malaise à l’exprimer. La peur d’être mis à distance d’un groupe fait que nous agissons plus souvent en fonction de ce que nous imaginons des attentes du groupe qu’en fonction de nos propres peurs et désirs. S’identifier à un groupe autorise une mise à distance suffisante pour créer l’illusion de ne pas être seulement soit.
Les individus d’un groupe en se concentrant sur la représentation du groupe produisent une image qui fait écran entre eux et ce qui se passe, un écran qui permet à chacun de se projeter hors de son propre isolement et de sa finitude, un écran qui permet de créér une distance entre les individus et leur perception de la réalité.
La construction de la distance renvoit à l’ altérité qui ne peut s’affranchir de l’écran mais c’est peut-être là qu’il faut oeuvrer, c’est à dire sur l’ambivalence de l’écran et les problèmes de confusion qu’elle induit entre des représentations potentielles de la réalité et leur contexte d’apparition.
Merci à Netlex, transactiveur honoris causa, qui signalait la semaine dernière, l’article de Hans Joachim-Müller, paru dans le Kunstbulletin.ch du mois de mars, « Kunst und Politik : Bruchstücke zu einer Theorie der Unverträglichkeit ».
Le peu que j’en ai saisi (avec l’expédient du Babel Fish qui vaut presque un Débilitron) laisse comprendre que Hans-Joachim Müller prend pour point de départ la récente exposition de Hirschhorn au Centre Culturel Suisse, qu’il remet en perspective par rapport à d’autres démarches artistiques (de Jenny Holzer ou Beuys, jusqu’à Courbet) pour interroger les raisons de l’incompatibilité de l’art et de la politique qui ne peuvent qu’entretenir un dialogue de sourd et nourrir des malentendus. Il évoque également Peter Wiebel à propos de « l’exposition discursive ». Je n’ose pas m’aventurer plus avant dans les bribes d’idées que j’ai pu intercepter, mais l’article est assez développé et semble plutôt sévère envers le « défi infantile » lancé par Hirschhorn.
J’enrage d’être à ce point nulle en allemand, que le meilleur de cet article (la finesse de son argumentation) m’échappe. Il va falloir trouver un germaniste ayant un minimum de familiarité avec la théorie de l’art, et de surcroît assez patient pour me gratifier de ses explications. Y en a-t-il un dans la salle ?
Par ailleurs, Netlex qui avait donné sur son blog un écho à notre article « Hirschhorn-Democracy », posait cette question :Qu’est-ce que l’art du « citoyen du marché » ?
Ceux qui ont lu, auront compris que la question de Netlex reprend et prolonge celle d’Alain Badiou citée en note de bas de page de mon article (« qu’est-ce que le citoyen du marché ? »).
Si l’on pouvait voir un paradoxe insurmontable dans la formulation d’Alain Badiou qui oppose la notion de citoyen au rôle de consommateur que le marché assigne au sujet social, la question de Netlex apparaît plutôt comme un défi : en effet, parler de l’art du citoyen du marché introduit une forme de plasticité ou de savoir-faire, l’idée que le sujet aurait une marge de manoeuvre pour infléchir une situation dont il est l’otage.
Car il est bien évident que nul n’échappe au marché, même à se réfugier dans la brousse pour s’enfoncer la tête dans le sable. C’est d’ailleurs sur cette réalité que débouchait le colloque de 2001 sur la provocation dans l’art contemporain. Mais sans doute Philippe Dagen, qui prononçait le discours de clôture du colloque, voulait-il ménager son auditoire lorsqu’il estompait la condition présente de l’art, en la présentant comme un futur probable :
« Il se pourrait plus encore que ces affaires, dans lesquelles une censure moralisatrice s’oppose à une provocation qui ne s’ignore pas -qui prend parfois tous les risques- ne semblent bientôt mineures en comparaison d’une autre censure, autrement puissante et radicale : celle qui s’opère en amont, au nom des lois du marché.[-] La censure, dans ce cas, ne procéderait plus par la protestation, mais par le silence »[1]
Les artistes qui voient leurs projets tués dans l’oeuf faute de lieu d’accueil ou de financement connaissent ce genre de censure depuis longtemps, ils savent également que la provocation est un ingrédient qui permet souvent de faire sauter le verrou de la censure silencieuse du marché tant cette dernière en est devenue friande pour nourrir son grand spectacle. On pourrait dire que la provocation est devenue l’art du marché.
Alors peut-être que l’art du citoyen du marché n’est pas ce que le marché appelle de l’art.
Mon petit doigt me dit que l’art du citoyen du marché aurait quelque chose à voir avec le Copyleft qui agit non pas contre le marché ni en dehors, mais dans le marché pour en modérer l’allure tout en y ménageant des espaces d’échanges vivants. Bien sûr, ce n’est là qu’un élément de réponse, disons une première condition.
Reste la « tâche de fond » (pour reprendre l’expression d’Antoine) : trouver le chemin d’un désir qui ne soit pas totalement manipulé et aliéné par les impératifs du marché. C’est difficile, sachant qu’il n’y a pas de maîtrise en la matière, que le désir est précisément ce qui appartient (et nous fait appartenir) à l’autre ; donc, il faut se constituer comme l’autre de l’autre pour donner consistance à un désir autre. Cela ne peut pas être l’oeuvre d’un artiste ou d’un héros, c’est une tâche collective et intersubjective, l’oeuvre d’un réseau connecté au réseau. Ce n’est ni une posture, ni une attitude, c’est une disposition qui exige de l’écoute, de l’attention et du temps, dans un monde emporté par la frénésie du faire et de la recherche de soi.
Mais ce qui m’étonne, c’est que Netlex qui a déjà compris tout cela depuis belle lurette, pose une question aussi frontale en me mettant dans l’embarras d’avoir à fournir des méta-explications dont la lourdeur programmatique m’effraie.
Ah ! je comprends... C’était une provocation d’artiste ;-)
[1] La provocation, une dimension de l’art contemporain [XIX-XXe siècles], actes du colloque organisé par le CIRHAC- Université de Paris-1, sous la présidence d’honneur de Madame José Vovelle, et la direction d’Eric Darragon, Publications de la Sorbonne, 2004, p.331
Making things public, atmospheres of democracy
C’est le titre de la nouvelle exposition conçue par Bruno Latour et Peter Weibel qui se déroule du 20 mars jusqu’au 7 août au ZKM de Karlsruhe.
Je n’ai pas encore vu, mais d’après ce que j’en lis, la "Chose" est énorme et se présente en quatre couches :
le discours curatorial en 15 chapitres,
la serre-matrice, une méta-installation interactive de Michel Jaffrennou et Thierry Coduys
les documents ou installations d’artistes présentés en 13 sections
l’« ambiance de démocratie », sorte de « fantôme du public », produite par la méta-installation.
Malgré diverses présentations lues en ligne ou dans la presse, je reste perplexe et ne parviens pas à me faire une idée de ce à quoi peut ressembler cette exposition. Description et interprétation s’emmêlent de façon inextricable. Est-ce un ludo-land pédagogique sur la démocratie, ou « des concepts élevés en trois dimensions » (selon l’expression utilisée par Bruno Latour dans l’entretien qu’il accorde à Beaux Arts Magazine) ?
Il faudra aller voir...
En tout cas, je comprends pourquoi Thomas Hirschhorn ressentait une certaine urgence à faire son exposition Swiss-Swiss-Democracy au Centre Culturel Suisse.
C’est tout de même étrange, une expo dont il est impossible de se faire une idée même approximative. Est-ce parce qu’elle est d’avance surinvestie de discours ou bien parce qu’elle ne ressemble à aucune autre expo ?
Le site de Bruno Latour met quelques photos en ligne, le site du ZKM également. Mais je n’ai encore trouvé aucun compte-rendu ou description venant d’un critique ou d’un visiteur (sinon des articles qui se contentent d’un copier-coller du dossier de presse).
En regardant certaines photos qui montrent des vues de l’expo avec ses cimaises amovibles en plexiglas, on se dit que cela ressemble à n’importe quelle expo montée dans une salle des fêtes municipale, avec le chic de la lumière interactive et les jeux de transparence en plus. En regardant d’autres photos, on se demande s’il ne s’agit pas d’un jeu du type Demgame que le gouvernement britannique a mis en ligne pour apprendre aux enfant à jouer à la démocratie (via Viewropa).
A voir cette floraison d’expositions et de jeux qui relèguent l’ exercice de la démocratie dans une fiction virtuelle ou dans le champ clos de l’art, on peut se demander si en réalité, l’exercice de la démocratie n’est pas devenu quelque chose de tellement opaque qu’il faut l’observer dans le microcosme didactique d’une éprouvette pour croire encore à son existence.
Cependant, en explorant la base de données de travaux en ligne qui s’enrichit progressivement à partir du projet Fair Assembly proposé par Steve Dietz pour l’exposition du ZKM, on est plutôt enclins à considérer l’hypothèse que nous ne savons encore pas grand chose de la démocratie lorsqu’il s’agit de la transposer dans les conditions démographiques et transnationales d’aujourd’hui. Ces simulations seraient alors autant d’exercices nécessaires pour inventer les conditions d’une démocratie encore balbutiante.
Réflexions sur le politique et la représentation de l’espace public avec le philosophe Bruno Latour, commissaire de l’exposition « Making things public » au centre d’art ZKM de Karlsruhe.
Merci beaucoup Sylvie !
Je vais écouter ça dès que j’aurais installé les codec (ma machine est perpétuellement en travaux depuis quelques mois). Et puis je ne desespère pas de dégager un petit moment pour aller voir l’expo.
Contente de voir que tu as l’indulgence de revenir après mon commentaire un peu frontal ; c’est là qu’on reconnaît les bons joueurs ;-)
Ah ! j’oubliais de signaler que le 14 Juin à 19h ; il y a un débat organisé à l’Espace Paul Ricard sur les relations entre l’art et la politique, à l’occasion de l’exposition "Mots d’ordre, mots de passe" organisée par Cyril Jarton et Laurent Jeanpierre :
Communiqué de presse
"En quoi l’art peut-il être politique et quelles « stratégies » utilisent les artistes pour faire passer un message ? à travers la présentation de certaines pièces exposées, Cyril Jarton et Laurent Jeanpierre, reviennent sur les notions de « mot de passe et mot d’ordre », thématique de l’exposition qu’ils ont réalisé à l’Espace Ricard
L’exposition « mots d’ordre mots de passe » tente d’opposer deux strategies esthétiques qui ont traversé, tout au long du XXè siècle, le champ politique. Elle rassemble plusieurs pieces qui tentent d’inclure des elements de langage, ecrit ou oral. Elle explore une voie nouvelle par laquelle les mots d’ordre pourrait se transformer en mots de passe et les esthetiques autoritaires en esthetiques émancipatrices. Elle s’interroge sur les manières dont les oeuvres d’art peuvent eviter de reproduire les formes de séparation entre les êtres qui prédominent aujourd’hui, dans l’art comme partout ailleurs.
Invités :
Cyril Jarton et Laurent Jeanpierre, les deux commissaires de l’exposition reviendront sur ces differents points en partant d’une lecture des pieces de l’exposition et de leur mise en relation.
Leurs interventions seront modérées par Mark Alizart, animateur des « Revues parlées » du Centre Georges Pompidou et co-directeur de Fresh Théorie , à paraître aux Editions Leo Scheer à l’automne 2005."Espace Paul Ricard
Bureaux Royale 2
9, rue Royale. Paris 8e
M° Concorde ou Madeleine
pas de soucis Isabelle pour la frontalité elle est agréablement amortie par l’écran et puis sans toi "je" n’existerai pas :)
Ah ! Oui, d’accord ;-)
Alors tu es partante aussi ?
Je vais affûter mon MoonEdit et on va se faire un alpha test en comité réduit.
Pour ce week end, je crois que le moment n’est pas vraiment favorable vu la disponibilité des quelques amis qui ont l’air intéressés.
J’essaye d’organiser ça pour le courant de la semaine prochaine.
Les instructions pour très bientôt...
ok je guette par ici la date du rdv :)
Ou alors si tu crées rapidement sur Moon Edit une page Le-Je-de-Tous on pourrait commencer cette écriture collective par la disponibilité de chacun pour ce rdv
ex : disponibilité pour la semaine du 13 au 17 juin
isabelle : jours + heures
sylvie : jours + heures
etc ...