M’adressant à un lectorat francophone, j’ai souvent des scrupules à me servir de cette moitié de cerveau un peu rouillée où j’entretiens tant bien que mal l’héritage de ma culture iranienne.
Mais voilà qu’aujourd’hui, Natacha m’écrit pour m’inviter à une journée orientaliste « Vous êtes tous invités à participer demain, lundi 3 mai, à la Journée Orientalisme.Votre imagination, vos plumes et votre fantaisie seront les bienvenus. Photos, textes, poèmes, chansons...Tout est accepté. ».
La portion orientale de mon cerveau ne peut pas refuser cette invitation.
J’en suis toute désorientée, car si l’orientalisme, qu’il soit savant, romantique ou kitch, est toujours un regard occidental porté sur l’orient, qui suis-je et où suis-je moi, binationale de naissance, pour pouvoir rêver cet Orient ?
Le chamoiseau, c’est bien connu, trouve toujours le moyen de se dérober. Quand on lui demande de porter une charge, il répond « je ne peux pas, je suis un oiseau » mais si on lui dit de voler, il dit « je ne peux pas, je suis un chameau » [1].
A quoi donc pourrait ressembler un regard mutuel entre l’Orient et l’Occident ? Peut être à cette drôle d’histoire que j’ai trouvée dans le carnet de notes de Vâveylâ Maskhareh [2] :
Il était une fois au pays de Roum [c’est ainsi que les orientaux appellent l’occident], une très belle princesse. Mais son père désespérait de la marier tant elle refusait d’accorder le moindre regard à ses prétendants, comme à quiconque d’ailleurs. Elle passait en effet tout son temps dans une salle remplie de miroirs, absorbée dans la contemplation de sa propre beauté. Le roi promettait honneur, richesse et royaume à celui qui parviendrait à se faire aimer de la princesse, mais les princes et gentillommes qui s’agenouillaient à ses pieds pouvaient gazouiller tant et plus, ils ne moissonnaient qu’indifférence. Bientôt, plus personne ne se présenta pour se porter candidat.
Mais un jour, arriva à la porte du palais, un marchand d’Ispahan[3] encore tout couvert de la poussière du voyage. Il demanda audience, et en désespoir de cause, le roi permit qu’on l’introduise chez la princesse. Le marchand alla tout droit se poster devant le miroir qui était opposé à celui dans lequel se regardait la princesse. Si bien qu’il lui tournait le dos, la voyait et se voyait, tout en s’incluant dans le champ de vision de la belle. Il ne fit pas de grands discours, il dit seulement :
« Je m’aime, tu t’aimes, ainsi nous nous aimons »
De surprise, la princesse fit : « Oh !!! »
Aussitôt, le miroir face à elle s’embua. Alors elle se retourna et vit à nouveau son visage à côté de celui du marchand, reflétés tous deux dans le même miroir.
Nota : Lors des cérémonies de mariage en Iran, les mariés sont unis via un miroir dans lequel ils se réfléchissent côte à côte.
[1] Dicton iranien.
[2] Le carnet de notes de Vâveylâ Maskhareh, manuscrit persan inédit, début du XXème siècle.
[3] En Iran, les habitants d’Ispahan ont la réputation d’être rusés et flegmatiques.