Comment ordonner toutes les questions qui ont été soulevées lors de la soirée du 12 janvier, et quel éclairage apportent-elles sur mes propres observations ?
Je décante en douceur...
Mais voilà Netlex qui vient encore agiter le bouillon avec de nouvelles questions toutes aussi passionnantes, via un article qu’il a publié hier soir : Musique silencieuse des mots : une lecture transactive. Incisif, il pointe l’horreur du vide, et le vacarme qui en découle, par cette histoire :
"Un jour l’Empereur chinois Suang Sung demanda à Li Chin Chi de peindre des panneaux dans sa chambre.
Le peintre dessina un paysage de montagne et une cascade.
Quelques jours plus tard, l’Empereur se plaignit du bruit émis par les chutes d’eau qui l’empêchaient de dormir !
Parfois, la musique des textes silencieux fait dans notre imaginaire un étrange vacarme."
L’empereur a des acouphènes : est-ce la faute à l’illusionnisme d’un peintre aussi accompli que Zeuxis, ou au contraire, l’oeuvre d’un manque (de ce qui manque à l’oeuvre) qui fonde le désir et nourrit l’oeuvre ?
Hasard étrange, aujourd’hui Bobig rapportait une autre histoire, elle même rapportée par Antoine Moreau :
Via antoine Moreau sur fr.rec.arts.plastiques.
"Le prince Yuan de Song voulait faire exécuter certains travaux de peinture. Des peintres se présentèrent en foule ; ayant effectué leurs salutations, ils s’affairèrent devant lui, léchant leurs pinceaux et préparant leur encre, si nombreux que la salle d’audience n’en pouvait contenir que la moitié.
Un peintre cependant arriva après tous les autres, tout à l’aise et sans se presser. Il salua le Prince, mais au lieu de demeurer en sa présence, disparut en coulisses. Le Prince envoya l’un de ses gens voir ce qu’il devenait. Le serviteur revint faire rapport : "Il s’est déshabillé et est assis, demi-nu, à ne rien faire."
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Excellent ! s’écria le Prince. Celui-là fera l’affaire : c’est un vrai peintre !"
(Liminaire de Zhaung Zi (quatrième S avant JC) in "Les propos sur la peinture du moine Citrouille-amère" de Shitao, Hermann, editeurs des sciences et des arts, traduction Pierre Ryckmans)
Encore un art qui s’oeuvre du rien ?
Pour ne pas être en reste, je vous rapporte aussi une histoire, contée par Saadi :
"Le roi voulait faire décorer le "divân" (salle d’audience) de son palais. Certains de ses conseillers lui disaient le plus grand bien d’un peintre du pays de "Roum" (occident), d’autres vantaient l’art d’un chinois de grand renom. Le roi décida finalement de faire construire une cloison temporaire qui partagerait la salle d’audience en deux, et il embaucha les deux artistes en leur confiant à chacun une partie de la salle. Ainsi, lorsqu’ils auraient fini, on abattrait la cloison, et il pourrait comparer leurs talents.
Le peintre "Roumi" déballa donc ses pinceaux et ses pigments, et s’agita pendant plusieurs mois pour brosser une fresque regorgeant de couleurs, de figures et de paysages. Pendant ce temps, le peintre chinois polissait inlassablement une grande plaque d’acier.
Le jour dit, on abattit la cloison. La peinture du Roumi était luxuriante, magnifique ! Puis le roi tourna son regard de l’autre côté. Il vit un grand miroir qui réfléchissait la peinture du Roumi, sa propre personne, son entourage, et plus que tout cela : la lumière !"
"Rien’est tout, et le regard itou"
Disait un jour le petit piou piou
o(^-^o)(o^-^)o o(^-^o)(o^-^)o
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Observer.
Est-il fort celui qui lance loin son caillou, si loin que l’impact de sa chute s’évanouit dans l’abyme de notre entendement ?
"Mais précisément la distance doit-elle se concevoir ? La distance antérieure nous conçoit, parce qu’elle nous engendre. La distance n’est pas donnée à comprendre , puisque c’est elle qui nous comprend. La distance n’est donnée que pour être reçue."
Jean-Luc Marion in "L’idole et la distance".
Le retrait est l’opération de la distance ainsi que la reformulation du trait. Re-trait. Tracer de l’intelligible, inventer une forme se fait en retrait avant tout. L’observation est la condition de la forme, peut-être même son expression la plus juste. Au risque même de n’être que juste ça : de l’observation sans traces. Ce qui serait en fait un re-trait absolu : le Créateur même. Trop mortel. Vivants, la juste mesure est dans la distance vis-à-vis des traces lourdes. Qu’elles soient légères, fines et solides.