À ceux qui cherchent un nouveau souffle susceptible de ranimer leur intérêt pour la campagne présidentielle, je recommande la visite de l’exposition programmée par Jacqueline Frydman au Passage de Retz, 9 rue Charlot, 75003 Paris, du 22 mars au 13 mai.
JE M’VOYAIS DÉJÀ
L’image du candidat à l’élection présidentielle, 1848-2007
« Un candidat à l’élection présidentielle doit se montrer postulant et élu à la fois, modeste et régalien. Difficile grammaire à conjuguer. Faut-il anticiper en singeant la posture du chef ? Prendre les habits avant l’heure ? Ou doit-on chercher à convaincre, à séduire pour créer un désir de nouveauté, de renouvellement ? Sont-ce les mots qui tuent ou font rêver ? Est-ce l’allure, le look, le regard ? » (Laurent Gervereau)
Sous le commissariat de l’historien Laurent Gervereau* et mis en espace par Pierre Leguillon**, c’est une quantité impressionnante d’affiches et de documents relatifs à l’histoire des élections au suffrage universel pour la présidence de la république qui nous est donnée à voir selon un plan en deux parties auxquelles s’ajoute un troisième volet comprenant des oeuvres de Jaques Villeglé et de Marylène Negro.
La première partie qui occupe deux salles, décline les rôles archétypaux autour desquels se construit l’image des candidats ainsi que les représentations fondamentales du rassemblement : le roi, le tribun, le père, le chef, le prof, l’ami(e), la star ; "le petit village de la France éternelle", "avec les vraies gens", "les médias".
Remarquablement servi par les talents d’étalagiste de Pierre Leguillon, ce grand déballage respire un air d’allégresse. Loin de l’atmosphère étouffante de la propagande intrusive qui nous presse de choisir notre camp, ici, les images sont tenues à distance derrière une barrière de politesse. Les visages, les slogans, les attitudes, sont disposés à nos pieds, et c’est de haut que nous regardons les candidats qui sollicitaient hier nos suffrages, converser entre eux par analogies ou contrastes, selon une chorégraphie où figures et attributs, mouvements et contre-mouvements, se répondent en tissant des liens sympathiques. A la fois simple et prolixe, la présentation de Pierre Leguillon ménage des associations malicieuses entre les images, pique notre sens de l’observation, et nous convie par jeu à prendre le temps de l’analyse.
Coluche est mis au coin, près du patio, en trublion que l’on peine à contenir dans les coulisses.
En salle de transit, Marylène Negro déploie son slogan générique, racolage universel, intermède lumineux suspendu à l’espoir d’un ailleurs indéfini.
La deuxième partie de l’exposition suit un ordre historique. Chaque panneau présente des documents autour d’un résumé de synthèse faisant ressortir, élection après élection, le caractère dominant des campagnes présidentielles au suffrage universel qui se sont succédées depuis 1948 :
1848, La force du nom
1965, Vu à la télé
1969, “Elections piège à cons !”
1974, Giscard à l’américaine
1981, La pub en grand format
1988, Génération majesté
1995, La fracture des Guignols
2002, Gueule de bois
2007, Peoplisation et blog-élections
Méfiez vous des candidats à la retraite ! Vous vous êtes peut-être gaussés d’eux dans les premières salles, mais ils pourraient prendre leur revanche à l’étage au dessus, car c’est sous l’oeil goguenard des marionettes du Bébête Show que vous poursuivrez la visite en écoutant des documents sonores devant les tableaux de Villeglé, dont une décoction d’affiches lacérées qui produit un Giscard au visage étonnamment mobile.
Et puis je ne vous dirai rien du dispositif de consultation des extraits vidéos. Allez-y, vous vous y verrez !
En quittant l’exposition, toutes sortes de questions remontent à la surface, le quiz s’allonge à mesure qu’on se remémore les détails ou qu’à nouveau confronté aux images de la campagne actuelle, on cherche à les mettre en perspective dans l’histoire des métamorphoses de la figure présidentielle. On peut poursuivre cette réflexion en se rendant aux 20 heures du Passage de Retz :
Tous les jeudis pendant la période de l’exposition, le 20 heures du Passage de Retz accueillera des invités venus de différents horizons : dirigeants d’agences de communication, politiciens, politologues, graphistes, photographes… qui débattront à partir du matériel de campagne réuni pour l’exposition, exceptionnellement ouverte le jeudi jusqu’à 22 heures.
Voir le programme des interventions sur le site du Passage de Retz
* Laurent Gervereau est Président de l’Institut des Images, directeur du Dictionnaire mondial des images et auteur de La Guerre mondiale médiatique, à paraître en mai 2007 aux éditions Nouveau monde, avec une analyse « à chaud » de la campagne présidentielle française.
**Pierre Leguillon projette depuis 1993 des diaporamas réunissant les fonctions de collection, d’exposition, et de commentaire (www.diaporama-slideshow.com). Il a dirigé plusieurs ouvrages dont le hors-série de la revue Art press « Oublier l’exposition », 2000 ; « Raymond Hains, J’ai la mémoire qui planche », aux éditions du Centre Pompidou, 2001 ; « Negro toi-même » autour de l’oeuvre de Marylène Negro, Isthme éditions, 2005.
JE M’VOYAIS DÉJÀ
L’image du candidat à l’élection présidentielle, 1848-2007
Passage de Retz, 9 rue Charlot, 75003 Paris
tous les jours sauf le lundi de 10 à 19 heures
Nocturne le jeudi jusqu’à 22 heures avec le « 20 heures » de 20 heures à 21 heures
Entrée plein tarif : 8 € - Tarif réduit : 5 €
Le paysage politique français est vétuste nous dit-on, il doit éclater et se recomposer, le clivage droite-gauche est dépassé par d’autres divisions : nationalisme-mondialisme, communautarisme-universalisme, écologisme-économisme... De nouvelles dichotomies bousculent les anciennes catégories, déchirent les partis, fractionnent les points de vue. En attendant de nouvelles alliances, les médias achèvent le démembrement du corps politique en se partageant les bons morceaux : celui-ci se réserve les têtes, celui-là les mains, tandis que d’autres se laisseraient bien tenter par les pieds[1].
Depuis le 30 mars Le Monde2 présente à la BNF Face/Public, portraits monumentaux d’hommes et de femmes politiques parmi lesquels se trouvent les candidats à la présidentielle ; rien que des têtes. En contrepoint, le 13 avril, le Figaro publiait Jeu de mains, une série de photos de mains des candidats ; rien que des mains.
Les photographies de Jean-François Robert à la BNF : « portraits serrés, cadrages similaires, regards de face, fond identique, gages d’une certaine neutralité, montrent ce qui reste quand les paroles se sont tues, quand les images fabriquées ont été déposées. Les hommes et les femmes qui apparaissent ici sont libérés de leur apparat, désarmés, mis à nu. ». A l’instar des portraits réalisés par Chuck Close dont on a pu voir récemment quelques spécimens à la galerie Xippas, la résolution est cruelle et n’épargne aucun détail. Devenu comptable des plis les plus intimes de la peau, le spectateur s’imagine posséder un sujet qui le domine par sa monumentalité. Les vues de l’exposition Face/Public mises en ligne sur « le blog des premières fois » sont éloquentes à cet égard.
Le Jeu de mains du Figaro se présente comme une devinette qui dissocie la main de l’identité de son propriétaire. Il est réalisé sur le même principe égalitariste qui accorde à chaque candidat un lopin de toile identique. Mains ridées, mains poilues, mains noueuses, mains potelées, s’alignent en rang comme des pieds de vigne. Quelle est votre main préférée ? L’aimez vous enveloppante ou insinuante ? musclée, moelleuse ou caressante ? Gare à la déception si elle n’appartient pas à votre candidat préféré. La réponse est fournie à la fin du portfolio.
En visitant l’exposition du passage de Retz, on ne pouvait manquer l’alignement cocasse des portraits des candidats à l’élection de 1848. Ils ont tous la main glissée dans le gilet. Mais l’ulcère dont ils affectent de subir l’héritage dans l’espoir de se parer du prestige impérial semble avoir migré le long du torse pour ronger d’autres organes. Les mains fourragent sous la veste à différentes hauteurs, tantôt à gauche tantôt à droite, et on ne sait pas trop ce qu’elles trouvent : peut-être le coeur, le portefeuille ou une montre de gousset.
Si l’on revient sur les affiches contemporaines, on s’aperçoit qu’aujourd’hui, entre tête et mains, il y a comme un divorce qui traduit sans doute une difficulté à accorder les discours avec les actes. A contrario des portraits en buste de 1848 ou des affiches du général de Gaulle qui associaient tête et mains pour faire ressortir l’attitude d’ensemble du personnage, les portraits réalisés par Jean-François Robert ainsi que le portfolio du Figaro magazine ne font qu’aller au bout d’une tendance à la focalisation déjà bien amorcée par les affiches de campagne. Le souci de lisibilité immédiate combiné à l’exigence de proximité, conduisent à isoler les détails et à se concentrer en plan rapproché sur l’individu dont on est invité à sonder la psychologie. Cette esthétique qui présuppose un rapport métonymique entre l’intime et le politique se résigne d’avance à l’érosion progressive de la sphère privée. Elle procède surtout du cadrage qui sectorise, élimine, juxtapose.
Sur les 12 candidats dont les affiches s’étalent près des lieux de vote, 3 seulement montrent leurs mains. Les mains tendent à s’éclipser, justifiant la défiance des électeurs envers une classe politique qui parle sans se donner les moyens d’agir. Mais c’est surtout dans les clips de la campagne officielle pour la télé que la contention des mains devient pathétique. Sauf Bové et Voynet qui usent de leurs mains avec naturel, et hormis Le Pen qui appuie son vilain charabia d’une gesticulation expéditive, la plupart des candidats paraissent empotés ou donnent dans la rétention. Chez de Villiers ce sont des petits moulinets rabougris qui parasitent le bas de l’image. Laguiller peine à contenir l’agitation de ses bras, mais elle tient bon. Besancenot a pris une assurance tout risque en se vissant les mains dans les poches. Bayrou évacue le problème avec un cadrage serré qui s’arrête en haut des épaules. Idem pour Schiavardi. Nihous a les mains nouées dans le dos comme un saint Sébastien lié au poteau attendant qu’on lui décoche des flèches. Quant à Buffet, Royal et Sarkozy, ils nous réservent la partie la plus pénible. On les sent sous contrôle intensif, les mains planquées hors du cadre. Ils ont si bien dompté leurs démangeaisons gestuelles qu’on les croirait manchots. Ils collent à l’affiche, l’affiche est leur camisole ; ça fait mal de les voir déployer tant d’efforts pour se réduire à l’impotence. Jamais immobilité ne m’avait paru si peu tranquille.
[1] Sebastien Calvet, les pieds de Ségolène Royal à la fête de la rose, Jean-Claude Coutausse, Ségolène Royal en campagne (photos en 2e ligne).
Signets :
Sur l’exposition du passage de Retz, Je m’voyais déjà : l’image du candidat à la présidentielle de 1848 à 2007 :
Diaporama de l’Express sur l’exposition du passage de Retz et sur la campagne actuelle.
Yahoo news, 22 mars, "Je m’voyais déjà" : quand les candidat(e)s s’imaginent en président(e)s, par Florence Biedermann
Libération, 9 avril, Les murs ont la parole, par Edouard LAUNET
La Croix, 12 avril, La séduction en images des prétendants à l’Elysée, Marie-Valentine CHAUDON
L’Ours, Office Universitaire de Recherche Socialiste, Exposition, Je m’y voyais déjà, par Gabriel Peyrot et Jeanne Paccard
D’autres articles sur l’image des candidats :
Une revue des affiches présidentielles sur le blog « ulfablabla »
Clips officiels : Le Parisien commente les clips présidentiels. 1ères impressions le 9 avril sur Yahoo news.
Le monde, 4 avril : La présidentielle des gens ordinaires, par Jean-Louis Andreani
Télérama, 14 avril : Des photographies trop cadrées ? par Thierry Leclère, un article très intéressant sur le contrôle des images pendant la campagne électorale, complété par une vidéo présentant des photographies de la campagne de Ségolène Royal commentées par Sébastien Calvet.
André Gunthert, 14 avril : ce que disent les affiches, ou plutôt, ce que nous leur disons. Sur le blog de l’actualité de la recherche en histoire visuelle, André Gunthert fait collection des photos in-situ des affiches électorales agrémentées de leur lot de petites misères, déchirures, graffitis ou simples accidents de marouflage, qui se lisent comme autant de commentaires.
Je m’voyais déjà au second tour, entrain de jardiner l’après midi pour éviter d’y penser, surfer dès 18h sur les sites suisses ou belges pour avoir les premières estimations, expédier le dîner à 19h30, allumer la télé à 19h59, éteindre la télé à 20h10, essayer de m’atteler au travail sans y parvenir, me rabattre sur google news, abandonner au bout de 10 minutes, demander aux enfants de chercher dans leur fond de DVD un film distrayant pour achever la soirée, réussir enfin à me remettre au travail après minuit, une fois mes capacités d’exaspération épuisées.
Mais Pierre Leguillon propose un programme plus intéressant :
« Venez suivre les résulats du second tour de l’élection présidentielle dans l’exposition « Je m’voyais déjà », dimanche 6 mai à partir de 18 heures, au Passage de Retz, 9 rue Charlot, Paris 3e.
Entrée + buffet, 8 euros »
Je crois que je vais me laisser tenter.